4.11 - Les pieds-noirs, les bernés de l’histoire d'Alain VINCENOT - Envoi d'Albert BENSOUSSAN

XI - Bibliothèque - Livres

Ouvrage précédé d’une vibrante préface de Boualem Sansal qui, pour l’honneur de l’Algérie, sait dire les choses comme elles sont et embrasser le problème avec la générosité, l’ouverture d’esprit et la bienveillance qu’on lui connaît — outre son grand talent.Ce livre est fait d’un exposé substantiel en quatre temps : les bâtisseurs, les brumes, l’espoir trahi et le temps de l’abandon. Suit une série de 13 témoignages, parmi lesquels trois personnalités juives, plus une personnalité d’ascendance juive.

Ces témoins qui, tous, ont souffert dans leur chair et leur âme, de la fin de l’Algérie Française, et pour plusieurs du terrorisme, racontent chacun à sa façon leur vision du passé, leur vécu et ces fragments de mémoire, Pieds-noirs

La prise du pouvoir du FLN en Algérie est le pan le plus violent et significatif de cette histoire : il y a d’abord cette rivalité des deux factions algériennes, le FLN et le MNA et la lutte à mort qui vit la disparition de ce dernier, qui laissera quelques centaines de milliers de victimes ; et il y a, bien sûr, ce terrorisme qui sema la terreur sur tout le territoire algérien, avec ses milliers de morts ; après l’Indépendance, la lutte continuera sur le terrain avec la répression de l’islamisme et là aussi ces dizaines ou centaines de milliers de victimes.

L’Algérie a baigné dans le sang, et le récit des horreurs de la guerre tel que le raconte, sans se voiler la face, Alain Vincenot est horrifiant : tout un lot d’exécutions au couteau, à la hache, de décapitations, de tortures corporelles, de viols, d’exactions, de crimes et de vengeances, enfin le tout-venant d’une guerre impitoyable. L’exposé de Vincenot ne peut être lu que d’un cœur retourné et la nausée au bord des lèvres.

Le témoignage des Juifs est particulièrement éloquent, dans la mesure où, eux plus que les autres Pieds-noirs qui, pour beaucoup d’entre eux ne relevaient pas non plus de cette étiquette infamante, ne pouvaient être considérés comme des « rapatriés ». Le vrai mot est donné par Jean-Christian Serna : des « déplacés ».

Il y a eu un million de personnes déplacées, autrement dit des « réfugiés », indemnisés ensuite du bout des lèvres. (Pour ma modeste part, fonctionnaire recasé en France, j’ai reçu en 1963 de la préfecture de Paris la somme forfaitaire de mille francs, ce qui m’a permis, pour entrer décemment dans ma salle de classe à Melun, d’acheter deux costumes d’occasion – car j’avais débarqué, comme on a dit, « une main devant, une main derrière » — chez Nataf, un fripier de la rue Saint-Fiacre, recommandé par des amis constantinois.)

Le témoignage de Serna est d’autant plus émouvant, à mes yeux, qu’il fut mon camarade de table au lycée Gautier, et comme il était le fils de son père, le plus célèbre avocat de la ville, le professeur faisant l’appel après mon nom l’appelait toujours « Ben Serna » ! Le témoignage de Didier Nebot est particulièrement rude, car à dix-neuf ans il se retrouva arrêté avec un lot d’activistes de l’OAS – auquel il n’appartenait pas — et enfermé dans un camp, justement à Camp-du-Maréchal où sa vie et sa santé furent en danger, lui laissant un traumatisme tel que l’auteur se consacrera plus tard à la préservation de la mémoire juive d’Algérie (MORIAL) et au secours des déshérités au sein de l’OSE.

Nebot rappelle les exactions commises contre les Juifs, et moi jamais je ne me consolerai du saccage du Grand-Temple d’Alger, où mon père rangeait au casier tous nos livres de prières, talits et téfilines, et tout cela fut brûlé, souillé, détruit !

