6.5 - Temoignages sur la mort de J.M. Bastien Thiry

VII -Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - JM Bastien-Thiry - L'attentat du petit Clamart - 22 août 1962 

 Témoignages sur la mort de J.M. Bastien Thiry :


1- Hélène, sa fille : "
il est allé librement jusqu'au bout de ce que sa conscience lui dictait"

2 - Le docteur Petit : "Jean-Marie Bastien-Thiry, sa vie, ses écrits, témoignages" pages 249-251 -  1973

3 - Jean Daniel - L'Express 14 mars 1963

4 - Louis Lefrancle - posté 9 mars 2011 : J.M. Bastien-Thiry l'inventeur de deux missiles anti-chars

5 - Les derniers moments de vie de Jean Bastien-Thiry racontés par un policier

 

 

1 - Hélène Bastien-Thiry : il est allé librement jusqu'au bout de ce que sa conscience lui dictait

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Il est une tombe toujours fleurie celle de Jean-Marie Bastien-Thiry

 

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13 mars 2016 : "Mon prochain c'était toi " Simone Gautier

 


VII -Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - JM Bastien-Thiry - L'attentat du petit Clamart - 22 août 1962

2 - Docteur Petit : témoignage dans  "Jean-Marie Bastien-Thiry, vie, écrits, témoignages" pages 249-251 -  1973

TEMOIGNAGE  DU  DOCTEUR  PETIT  SUR  LA  MORT  DE  JEAN  BASTIEN-THIRY

      J'ai été prévenu en fin d'après-midi, le 10 mars, par le directeur des Prisons de Fresnes, Mr Marty... Cette nuit-là, nous avons parlé beaucoup, le Père Vernet et moi. Puis est arrivée l'heure officielle du réveil du condamné à mort. Je le vois, à ce réveil : le Père Vernet s'est penché sur lui : il dormait... Il se redressa, tout de suite présent, ne flottant absolument pas. Sa première réaction fut de demander quel était le sort de ses camarades..

       La messe a été aussitôt dite dans la cellule voisine : une table, quelques chaises, en faisaient une chapelle. Ce fut le moment le plus émouvant. J'ai vu beaucoup de choses, mais je n'oublierai jamais le Colonel servant sa dernière messe avec calme et simplicité - et ce qui m'a le plus stupéfié, c'est que cette messe était chantée : non seulement par le célébrant, mais par le servant...C'était d'une très, très grande beauté - et en même temps d'une extrême discrétion : nul accent dramatique. Je ne sus même pas que l'hostie du Colonel fut partagée pour être donnée aussi à sa femme, quelques heures plus tard...

     La messe a dû durer une vingtaine de minutes...Nous sommes sortis avec le Colonel...Comme il ne me connaissait pas, je me suis présenté...La conversation était très calme. Il dédaignait tout à fait ce qui était en train de se débattre, l'ultime chance de le sauver...il était déjà au-delà. Je le regardai : il rayonnait. Il rayonnait vraiment de bonheur. C'est peut-être fou de dire cela, mais c'est tout à fait l'impression que j'ai eue : il était déjà dans l'Au-delà...alors que nous étions de pauvres garçons déchirés de le voir mourir...

     Puis cela a été le départ...Au Fort d'Ivry, cela a été extrêmement rapide...

Nous l'avons embrassé, il est allé lui-même au poteau, très digne et toujours très calme, le chapelet dans les mains. Il n'a fait aucune déclaration, je l'affirme...Il était debout, les mains derrière le dos ; sans bandeau sur les yeux. Il est tombé à la première salve, indiscutablement... Il y a eu le coup de grâce...

     Ce qui m'a le plus frappé, c'est le sang-froid indiscutable du colonel Bastien-Thiry...Mais, ce qui m'a le plus impressionné - et je pense que d'autres s'en sont aperçus ce matin-là- c'est le lien entre la messe qui a été sa dernière messe, et son comportement à la sortie de la chapelle : cette joie dans son regard.

