6.2 - Procès de Jean-Marie Bastien-Thiry à la Cour de Vincennes - Janvier 1963 - Rebondissement imprévu du "26 mars 1962"

VII -Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - JM Bastien-Thiry - L'attentat du petit Clamart - 22 août 1962

1 - Extraits du Compte rendu sténographique - Editions Albin Michel - 1963
Collection "Les grands procès contemporains" sous la direction de Maurice Garçon de l'Académie française

2 volumes, 1020 p.
Avertissement : Les pages 383 à 418 ne font pas partie de la section consultable ? !
Le compte-rendu sténographique du "Procès du Petit Clamart" est également publié chez les Nouvelles Editions Latines  - 1963

- Audition de Julien Besançon
- Déposition du Capitaine Gilet
- Déposition du Lieutenant Saint Gal de Pons


2 - Un rebondissement imprévu du procès : le rapport sur la fusillade du 26 mars établi par le capitaine Claude Garrat commandant une compagnie de gendarmerie à Maison Blanche

Extraits de la revue "Le Charivari" n° 61 bis Spécial - Mai à décembre 1963

Le Procès de Vincennes - La mort de Bastien-Thiry -  L'HONNEUR ET LE SANG"

 

 

 VII -Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - JM Bastien-Thiry - L'attentat du petit Clamart - 22 août 1962

1 - Extraits du Compte rendu sténographique - Editions Albin Michel - 1963
Collection "Les grands procès contemporains" sous la direction de Maurice Garçon de l'Académie française

2 volumes, 1020 p.
Avertissement : Les pages 383 à 418 ne font pas partie de la section consultable ? !

Le compte-rendu sténographique du "Procès du Petit Clamart" est égalment publié chez les Nouvelles Editions Latines  - 1963

 

Audition de Julien Besançon

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 VII -Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - JM Bastien-Thiry - L'attentat du petit Clamart - 22 août 1962

Déposition du Capitaine Michel Gillet

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VII -Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - JM Bastien-Thiry - L'attentat du petit Clamart - 22 août 1962

Déposition du Lieutenant Saint Gall de Pons

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 VII -Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - JM Bastien-Thiry - L'attentat du petit Clamart - 22 août 1962

2 - Un rebondissement imprévu du proçès
Extraits de la revue "Le Charivari" n° 61 bis Spécial - Mai à décembre 1963

Le Procès de Vincennes - La mort de Bastien-Thiry - L'HONNEUR ET LE SANG"

Le Charivari1
A Bourg-la-Reine,une tombe toujours fleurie, celle de Jean-Marie Bastien-Thiry

 

Les photos ci-dessous sont prises dans le compte rendu paru dans ce numéro  Le Charivari n° 61

 

Un rebondissement imprévu du procès

Page 57 à 63

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Théoriquement, l’audition des témoins est terminée. Mais voici que le général Gerthoffer se lève, un dossier à la main. Il s’agit du rapport sur la fusillade du 26 mars, rue d’Isly, établi par le capitaine Claude Garat, commandant d’une compagnie de gendarmes à Maison-Blanche. Lecture en est donnée

Le premier personnage que le capitaine Garat a interrogé est un commandant du 4ème Régiment de Tirailleurs. Celui-ci a déclaré que l’ordre était «  d’arrêter la manifestation, au besoin par le feu ». Il n’a pas assisté à la fusillade, mais à partir de 14 h45, il a entendu des rafales puis des coups de feu isolés. Il n’est arrivé sur les lieux qu’à 15h30. À son avis, les tirailleurs ont été obligés de riposter à des tirs de provocation qui seraient venus des toits. Il prétend avoir découvert plusieurs emplacements de fusils mitrailleurs sur ceux-ci. Cependant aucun impact n’a été relevé sur les véhicules de l’armée.Parmi les soldats, il y aurait eu quatre blessés par balles.

