6.1 - Carrefour de l’Agha

VI - Les témoignages - Grande Poste les blessés, leur famille et amis

Carrefour de l’Agha

1 -  Daleas Guy  23 ans  ...

 

1 -  Daleas Guy  23 ans : les CRS ... ils ouvrirent subitement le feu sur les gens ... 

Tout à coup des CRS se déployèrent en courant de chaque côté du trottoir, s'embusquant derrière les arbres, s'agenouillant en position de tir.

Témoignage dans "Un crime sans assassins" de Francine Dessaigne pages 95-96 - Extraits

Le 26 mars je me trouvais à Alger par hasard. Venant de Fort National en Kabylie où j'enseignais à des enfants musulmans dans un camp militaire, je désirais me rendre en métropole pour rejoindre mes parents. Dans les bureaux d'Air France au Mauretania on m'apprit qu'aucun avion n'était prévu au départ. J'étais donc provisoirement bloqué à Alger. Je pris une chambre d'hôtel dans le quartier, au début de la rue Charras. Vers 14 heures, je fis un promenade en ville. J'ignorais qu'une manifestation devait se produire. Je vis tout un remue-ménage, de nombreux barrages militaires très armés encombraient les rues et l'atmosphère me parut tendue. ... Je retournai à mon hôtel ... je ressortis dans l'intention de me procurer un journal ou un livre. Dan ce quartier tout semblait calme et je ne m'inquiétai pas. Je me trouvai à l'angle du boulevard Baudin et de la rue Charras.

Tout à coup des CRS se déployèrent en courant de chaque côté du trottoir, s'embusquant derrière les arbres, s'agenouillant en position de tir. Sans aucune provocation, sans sommation, ils ouvrirent subitement le feu sur les gens qui se trouvaient dans la rue, sur les femmes, sur les enfants. C'était terrifiant et révoltant, incompréhensible. On m'a dit plus tard que des CRS avaient été blessés ou tués. Pour moi je ne vis personne les attaquer. En fait, deux barrages de CRS se faisaient face à quelque distance, l'un boulevard Baudin, l'autre avenue de la gare. Ils tirèrent ensemble sur la foule, en tir croisé, et un peu dans tous les sens. Je suis persuadé qu'ils se sont blessés les uns les autres involontairement. Plus tard à l'hôpital j'en ai témoigné devant les policiers . Je n'ai plus entendu parler de mes déclarations et je crois qu'on n'en a tenu aucun compte.

J'ai été rapidement blessé à l'abdomen. Je me suis glissé sous une voiture pendant que la fusillade continuait à faire rage. Quand le feu a cessé je me suis relevé, je voulais regagner mon hôtel tout proche mais je suis tombé. Il y avait plusieurs victimes,des gens se précipitaient pour porter secours, un prêtre est venu me bénir. Les propriétaires de l'hôtel se sont occupés de moi, ils ont arrêté un camion, on m'a chargé sur une civière et emmené tout de suite. Ce camion devait venir de la rue d'Isly puisque je me suis trouvé à côté du jeune Jean-Pierre Rigal qui avait té blessé en ce lieu. Nous étions entassés les uns sur les autres, mélangés dans le sang. Le véhicule s'est encore arrêté pour prendre un homme gravement atteint, il est mort près de nous. A l'hôpital nos brancards ont été déposés sur le sol alignés. Quelqu'un a déclaré en me montrant :"celui-là, ça presse". On m'a dirigé vers une salle d'opération. J'ai été déshabillé. Mon porte feuille a été perdu ou volé ainsi que mon pantalon que l'on n'a jamais retrouvé. Avant de m'endormir j'ai entendu le chirurgien dire:"il n'y a plus une goutte de sang dans l'hôpital". Heureusement ... on m'a appris que de nombreux Pieds-Noirs s'étaient présentés en une demie heure pour donner leur sang. ...Quelqu'un a téléphoné à mes parents pour les prévenir, et ceux-ci atterrés ont attendu dans l'angoisse de recevoir un nouveau télégramme annonçant ma mort. Une infirmière, reconnaissant mon accent, est venue me dire qu'elle était originaire d'un hameau voisin de Vic en Bigorre, mon pays natal. ... J'ai rassuré mon père en lui affirmant que je ne souffrais que d'une blessure légère.En réalité mon état était grave, j'avais tout de même cinq perforations intestinales. Pendant cinq ou six jours on n'a pas su vraiment si je survivrais.

Jean-Pierre Rigal et moi, avons été installé dans la même chambre puisque nous étions tous deux très jeunes ...

Il souffrait beaucoup de son genou et il était bien sûr moralement affecté. Alger vivait un drame effroyable, je m'y sentais mal et j’avais hâte de retourner chez moi mais je ne possédais plus ni papier ni argent. Les infirmières ... L'un d'entre elles m'emmena en voiture à l'aéroport , en vain, elle dut me ramener. Une autre prit le relais et cette fois-ci je parvins à me faufiler sans pièces d'identité et sans billet dans un avion qui rejoignait Toulouse. J'empruntai un peu d'argent à une hôtesse et je téléphonai  à mon père. ...

Pendant des années je n'ai pu rencontrer de CRS sans éprouver une vive émotion faite de crainte et de colère.

Note de Francine Dessaigne : Pour vérifier les impressions de Guy Daléas, je me suis munie d'un rapporteur. Un CRS de la Compagnie 147 à l'entrée du boulevard Baudin désirant tirer vers la rue Sadi Carnot, peut atteindre un de ses collègues sur l'avenue de la Gare si son tir est dévié d'environ 15°. Avec un fusil cet écart témoignait d'une certaine maladresse, avec un pistolet-mitrailler, c'est différent.

 

Témoignage de Jean-Pierre Rigal  - extrait page 212  " Un crime sans assassins Francine Dessaigne "

Pour lire son témoignage cliquez : ICI

... Au bout d'un moment, il y eut du remue-ménage, des gens montaient l'escalier, j'entendis distinctement "ne ramassez pas les morts". Un jeune sapeur pompier me prit dans les bras , me redescendit et m'allongea sur le plateau d'une camionnette. J'étais tête à tête avec un garçon qui devint mon voisin de chambre au POBN du service du Professeur Goinard. Il s'agissait de Guy Daleas, originaire de Vic en Bigorre, un instituteur militaire en permission venant de Fort National pour prendre l'avion. Il était gravement blessé à l'abdomen. Sur les banquettes, il y avait des hommes et des femmes. Une femme à chaque cahot hurlait. Certains ne voulaient pas être conduits à l'hôpital de peur d'être achevés par les "arabes ou les gendarmes. ...

 

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En jaune le flux des manifestants
En bleu le carrefour de l'Agha où se rejoignent la rue Charras, le boulevard Baudin et l'avenue de la Gare
Les deux barrages de CRS se faisaient face l'un Bd Baudin, l'autre, avenue de la Gare.
Ils tirèrent ensemble sur la foule en tir croisé

 

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Voir également "Témoignages des journalistes" (Robert Rolando) dont sont extraites ces photos : ICI

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