    Cette Joie...

 *Extrait du livre « Jean Bastien-Thiry, vie, écrits, témoignages », P.249-251

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Comité VERITAS 24-09-2011

Il est une tombe toujours fleurie, celle de Jean-Marie Bastien-Thiry

 


VII -Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - JM Bastien-Thiry - L'attentat du petit Clamart - 22 août 1962

3 - Jean Daniel dans l'Express 14 mars 1963 : "En fait l'inhumanité du Souverain finit par accabler jusqu'à ses partisans"

L'attentat du Petit Clamart

Jean BASTIEN-THIRY

L'été du terrible exode fut marqué par une ultime tentative de renverser le cours des choses. Dans la soirée du 22 août, le président de la République venant de l'Elysée, se rendait à Villacoublay pour y prendre un avion qui devait le ramener à Colombey-les-Deux-Églises. Lorsque sa voiture arriva dans le centre du Petit Clamart, plusieurs véhicules en stationnement ouvrirent le feu sur les pneus de la voiture présidentielle. Atteinte à plusieurs reprises par des balles de P.M. et de F.M., elle réussit à gagner l'aérodrome avec deux roues restées gonflées, sans que personne n'ait été atteint : ni le Président, ni madame De Gaulle, ni le chauffeur, ni le colonel de Boissieu, gendre du Président.

Le 15 septembre le chef du complot était arrêté : il s'agissait du lieutenant-colonel Jean Bastien-Thiry, trente cinq ans, brillant ingénieur de l'Aéronautique française, spécialiste de réputation internationale des missiles téléguidés, qui plus est chevalier de la Légion d'Honneur et père de famille exemplaire.

Le 28 janvier 1963, s'ouvrit à Vincennes son procès, devant la Cour militaire de justice instituée par De Gaulle, mais que le Conseil d'Etat venait de déclarer illégale. Dans sa déclaration du 2 février, Bastien-Thiry parla comme le curé de Villemaur. Son dessein expliqua-t-il, n'était pas d'abattre le président de la République mais de l'arrêter et de la traduire en Haute-Cour et le juger. Et c'était bien cela le fond du procès.

"(...) antérieur à l'attentat manqué contre lui un immense attentat réussi était évoqué, celui que De Gaulle dans la plénitude du pouvoir qu'il avait réclamé, avait résolu et mené à son terme inexorablement contre l'Algérie française. Quatre ans de guerre tournante pour aboutir enfin à faire tirer ses soldats t ses gendarmes sur son peuple désarmé qu'il avait juré de défendre et de sauver!" 2G de Nantes, lettre à mes amis n°133.

Cet homme est ruisselant de sang français, concluait le colonel Bastien-Thiry et il représente la honte actuelle de la France. Il n'est pas bon, il n'est pas moral, il n'est pas légal que cet homme reste longtemps à la tête de la France [...]. Nous n'avons pas agi par haine de De Gaulle mais par compassion pour les victimes de De Gaulle et pour sauvegarder des vies humaines innocentes sacrifiées par un pouvoir tyrannique ... Un jour cet homme rendra compte de ses crimes : devant Dieu sinon devant les hommes."

Il avait osé invoquer une autre légitimité que celle "du pouvoir de fait". Il n'avait pas hésité à ridiculiser le tyran : "après avoir mis le général De Gaulle en arrestation, lui demanda le président, s'il avait résisté qu'auriez-vous fait ? -- Oh répondit calmement Bastien-Thiry avec son sourire inimitable, nous lui aurions tout juste enlevé ses bretelles." Ce fut alors un immense éclat de rire, malgré l'atmosphère tragique qui enveloppait les audiences. Mais De Gaulle ne lui pardonna pas. Le verdict tomba le 4 mars : Bastien-Thiry et ses deux principaux auxiliaires, Bougrenet de la Tocnaye et Prévost étaient condamnés à mort.