Les contradictions contenues dans sa déposition sont manifestent. Comment, en ripostant aux tirs de mitrailleurs, a-t-on pu abattre une centaine d’hommes et de femmes qui se trouvaient dans la rue ? Par ailleurs, le nom du témoin dont le capitaine Garat cite ainsi la disposition n’est pas donné. La défense proteste :

•         Cette enquête de la gendarmerie est un tissu de contrevérités !

•         C’est un acte d’agression !

•         C’est la version des tueurs !

•         Nous allons déposer des conclusions !

Mais ces conclusions ne seront pas nécessaires. À la surprise de la défense, des accusés et de l’auditoire, la Cour admet d’entendre des témoins sur cette tragique affaire de la rue d’Isly. C’est un rebondissement imprévu du procès. Il est vrai que de nombreuses personnes, qui se trouvaient dans la foule mitraillée le 26 mars, sont venues témoigner en faveur des accusés. Le général Gardet n’est sans doute pas mécontent de faire venir à la barre des officiers du service d’ordre susceptibles de donner des faits une version différente. À la demande de l’accusation paraîtront donc le colonel Goubard, le commandant Poupat, les capitaines Tescher et Gilet ; à la demande de la défense, Monsieur Claude Joubert reporter à la RTF, et Monsieur Julien Besançon reporter à Europe N°1 ; à la demande des deux parties, enfin, le lieutenant Saint Gall de Pons. Voir ICI

***

C’est le samedi 23 février, que l’on peut entendre, de la bouche des différents témoins cités, le récit de la fusillade du 26 mars. C’est audition une importance qu’il est superflu de souligner.

Le premier témoin est le reporter de la RT F Claude Joubert. Il a assisté à la fusillade depuis le second étage de l’hôtel Albert 1er :

•         la foule était très calme, déclare-t-il. Il y avait peu de cris. Une trentaine de jeunes gens avec le drapeau tricolore chantaient le champ des Africains. Vers 14h20, j’ai arrêté mon magnétophone. Je me suis alors demandé ce que devenaient les barrages entre la rue d’Isly et la Grande Poste. À un moment, en me penchant sur le balcon, j’ai vu une foule qui ne savait plus où aller… Vers 14h25, j’ai entendu une rafale de fusil-mitrailleur et j’ai entendu des voisins faire la réflexion suivante : « Ils sont fous ». On nous a dit alors que le service d’ordre tirait en l’air. Les coups de feu venaient de la droite du square Laferrière ».

Me Le Coroller : « Vous nous avez indiqué que les coups de feu étaient tirés par un fusil-mitrailleur qui se serait trouvé square Laferrière. Vous étiez passé par ce square ? ».

M. Joubert : »Je l’ai contourné ».

Me Le Croller : « Vous avez noté la présence de deux ou trois hommes de troupe auprès du fusil-mitrailleur. Comment étaient –ils vêtus ? »

M. Joubert : « Ils portaient vraisemblablement et des treillis et des casques ».

Le général Gardet : « Vraisemblablement ? Vous les avez vus ou vous ne les avez pas vus ? »

M. Joubert : « J’ai vu des hommes à qui je n’ai pas prêté attention qui étaient vêtus de treillis et casqués. J’ai eu l’impression que les coups de feu venaient de ces hommes-là ».

Julien Besançon succède à Claude Joubert.

« La manifestation dit-il, avait été interdite en termes très vigoureux. L’interdiction précisait que les troupes avaient reçu des ordres très stricts. Elle était diffusée à France V tous les quarts d’heure. Mais on ne prenait pas trop au sérieux cette manifestation… Elle était prévue pour 15 heures. Des troupes importantes s’étaient mises en bouclage dans le centre de la ville, mais à notre étonnement, nous avions pu voir que le bouclage laissait le centre de la ville relativement libre. On savait que 15 à 20 000 hommes participaient au bouclage de Bâb-el-Oued. On pensait que les barrages de la ville étaient lâches à cause de difficultés d’effectifs. Bien avant 15 heures, il y eut une certaine agitation rue Pasteur, où se trouvait un barrage assez peu fourni. Une quinzaine de tirailleurs se trouvaient là. Ils étaient commandés par un lieutenant que je connaissais de vue… Les soldats qu’il avait sous ses ordres arrivaient directement du bled, de Médéa ».