En fait, l’âge étant là, cet exil reste insoutenable et l’âme orpheline des dits Pieds-noirs est inconsolable. Andrée Tibika nous livre un témoignage des plus émouvants. Son grand-père était un héros de la guerre de 14, camarade de tranchée du gouverneur Naegelen, avec qui il était à tu et à toi ; il n’empêche ses enfants furent victimes de l’exclusion de Vichy et la petite Andrée – qu’on appelait Dédou — chassée de son école de Douéra.

L’autre grand-père était le rabbin Tetelbaum, un Ashkénaze venu à Port-Gueydon animer une petite communauté juive ; son frère fut tué dans l’explosion d’une bombe à Tizi Ouzou ; la mère de Dédou, une blonde aux yeux bleus, était la plus belle femme d’Alger. Et puis il y a Jean-Michel Deshaires, au temps de son adolescence, amoureux de Dédou, mais l’histoire les séparera ; Deshaires, qui fut aussi mon camarade sur les bancs du lycée, était juif par sa grand-mère Liuba, une Ukrainienne d’Odessa, qui, empêchée d’exercer, souffrira aussi des lois racistes de Vichy.

Tous ces témoignages montrent qu’il y avait une réelle fraternité, voire une complicité entre les communautés, que la guerre d’Algérie fit voler en éclats. Le témoignage d’Alain Roffé, qui avait 14 ans en 1962, est l’un des plus significatifs, dans la mesure où sa famille, à l’heure de l’Indépendance, choisit l’alya en Israël.

Le meilleur ami d’Alain était ce jeune Arabe Charban, dont il nous livre la photo : deux inséparables, et qui sont restés amis. C’est la seule note d’espoir de ce livre. Le reste appartient à l’horreur, à l’amertume née de la forfaiture du pouvoir et du viol des accords d’Evian qui devaient préserver le droit des communautés.

Oui le reste appartient au deuil d’une terre qui fut la nôtre et où l’on n’ira plus. Le nom de Sakamody, gorge de montagne et col d’égorgements (après l’Indépendance, ce fut encore et toujours lieu d’embuscades et d’égorgements), est allégorique : ce pays fut maudit, et il l’est en attente d’une réconciliation qui ne vient pas, et d’une paix civile indéfiniment reculée. « La guerre est finie, écrit Boualem Sansal, il faut maintenant inventer la paix et la vivre ensemble ».

En attendant, on entend encore le Président de la République algérienne démocratique et populaire exiger de la France qu’elle fasse repentance. Va-t-elle se repentir d’avoir accueilli, hébergé et finalement protégé et recasé tant bien que mal, ce million de Pieds-noirs qui furent bernés par l’Histoire ?

ALBERT1

Albert Bensoussan - 14Novembre 2014
Blog terredisrael.com
La voix des israéliens francophones et de leurs amis

 

81AskzsRlL

Les pieds-noirs, les bernés de l’histoire

Soixante ans après la flambée terroriste de novembre 1954 en Algérie, le sujet est toujours sur la table, et occupe une place plus grande à la faveur des tragédies actuelles et de la terreur exponentielle.

Après l’excellente approche de Jeanine Verdès-Leroux, L’Algérie et la France (« Bouquins » Laffont, 2009), dans le droit fil de la justice rendue à l’histoire dramatique des « Pieds-noirs » — appelés ainsi par dérision —, nous lisons aujourd’hui d’Alain Vincenot, dont on se rappelle l’ouvrage d’émouvants témoignages Vel’ d’Hiv : 16 juillet 1942 (L’Archipel, 2012), un livre qui apporte une pierre nouvelle à la réédification de l’histoire de l’Algérie Française, Pieds-noirs, les bernés de l’histoire (L’Archipel, 2014, 288 p., 19,95€).