Une semaine plus tard, le lundi 11 mars, alors que ses deux compagnons bénéficiaient de la grâce présidentielle, le colonel était fusillé au Fort d'Ivry. Il assista avec une grande ferveur à la messe de l'aumônier et communia en brisant en deux l'hostie que lui tendait le prêtre, lui demandant d'en remettre la moitié à son épouse. Il marcha ensuite au poteau, en égrenant son chapelet, le visage calme et serein, même joyeux. Avant la salve il ne cria pas "Vive la France" mais pria pour elle et pour ceux qui allaient le tuer.

De Gaulle exploita l'émotion causée par l'attentat du Petit Clamart pour proposer l'élection du président de la République au suffrage universel, par l'ensemble du peuple français et non plus par une assemblée de notables. Le projet se heurta à une très forte opposition du Sénat et de la gauche qui craignait la naissance d'un régime bonapartiste autoritaire. Il fut néanmoins approuvé par referendum le 28 octobre 1862 avec 62;25 % de Oui.

"En fait l'inhumanité du Souverain finit par accabler jusqu'à ses partisans" - Jean Daniel, L'Express, 14 mars 1963

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VII -Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - JM Bastien-Thiry - L'attentat du petit Clamart - 22 août 1962

4 - Posté par Louis Lefrancle 09 mars 2011 : J.M. Bastien-Thiry l'inventeur de deux missiles anti-chars

Colonel Jean-Marie Bastien-Thiry, héros et martyr de la Patrie, fusillé il y a aujourd’hui 48 années, le 11 mars 1963

Jean-Marie Bastien-Thiry était Lorrain, polytechnicien, lieutenant-colonel dans l’Armée de l’air et l’inventeur de deux missiles antichars, les SS-10 et SS-11. Il avait 36 ans et laissait une veuve et trois petites orphelines.

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Le SS 10, missile pour « Sol-Sol 10 », est le premier missile antichar, de fabrication française, développé et produit par les sociétés Nord-Aviation et aérospatiale. Adopté par l'armée française mais également par celle des États-Unis, il fut produit à environ 30 000 exemplaires.
Entré en service en 1955, il fut le premier missile antichar opérationnel du monde.

Le SS-11 (sol-sol 11) est un des premiers missiles antichar à avoir connu une utilisation mondiale. De fabrication française (Nord-Aviation puis Aérospatiale), il était filoguidé et partait d'une rampe de lancement. Il fut adopté par l'Armée de terre française en 1958 et testé durant la guerre d'Algérie. Il existait en version air-sol (AS-11) tirée à partir d'un hélicoptère. Il fut en service dans l'US Army comme AGM-22. 180 000 exemplaires furent produits.

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Organisateur de l’opération du Petit-Clamart, le colonel Jean-Marie Bastien-Thiry aura tout sacrifié, sa famille et sa vie, pour que vive la France.

Alors que les tireurs du Petit-Clamart seront graciés par De Gaulle, celui-ci refusera d’accorder sa grâce à Bastien-Thiry.

Jean-Marie Bastien-Thiry est l’exemple parfait du dévouement, du courage, de l’abnégation, du don de soi et du sacrifice de sa vie envers la Patrie. Il a été l’honneur de l’Armée française.

Homme de Foi, grand catholique, il mourra comme un Saint, marchant vers le peloton d’exécution son chapelet à la main, après avoir entendu la Messe.

Assassiné sur ordre de celui qui aura trahi l’Algérie Française et livré des dizaines de milliers de Harkis et Pieds-noirs aux tortures les plus innommables des bouchers fellouzes du FLN, le colonel Jean Bastien-Thiry demeure un Français modèle, un héroïque soldat dont le nom restera pour toujours inscrit sur le Martyrologe de la Nation.

Que Jean-Marie Bastien-Thiry repose en paix, aux côtés de tous les Morts pour la France, dans le paradis des Héros, des Martyrs et des soldats.