Me Dupuy (brandissant une photo de Paris match) : « cet officier est un officier kabyle ! »

M. Besançon : «  Au moment où je m’approchais de l’officier, je vois arriver 300 à 400 personnes qui formaient comme la tête d’un cortège. On n’imaginait pas cependant qu’il puisse se passer quelque chose. Bâb el Oued se trouve à trois kilomètres de là… Ils ont commencé à s’infiltrer à travers le barrage. Le lieutenant s’interposait : »Ne poussez pas, j’ai des ordres ». L’officier était à la fois calme et nerveux. Le ton est monté très rapidement. Des deux côtés ce n’était pas de la colère mais une émotion, un état de nerfs qu’il est impossible d’expliquer. Le lieutenant a dit encore : « Reculez-vous ».Et trois reprises, il a tenté de disposer ses tirailleurs ».

Le général Gardet : « Combien d’hommes avait-il avec lui ? »

M. Besançon : « Entre dix et vingt. Mais il était pour lui très difficile de donner des ordres. La foule lu disait : »Nous ne faisons pas de mal ».Lui se cramponnait à la consigne : « J’ai des ordres », répétait-il. Chaque soldat était pris à partie sans violence par la foule. J’ai même pu voir une scène touchante. C’était une vieille dame qui pleurait en accrochant le bras du transmetteur qui avait un message à passer : « Ne fais pas cela, disait-elle. Ecoute-moi. Tu es mon fils. Nous sommes Français. » Le garçon pleurait et les larmes tombaient sur ses moustaches. Dans une atmosphère indescriptible, le barrage se trouva enfoncé … ». Entre trois mille et cinq mille personnes étaient passées au moment où la fusillade a commencé. Alors que 500 ou 600 personnes se trouvaient serrées dans un petit espace, chantant la Marseillaise ou Le chant des Africains, le premier coup de feu a éclaté. C’était une rafale qui m’a semblé longue, mais ce n’était pas une rafale de fusil mitrailleur. La rafale a été suivie immédiatement d’un tir d’un quart d’heure, vingt minutes. »

D’où venait cette première rafale, origine de la fusillade ?M. Besançon n’a pu le définir. Mais dès les premières minutes dit-il, il y a eu des dizaines de blessés et de morts. : « Il y avait des taches de sang, des vêtements et des chaussures épars… Des immeubles voisins, on entendait des cris qui montaient. Les gens avaient perdu la tête. Ils étaient devenus momentanément hystériques. » La fusillade a duré vingt minutes. Après ce laps de temps, M. Besançon a tenté de découvrir des postes de tir qu’on attribuait à l’OAS. Il parle d’un fusil mitrailleur qui continuait de tirer.

Me Le Coroller : « Il s’agit du fusil mitrailleur dont les servants ont été aperçus par Claude Joubert ».

En fait des témoignages des deux reporters on ne peut rien conclure de définitif. Claude Joubert a laissé entendre que le déclenchement du tir était imputable à la troupe mais pour Julien Besançon, des commandos civils étaient là également.

La déposition du lieutenant Saint Gall de Pons permettra-t-elle d’obtenir des clartés supplémentaires ? Le 26 mars, cet officier commandait dans le service d’ordre de section de la compagnie d’appui du 4ème Régiment de Tirailleurs, sous les ordres du capitaine Gilet.

