10.11 - Témoignage de Christian Gomila - Réalisateur TV

VI - Les témoignages - Les journaux, les lecteurs

 

Témoignage de Christian GOMILA - réalisateur à la télévision

J’avais 24 ans et je commençais ma carrière à la télévision. Deux policiers un peu « spéciaux » se trouvaient dans nos locaux à Alger. Le 26 mars au matin, nous parlions de la manifestation prévue et l’un de ces hommes dit : « N’y allez pas, ça va tirer ».

L’avertissement que me donnait ce policier « particulier » me parut crédible compte tenu de la fonction qu’il avait à la RTF et du pouvoir qu’il représentait : un escadron de gardes mobiles était à sa disposition. Je n’avais donc pas l’intention de participer à ce défilé.

Je décidai de rester chez moi, 7 avenue Pasteur. Du balcon, mon père et moi regardions passer la manifestation, tout semblait calme. Cela me rassura et nous descendîmes dans la rue, mon père avait du courrier à ; poster.

Sur la place de la poste, près de la statue de Jeanne d’Arc, je rencontrai mon ami Jean-Pierre Brouard. Mon père se dirigea vers la grande poste et, peu de temps après, Jean-Pierre et moi prîmes place dans le cortège.

Nous étions au carrefour de la rue Chanzy, quand nous vîmes monter par cette rue une colonne de militaires manifestement nerveux et inquiets. Leur présence était si inhabituelle que je pensai alors qu’il ne s’agissait pas de l’armée régulière mais plutôt d’éléments de la force locale, alors en formation. Ils barrèrent la rue d’Isly empêchant le passage dans un sens comme dans l’autre. Habitués aux armes, nous venions de terminer notre service militaire, nous remarquâmes que les soldats avaient armé leur P.M.

Alors les militaires se mirent à tirer, pratiquement tous ensemble. Nous courûmes vers un immeuble pour nous y réfugier, la porte en était fermée, nous restâmes debout sur le porche. Face à nous le rideau de fer d’un bureau de tabac était baissé, et juste devant, parmi d’autres personnes allongées, un homme couché, blessé aux jambes … Chaque fois qu’il tentait de se mettre à l’abri, il était à nouveau pris pour cible. J’assistais impuissant au calvaire de ce malheureux. C’était insupportable, je voulus courir vers lui pour le secourir. Jean-Pierre Brouard me retint, et je compris, hélas, que je n’avais aucune chance d’y parvenir. Je le sais, à cet instant, mon ami m’a sauvé la vie.

Les tirailleurs tiraient sur tout ce qui bougeait et se positionnaient pour atteindre les gens qui s’étaient réfugiés au fond des magasins.

Enfin le feu cessa. Avec Jean-Pierre Brouard et mon camarade Jean-Pierre Mesrine qui était là aussi, j’aidais à secourir les blessés. Le spectacle, l’ambiance étaient irréels. Je fus frappé par une coulée de sang qui sortait du magasin Sétamyl et se déversait dans la rigole après avoir traversé tout le trottoir.

Deux hommes arrivèrent, pistolet à la main. Ils étaient hors d’eux et voulaient achever les militaires blessés. Nous réussîmes à les en empêcher.

J’ai vu des blessés militaires. Il m’a bien semblé que les blessures qu’ils portaient dans le bas des jambes, avaient été causées par leur propre F.M. posté devant l’agence Havas.

De la même manière que cette fusillade fut une réussite pour le Pouvoir, la version officielle de ce carnage en fut out autant une autre car elle permit de « démontrer » qu’il avait été provoqué par des tireurs de l’OAS … avec « preuves » à l’appui.

Christian Gomila 3 rue Liberté  13 640

Chanzy Isly Pasteur
 Chanzy - Isly - Pasteur

 

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