718wuF8UiQL

                                                           PREFACE

Encore un livre sur l’Algérie française, dira-t-on en feuilletant cet ouvrage d’Alain Vincenot. Il s’en écrit tellement, de plus en plus, d’année en année, avec une accélération notable récemment, comme si le temps allait bientôt brutalement manquer, que les mémoires trop longtemps contenues étaient arrivées à leur point de rupture. Elles dégorgent l’histoire abondamment, douloureusement, avec soulagement.

Devant la profusion, on pourrait croire que tout a été dit et qu’il ne reste aux historiens de demain que le détail à discuter.

En vérité, nous ne sommes qu’au début du processus. Bien que malmenée par les uns et les autres, l’histoire est connue, et ce n’est pas tant elle qui est l’objet de nos livres – elle est

l’affaire des historiens, qui ont du temps devant eux pour trouver les plus petits détails. La question qui nous agite est bien plus complexe que la simple connaissance des faits. Elle est morale et interpelle au plus profond les citoyens que nous sommes, et d’abord les natifs de l’Algérie, musulmans et pieds-noirs.

On peut la formuler comme suit : si notre histoire est ainsi, tragique, absurde, et combien monstrueuse dans sa chute, c’est que nous avons failli. En quoi et comment ? Pourquoi avons-nous subi cela ? Qui en est responsable ? De quoi sommes-nous, nous-mêmes, responsables ? Comment vivre avec une histoire qui n’est pas celle que nous aurions voulu voir se dérouler ? Comment, sans rien trahir, l’écrire pour que la réalité et le récit de la réalités’accordent un peu et nous donnent la possibilité d’être enaccord avec nous-mêmes et avec l’autre ? C’est à ce débat que nous sommes conviés ces dernières années. Des auteurs courageux s’y sont engagés et nous invitent à les suivre. L’histoire n’est plus une arme ou un réquisitoire contre l’autre, ou contre soi-même, elle est un dialogue entre les acteurs de cette histoire, ou leurs héritiers, un débat auquel chacun apporte sa part.

Dans Ce que le jour doit à la nuit, Yasmina Khadra raconte une histoire que les uns et les autres peuvent lire sans se haïr, sans non plus tout passer par pertes et profits. C’est ce que tente de faire Alain Vincenot. En quatre temps – le temps des « bâtisseurs », ceux des « brumes », de l’« espoir trahi » et de l’« abandon » – et treize témoignages, il nous fait parcourir un siècle et demi d’histoire, avec un grand souci de vérité et de justesse. On a là tous les éléments les plus marquants, les plus significatifs, pour construire un formidable documentaire sur l’histoire de l’Algérie depuis 1830.

On peut dire qu’avec ces auteurs est venu le temps du « dialogue ». Mais quel dialogue ? Jusque-là, il a été au mieux une suite de monologues. Entre les deux, il y a une frontière, un mur de Berlin : vérité d’un côté, mensonge de l’autre.

Chacun racontait son histoire et la confondait avec l’Histoire. On ignorait tout de l’histoire de l’autre et on n’acceptait de la regarder que pour la réfuter ou la réduire. Le dialogue à instaurer est celui qui permettrait à chacun de découvrir enfin l’autre. Sur quoi devrait-il porter ? Sur l’Histoire, qu’il faudrait questionner et écrire ensemble ? Ce travail a commencé avec les difficultés que l’on imagine. L’accès aux archives reste difficile, impossible concernant certaines questions sensibles.

Sur la réalisation d’un acte symbolique ? Lequel ? La repentance, disent certains, avec ce qui en découle : des réparations de toutes sortes. C’est le scénario des caciques du FLN, repris à son compte par le président Bouteflika. Sous couvert d’amitié, ces gens sont en réalité dans le chantage, ils disent à la France : « L’Algérie est à nous, donne-nous ta bénédiction ou il t’en cuira ».

Et ils disent aux Algériens : « Regardez, chers frères, nous veillons sur votre gloire, dormez tranquilles. » La reconnaissance, répondent d’autres, et les indemnisations qui en découlent. La France a apporté la civilisation en Algérie et laissé derrière elle un pays moderne, les Algériens doivent le reconnaître et honorer la France.