 

Paradis 

 


VII -Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - JM Bastien-Thiry - L'attentat du petit Clamart - 22 août 1962 

5 - Les derniers moments de vie de Jean Bastien-Thiry racontés par un policier...

Samedi 9 mars 1963 - 17 heures,


P…, Commissaire divisionnaire à l’état-major de la police nationale, me demande au téléphone de mon bureau du 5ème district, avenue d’Italie, et m’invite à venir d’urgence à son bureau. Je ne puis m’empêcher de m’exclamer : « je crois, hélas, deviner pourquoi ».

Je pars donc à la préfecture, et la, P… me confirme qu’en effet, si Prévost et Bougrenet de la Tocnaye sont graciés, l’exécution de Bastien-Thiry est ordonnée pour le lundi 11 mars au matin. Le moins qu’on puisse dire est que les choses n’ont pas traîné depuis le jugement qui doit remonter à quinzaine.


Nous voici à mettre sur pied le futur service d’ordre…


B…, Commissaire de Choisy, assurera un isolement total des prisons de Fresnes, avec des effectifs considérables.


L…, Commissaire de Charenton, qui sera de ronde de nuit du dix aux onze, consacrera tout son temps à la surveillance de l’itinéraire prison-Fort d’Ivry ; effectifs généreusement prévus : on ne lésine vraiment pas…


B…, Commissaire d’Ivry, assurera les fonctions judiciaires : accompagnement des autorités, présent sur les lieux de l’exécution et procès-verbal pour en rendre compte.


Détail pénible : on le charge de commander le cercueil, dans les mensurations du malheureux ; ces préparatifs hideux, concernant un homme bien vivant, espérant sans doute encore avec ses proches auxquels il est toujours relié par la pensée (comment oublier sa femme et ses trois petites filles ?) Me mettent dans un trouble profond et me font abhorrer la peine de mort.


Je reviens chez moi, sans dire mot, en proie au désespoir et au dégoût, me demandant comment je vais vivre ces quarante-huit heures d’attente…


Comble, je préside le soir même, le bal de la section de Gentilly de l’orphelinat mutualiste de la PP. Comment ai-je pu, avec mes pensées en désarroi, tenir devant les niaiseries de ces gens se contorsionnant, et faire le discours d’usage ?


Le dimanche est une véritable veillée funèbre : je ne sais où aller pour fuir les pensées qui m’assaillent. La journée passe, morne. Sans avoir dormi, je me lève à une heure du matin. Il pleut à torrents. Par les rues désertes je vais à la préfecture prendre contact avec les équipes en civil de la brigade de direction, mis à ma disposition, pour chercher, véhiculer, protéger au besoin les juges, le procureur général, l’aumônier, le médecin.


C’est un médecin de l’armée de l’air qui doit assister, ô dérision, à cette mort. Les braves gars de la brigade, des gens courageux toujours prêts à traquer les criminels, la nuit, sont ébranlés eux aussi. Ils sont à tour de rôle escorté le prisonnier tout au long de nombreux trajets prison Ford de l’Est où siégeait le tribunal. Les rares contacts qu’ils ont eus avec Bastien-Thiry (entrevu quand il montait et descendait du fourgon cellulaire) leur ont laissé malgré tout une profonde impression que l’on éprouvait en côtoyant, même sans lui parler… « Il semblait enveloppé d’une auréole… »


Je repasse au district, encore plus ému par ce bref aveu d’un humble flic. Je prendre ma voiture chauffeur de service et un secrétaire et nous partons pour Fresnes.


Dès notre arrivée, je vois une dizaine de reporters de presse filmée ou de télé qui allument leurs projecteurs.


Cette attente des badauds de profession en prévision d’une curée, recherchant avidement tout ce qui se présente de sensationnel, me semble quelque chose d’indécent. Usant des consignes draconiennes que j’ai reçues, c’est sans ménagement que je les fais refouler dans le bistrot voisin qu’ils ont déjà fait ouvrir et ou ses importuns ont établit leur PC.