« Nous étions debout depuis deux heures du matin en bouclage à Maison Carrée » déclare-t-il. « Nous sommes arrivés entre 12h30 et 13 heures. Le capitaine Gillet m’a donné les consignes : « Il y a une manifestation ; il s’agit de l’arrêter. » Par la suite, sur ordre du capitaine je suis monté avec mes sections jusque vers la rue Chanzy pour soutenir un barrage qui avait cédé. Avant d’arriver à la hauteur de la foule, la fusillade a éclaté. Elle a tout d’abord éclaté place de la Grande poste et presque aussi tout après dans mon coin. Des rafales sont parties d’une arme automatique située au quatrième ou cinquième étage d’un immeuble faisant l’angle de la rue Alfred Lelluch et d’une petite rue qui prenait en enfilade la rue Chanzy ».

Sur qui tirait cette arme ? Le lieutenant répond, sur la foule. Ses tirailleurs se sont alors mis à l’abri. Mais, poursuit-il, « l’odeur de la poudre chez les Musulmans appelle le feu ». De plus, les soldats avaient mené une vie infernale depuis pas mal de temps. Aussi un caporal-chef, Mahieddine, commence-t-il à diriger un tir en direction de la fenêtre d’où étaient partis les coups de feu. Il y a un mystère de cette fenêtre. Un témoin y a vu un garde mobile qui montrait aux tirailleurs des chargeurs et des douilles retrouvées là. Puis une ambulance est arrivée : « Une civière est entrée puis est ressortie et sur la civière il y avait, allongée, la forme d’un corps recouvert d’un drap. J’ai supposé que quelqu’un avait dû être blessé ou tué ». Qui était ce quelqu’un non identifié ? Avait-il un rapport avec l’homme « de figure toute jaune » qui s’étant approché d’un tirailleur lui avait confié : « Rassure-toi, ce n’est pas sur vous que l’on tire » ? Dans l’affirmative, la provocation montée par une équipe de « barbouzes »ne ferait guère de doute. C’est la thèse que soutient la défense, s’appuyant sur les déclarations du témoin.

« Peu de temps après, poursuit celui-ci, il y a eu une visite du ministre des Armées. M. Messmer a dit aux officiers et aux sous-officiers qui étaient là qu’il regrettait beaucoup ce qui c’était passé, mais que nous n’en étions pas responsables ».

-          Quelle a été la réaction des tirailleurs à cette déclaration ?

« Les tirailleurs n’assistaient pas à cette réunion. Mais j’ai fait traduire les paroles du ministre par un sous-officier. Les tirailleurs ont compris que M. Messmer avait dit qu’on en avait pas tué assez ».

-        N’y a-t-il pas eu également une distribution de croix de la valeur militaire pour l’affaire de la rue d’Isly.

« Oui dit le témoin, qui précise « avec citation » !!...

Il ajoute encore qu’après l’indépendance, sur 14 tirailleurs de sa section, huit ont été égorgés. Sans doute ces pauvres bougres sont-ils morts sans comprendre la machination infâme dans laquelle on leur avait fait jouer le rôle d’acteurs involontaires, le 26 mars à Alger.

De cette machination d’ailleurs, Me Le Coroller apporte une nouvelle preuve en révélant que le procès-verbal de la perquisition effectuée par les gardes mobiles dans l’immeuble d’où le lieutenant Saint Gall de Pons a vu tirer le fusil mitrailleur existe : il établit que le tireur était un Eurasien ! Ce n’était pas tellement dans les mœurs de l’OAS d’employer des Eurasiens. D’ailleurs, conclut Maître Tixier-Vignancour, « s’il s’était agi d’un tueur de l’OAS, on aurait été trop content de le montrer, de l’inculper, et de fort justement le condamner»…

Ainsi le mécanisme de l’horrible provocation de la rue d’Isly, est-il progressivement démonté. Volontairement pour maintenir l’ordre en plein cœur d’Alger et dans l’atmosphère explosive qui était celle de la ville à cette époque, on a fait venir du bled de jeunes engagés musulmans habitués par leurs opérations contre le FLN à répondre au feu par le feu, de plus, épuisés, énervés, manquant de sommeil. Pour que cette troupe et la foule se heurtent, il a suffi du tir de provocation d’un fusil mitrailleur mis en batterie dans l’embrasure d’une fenêtre, et manœuvré par un individu que les témoignages, les rapports de police et le curieux silence officiel désignent comme une barbouze. Soldats et civils sont ainsi tombés dans le même piège, un piège affreux dont le résultat se traduisit par près de 300 corps allongés sur les pavés, de personnes mortes ou blessées.