« Faites-le ou déguerpissez de France et retournez à votre Moyen Âge ! », disent les plus remontés d’entre eux à leurs compatriotesd’origine algérienne et aux émigrés venus des ex-colonies.

Dialogue de sourds, discours victimaire, discours accusateur, discours revanchard. Ce n’est pas à ces faux dialogues que nous convie Alain Vincenot. Il nous invite à parler des gens et de ce que fut leur vie au jour le jour, avec ses heurs et malheurs, avec ses espoirs et ses désillusions, et de ce que furent leurs rapports à l’autre, à ces migrants venus de toute la Méditerranée, devenus français souvent avant de connaître la France et le français, à ces Français de la métropole, à ces Juifs, ces Arabes, ces Berbères, qui étaient si proches et si lointains.

Le problème s’est considérablement compliqué ces dernières années. Il y avait une sorte d’accord tacite, des deux côtés de la Méditerranée : les débats se plaçaient dans le strict cadre du fait colonial. Avec le temps, et l’émergence massive de l’islamisme et du terrorisme islamiste dans le monde, en Algérie et en France notamment, le procès s’est élargi : l’histoire coloniale est devenue l’arène où s’affronteraient l’islam et la chrétienté, le monde arabe et l’Europe, l’Occident et l’Orient, le Nord et le Sud.

C’est par ce nouveau prisme que l’on regarde ce qui était jusque-là un conflit colonial classique, un problème humain d’abord, celui de deux peuples que des circonstances dont ils ignoraient tout ont placés dans un courant qui ne pouvait, dans le contexte de l’époque, marqué par la rivalité Est-Ouest et la montée du nationalisme arabe et du tiers-mondisme, que les mener à l’affrontement. En Algérie comme en France, la problématique s’est déplacée : ici, on parle de guerre contre l’islam ; là, on parle d’invasion islamique.

Le dialogue auquel nous appelons n’a rien à voir avec cela et encore moins avec ceux qui en vérité sont toujours dans l’esprit de la guerre. Aux uns et aux autres, nous aimerions dire ceci :

On ne parle plus d’humiliation quand on clame à longueur de temps qu’on a lavé l’affront par le sang des martyrs.

L’Algérie est indépendante, et se lamenter est la négation même de l’indépendance, cela veut dire que la lutte pour l’indépendance n’a servi à rien. C’est, quelque part, regretter d’avoir réclamé son indépendance et combattu la France. La demande de repentance, lancée au moment même où le FLN et son président, M. Bouteflika, faisaient miroiter la signature d’un traité d’amitié entre les deux pays, est indécente, elle est une insulte à tous ceux, Algériens, Français et autres, qui ont œuvré à l’indépendance de l’Algérie.

On ne parle pas de reconnaissance, on ne se glorifie pas de ce que l’on a fait pour soi-même et dont on a si longtemps privé l’autre, l’indigène, l’homme invisible, l’étranger dans sa propre maison. Oui, la France a apporté la civilisation en Algérie et ses valeurs si remarquables, mais pour elle-même, pour les siens seulement.

Le Code de l’indigénat (qui n’a été totalement démantelé qu’en 1958, mais aussitôt remplacé par des lois d’exception en raison de l’état de guerre généralisé surl’ensemble du territoire algérien) est à lui seul la preuve que la civilisation était réservée aux Français, alors même que des milliers d’Algériens étaient morts pour la France sur les champs de bataille en Europe et que des millions d’Algériens croyaient en la France.

Notre débat n’est ni celui-ci ni celui-là. Nous voulons nous retrouver et parler de ce que nous aurions pu faire, de ce que nous aurions dû faire pour éviter la guerre et ses malheurs.

Et pour voir ce que nous pourrions faire pour une réconciliation totale et définitive. La guerre est finie, il faut maintenantinventer la paix et la vivre ensemble.

                                                                                                               Boualem SANSAL

 

Retour Sommaire

Informations supplémentaires