Les effectifs arrivent, les commissaires mettent en œuvre le plan qu’ils ont reçu, je reste rencogné dans le fond de ma voiture, après les avoir successivement revus.


Je suis embossé dans l’allée menant au pavillon résidentiel du directeur de la prison, Monsieur Marti. Le condamné est dans le bâtiment voisin : le CNO (centre national d’orientation), où sont habituellement concentrés les prisonniers en attente d’une autre affectation. Cette masse sombre est silencieuse : les CRS de garde aux abords courbent le dos sous l’averse. Ma radio grésille doucement. Paris est encore en léthargie ; la police prend place sur l’itinéraire, sans bruit la pluie fait rage… J’écoute le vide… Et prie.


Tout à coup, les abords de la prison s’animent : B…, qui attend près de la porte, pénètrent dans le CNO en compagnie de Monsieur Marti. L’aumônier suit. Survient Gerthoffer, le procureur général, silhouette falote, moulé dans un pardessus gris aux formes démodées ; il descend de voiture et saute pour éviter les flaques d’eau, faisant le gros dos sous les rafales. Ces vieillards allant faire tuer un être jeune, plein de vie encore, me semble une énormité inhumaine.


Pendant ce temps, De Gaulle doit se reposer dans sa majestueuse sérénité…


La gendarmerie chargée de livrer le condamné au peloton d’exécution, a fait grandement les choses : une escorte de trente motos, celle d’un chef d’état, trois petits cars bourrés d’effectifs armés, pour s’intercaler entre les divers véhicules du cortège, prennent place sur l’avenue dite « de la liberté ». Le Le car chargé de transporter le condamné, avec une garde de huit gendarmes, entre dans la prison. Nul n’ignore que la gendarmerie et le pilier de ce régime…


B…, m’informe par radio que, toutes les personnalités étant arrivées, on va réveiller le condamné.


Il me relatera ensuite que c’est Gerthoffer qui est entré le premier est que Bastien Thiry a aussitôt demandé quel était le sort de ses compagnons. Apprenant qu’ils étaient graciés, il sembla alors délivré de tout souci et entra dans une sorte d’état second, abandonnant toute contingence terrestre.


Il revêt son uniforme et sa capote bleu marine de l’armée de l’air sans prêter un instant d’attention aux paroles bien vaines que ses avocats croient devoir prononcer.


Il entend la messe à laquelle assiste également Monsieur Marti. Il est, même aux yeux des moins perspicaces, en dialogue avec le Ciel. Au moment de communier, il brise en deux l’hostie que lui tend l’aumônier et lui demande d’en remettre la moitié à son épouse. Puis, après l’Ite missa est, il dit « Allons »… et se dirige vers le couloir de sortie. À ce moment, les phares des voitures s’allument les motos pétaradent, et j’annonce par radio la phrase que j’ai si souvent prononcée lorsque j’étais avec De Gaulle : « départ imminent »…


L’état-major la reprend pour alerte générale.


Mais rien ne vient, et cette attente imprévue semble atroce. Pendant vingt affreuses minutes les avocats vont tenter une démarche désespérée : ils demandent au procureur général d’ordonner de surseoir à l’exécution du fait nouveau qu’est l’arrestation d’Argoud.


Bastien Thiry, absent de tout, revient dans sa chambre, stoïque, silencieux, méprisant devant ces passes juridiques où chacun s’enlise. Il ne dira pas un mot, ni d’intérêt, ni d’impatience…


B…, qui n’est pourtant pas un croyant, me dit : « il est déjà parti en haut ».


Enfin, les palabres des hommes de loi prennent fin : le procureur refuse tout sursis.