Un service d’ordre insuffisant, fait de musulmans épuisés et énervés

Le Capitaine Gilet, qui commandait une compagnie du 4ème Régiment de Tirailleurs, témoigne à son tour.

« On m’a dit : « si les barrages sont forcés, il faut arrêter la manifestation en la coupant … J’étais à l’intersection de la rue Chanzy et de la rue d’Isly. Il y a eu un laps de temps très court et quelques coups de feu ont éclaté. Cela provenait de ma gauche, du côté de la Grande Poste. J’ai eu très vite l’impression que le feu s’était déclenché ».

-        D’après la mission reçue, vous deviez faire usage des armes à toute provocation venant des fenêtres ou des terrasses ?

« Oui, les tirailleurs ont commencé à tirer vers le haut des immeubles … Je n’ai pas pu localiser d’où étaient partis les premiers coups. Mais des gens m’ont fait signe : ça vient d’en haut. Après j’ai voulu faire cesser mais ce fut assez long ».

Le capitaine Gilet révèle que plusieurs de ses hommes tiraient, comme le caporal-chef Mahieddine du lieutenant Saint Gall de Pons, en direction d’un immeuble de la rue Lelluch à partir duquel on les mitraillait. Il y eut ainsi 5 blessés. Ses hommes, selon lui, tiraient aussi bien par psychose de peur que parce qu’on leur tirait dessus effectivement. Aucun officier, dit-il, n’a donné l’ordre du feu. Cependant, « dans la mission nous avions l’ordre de riposter par des armes si on nous tirait dessus ».

Maître Tixier-Vignancour: « vous étiez rue Chanzy. C’est une rue en pente. Pensez-vous dans ces conditions qu’un tir de fusil mitrailleur déclenché de l’immeuble de la rue Lelluch a atteint un de vos hommes ou a dû aboutir sur la foule ?

Le témoin : « je pense que ce tir n’a atteint aucun de mes hommes ».

Maître Tixier-Vignancour : je vous remercie. C’est la confirmation de ce qu’a dit le lieutenant Saint Gall de Pons. Un caporal-chef s’est retourné, pensant légitimement qu’on tirait sur lui et ses camarades a riposté contre cette fenêtre de la rue Lelluch. Avez-vous vu d’autres ripostes de ce genre ?

Le témoin : non

Me Tixier-Vignancour : Vous n’avez pas pu distinguer le visage du tireur ?

Le témoin : «  absolument pas »

Maître Tixier-Vignancour : «  J’indique que l’homme étendu sur la civière s’appelle Trang Tong Ton (ou Trang Trong Coï) et qu’il est né le 27 juin 1932 à Hanoi !…

Cette révélation ne fait sursauter ni le tribunal, ni l’avocat général Gerthoffer. On est libre de penser que leur silence est une confirmation des paroles de Maître Tixier-Vignancour

***

Voici qu’apparaît le capitaine Tescher, qui se porta avec deux sections vers la rue Bugeaud. Il rapporte les consignes données à hommes :

« Si des coups de feu partent des balcons, riposte au fusil mitrailleur. Si la manifestation se fait pressante, la contenir d’abord par la persuasion. Si les manifestants insistent, tirer en l’air. S’il n’y a pas d’autre moyen, se dégager par l’emploi des armes… Vers 14h15 il y a eu les premiers coups de feu vers la rue d’Isly et le lieutenant Ouchène m’a dit : « On nous tire dessus d’un balcon. Je riposte ? – Oui, bien entendu, ripostez !». Il m’a rendu compte que le tir provenait des fenêtres qui se trouvaient dans son dos. Je lui ai dit de riposter sur les armes adverses qu’il avait décelées. Presque simultanément des rafales ont été tirées dans mon dos, boulevard Bugeaud. Je me suis retourné et j’ai vu un tirailleur qui prenait son arme automatique en me disant « C’est là-haut » et il a tiré dans cette direction. A ce moment les deux ou trois tirailleurs qui se trouvaient rue Bugeaud ont pris peur et ont tiré devant eux. A partir de ce moment, il est très difficile de dire d’où venaient les coups »…

***

Le capitaine Tescher détruit la légende selon laquelle certains casques portés par les tirailleurs portaient l’inscription « W3 » c’est-à-dire « Wilaya 3 » : les seules inscriptions portées étaient des signes de reconnaissance. Dans ses deux sections, il a eu un homme blessé au ventre et un autre choqué.

***

Le commandant Poupat succède au capitaine Tescher, qu’il avait sous ses ordres en tant que chef de bataillon. Il confirme l’ordre qui lui avait été donné : arrêter la manifestation par tous les moyens, éventuellement par le feu, c’est-à-dire si l’on ne pouvait pas faire autrement.

Nous revoici à l’évocation capitale du déclenchement du tir :

« Vers 14h35, la première rafale est partie. Elle est partie d’une terrasse des maisons vers la Poste. C’était une rafale de fusil mitrailleur… Puis, après quelques secondes d’accalmie, il y eut quelques coups de feu isolés vers le carrefour Chanzy-Isly. J’ai oublié de vous dire que parmi les manifestants, on en a vu qui étaient armés. Je ne dirai pas que les manifestants étaient armés, mais je dirais que parmi eux il y avait des gens armés.

Cette précision est importante. Cependant on notera qu’aucun chef de section ou commandant de compagnie, qui se trouvaient de très près au contact de la foule, n’ont parlé de ces manifestants armés.

« Quelques secondes après, poursuit le commandant, ont éclaté quelques coups de feu du côté des manifestants et aux fenêtres de la rue d’Isly. Et en même temps, très bien situé, il y a eu un tir de fusil mitrailleur à une fenêtre d’un immeuble, faisant le coin de la rue Changarnier et de la rue d’Isly. Ce tir, prenant enfilade la rue Chanzy, et malgré un angle mort, atteignait le carrefour de la rue d’Isly… La rue Chanzy est un peu en pente. Or les traces étaient à la hauteur d’un petit cinéma et il était impossible qu’elles aient pu être provoquées par un tir venant des tirailleurs. D’ailleurs l’arme qui a fait cela a été située une façon très précise. Elle a été aussitôt prise à partie par les gens du capitaine Gilet et du capitaine Tescher… À ce moment, tirés par devant, tirés par derrière, les tirailleurs, désemparés, nerveux, affolés, ont baissé les armes et tiré devant eux pour se dégager. Qu’ils aient été affolés, c’est sûr. Mais comment ne le serait-on pas dans un combat de rue de ce genre ?»

Combien y avaient-ils d’hommes par barrage ? demande Me Tixier-Vignancour

Le témoin : « une dizaine ».

Me Tixier-Vignancour : combien de manifestants ?

Le témoin : « plusieurs milliers »

Me Tixier-Vignancour : C’était donc un service d’ordre établi au mépris des règles du maintien de l’ordre. C’était vouloir le drame !