Les phares s’allument de nouveau, les motos repartent à vrombir. Cette fois, c’est bien le départ. Je vois la voiture du condamné balayer de ses phares le seuil de la prison, puis se diriger vers le portail ; tout le cortège s’ébranle. C’est bien celui d’un chef d’État dans son triomphe.


Ce condamné qui, au procès, a traité De Gaulle d’égal à égal et l’a assigné au tribunal de Dieu et de l’histoire, comme renégat de la parole donnée, aux serments les plus solennels et sacrés, ce condamné est bien un chef d’État.


C’est bien le même cortège que j’ai si souvent commandé : voiture pilote avec phare tournant, motos devant, moto formant la haie d’honneur, motos derrière, et quinze voitures officielles suivant…


La pluie redouble : je reste loin derrière, suivant la progression par radio codée… comme pour l’Autre…
Je décide d’aller directement cimetière de Thiais, triste aboutissement… Je n’aurais pas pu assister à ce Crime, pas même rôder autour du fort d’Ivry et entendre cette horrible salve.


Au moment où j’entre parmi les tombes, j’entends cette petite phrase de B…, Elle ne restera longtemps dans l’oreille : « Allô… Z1… » ; Le processus s’accélère… « Je vois le condamné contre son poteau ». Et, à 6h42, cette information : « Exécution terminée ». Je sais gré à B… d’avoir évité la formule consacrée « Justice est faite », elle serait si mal venue ici. Justice… où es-tu? J’attends encore : rien. Donc il n’y a pas eu défaillance du peloton comme pour le malheureux Degueldre.


Je vais avec D…, dont je connais les sentiments proches des miens : nous nous rendons au carré des condamnés. C’est une triste parcelle recouverte de hautes herbes jaunies par le gel, entouré d’arbustes dénudés, frêles et désolés. Un trou a été creusé dans la glaise qui colle aux chaussures.


Enfin arrive un fourgon, escorté par le colonel de gendarmerie de Seine et Oise. On descend le cercueil en volige de bois blanc. L’aumônier arrive : il est suivi du médecin, un grand maigre tout gêné. Je viens saluer et me recueillir avec D… Les gendarmes se retirent : les fossoyeurs, à l’abri dans le bâtiment de la conservation tardent à venir. Nous restons là, tous les quatre à prier devant cet humble cercueil, placé de travers sur le tas de glaise courbant le dos sous les rafales de ce sale hiver finit pas…


Dehors, les premiers banlieusards se hâtent vers le travail, indifférents à tous ces policiers massés devant le cimetière. Chacun va à ses occupations, c’est le monstrueux égoïsme des grandes cités.


Ainsi est mort pour son idéal, le Rosaire au poignet, Jean-Marie Bastien-Thiry, trente-quatre, ingénieur de 2ème classe de l’aviation militaire, père de trois petites filles, devenues subitement orphelines, demeurant de son vivant 17, rue Lakanal à Bourg la Reine.


Paris, le 11 mars 1963,11 heures du matin.


Source : Nation presse.Info 

 

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Je ne puis dire la fierté que m’inspire le choix du libre journal pour cette publication.


Ce récit des ultimes instants du colonel Bastien-Thiry fut rédigé de la main même d’un témoin privilégié : un dirigeant de la police française qui, au mieux servir la France du cacher son admiration pour l’homme qui allait mourir et pour la cause à laquelle cet homme avait sacrifié sa vie. Nous reviendrons d’ailleurs prochainement avec la permission de Monsieur Pierre Sidos, sur cet épisode étonnant de l’histoire contemporaine.


Pour l’heure, ce témoignage extraordinaire permet de mesurer à quel drame de conscience ont été confrontés certains fonctionnaires de l’État gaulliste, en ces temps de trahison.


Il devrait rendre moins péremptoires les donneurs de leçons qui, sans risque, jugent et condamnent, un demi-siècle plus tard, des hommes qui n’ont fait que leur devoir « Pour que France continue. »

 

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Cimetière de Bourg la Reine - Septembre 2012

 

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