***

Voici enfin le dernier témoin sur cette affaire, qui sera en même temps le dernier témoin de tout le procès. Il s’agit du colonel Pierre Goubard qui commandait le 4ème Régiment de Tirailleurs. N’ayant pas été sur les lieux, le 26 mars, sa déposition présente moins d’intérêt que les précédentes. Le colonel Goubard livre cependant quelques réflexions qui lui ont été inspirées par son enquête personnelle ( ! ? de qui se moque-t-il ? des morts ou du tribunal ? Simone Gautier) sur les faits :

« L’atmosphère d’Alger au printemps 1962 était quasi insurrectionnelle, dit-il. On était presque dans un état de guerre civile. Alors quand on parle de manifestation paisible le 26 mars, il est impossible d’accepter cette version. Il y avait une volonté de dresser la population contre les forces de l’ordre… La manifestation était interdite. Tout le monde le savait. Mais tout le monde est venu sur le plateau des Glières et pas par hasard… »

Tout cela c’est l’opinion du colonel Goubard. Mais les faits ? On y vient. Les ordres étaient, comme on l’a déjà entendu, d’appliquer purement et simplement le règlement. Cependant le tir en l’air n’est pas prévu par le règlement. Le colonel en convient :

« Mais, explique-t-il, cela a permis à des tirailleurs de tirer en l’air et d’éviter de un plus grand nombre de victimes. C’est encore une vue personnelle.

« Ce fut d’abord, poursuit le témoin, l’offensive de charme que nous connaissons bien et qui, en d’autres circonstances, avait si bien réussi. Mais en deux ans, l’esprit avait changé… Le barrage a été bousculé. À ce moment-là, si les tirailleurs avaient voulu tirer, ils auraient pu et même dû le faire…Le barrage s’est reformé. À ce moment, est partie d’une terrasse ou d’un immeuble de la rue d’Isly, une rafale et deux civils sont tombés parmi la foule. Simultanément une autre rafale est tirée du deuxième étage de l’immeuble faisant le coin de la rue d’Isly et du boulevard Pasteur. Les forces de l’ordre ont transmis : « on nous attaque d’en haut. Nous ripostons » La réponse a été « Ripostez ». Une arme automatique a pris alors en enfilade la rue Bugeaud, une autre la rue Chanzy. D’autres armes encore se sont dévoilées. L’enquête a permis de retrouver ainsi l’emplacement exact de 14 armes automatiques. (C’est tout ? Simone Gautier)

L’enquête de qui ? Commandée et inspirée par qui ? C’est ce que nous ne saurons pas, car le colonel Goubard continue :

« C’est après la deuxième rafale que les tirailleurs ont donc ouvert le feu. Beaucoup ont tiré sur les immeubles, un certain nombre ont tiré sur les manifestants… Mais en face deux autres fusils mitrailleurs adverses ont également ouvert le feu et également en direction des manifestants… Personne, ni parmi les manifestants ni parmi les tirailleurs n’a pu savoir d’où partaient exactement les coups. Dans ce vacarme il était difficile à un jeune tirailleur de voir clair…

Le témoin dit que les tirailleurs ont eu 10 blessés, dont deux gravement. C’est évidemment trop mais c’est tout de même bien peu si l’on admet la thèse des 14 armes automatiques disposées par l’OAS sur les terrasses et les toits.

« Vous avez mérité d’être rapidement général de brigade ! » conclutsimplement Maître Tixier-Vignancour ». (En langue arabo-pied-noir : quel chien !)

Le dossier du massacre de la rue d’Isly est donc provisoirement clos par ce que nous en avons appris. Il est difficile de ne pas croire à la thèse de la provocation. Et n’y aurait-il pas eu ce fusil-mitrailleur servi par un eurasien appartenant vraisemblablement aux « équipes spéciales anti OAS », la provocation n’existerait pas moins : c’en était une en effet, et de taille, que de tenter de faire canaliser une foule surexcitée et passionnée comme l’était tout Alger à l’époque, par de jeunes soldats musulmans venus du bled, inexpérimentés, fatigués et sans doute travaillés par le virus FLN. Le choc était inévitable. Il a eu lieu.

L’histoire a déjà discerné les responsables

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Celui qui avait réclamé et obtenu la mort du Lieutenant Roger Degueldre, séide zélé de De Gaule

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