10.9 - Analyse sur la journée du 26 mars 1962 de Georges BOSC

VI - Les témoignages - Les journaux, les lecteurs 

Alger la blanche, s’est éveillé paralysée par la grève, mais son cœur bat encore. Dans l’après-midi doit se dérouler une marche de solidarité sur Bab-el-Oued assiégé par la troupe, mitraillé par l’aviation, laminé par les chars ; hommage des quartiers bourgeois à l’orgueilleux sursaut du peuple faubourien face à la capitulation d’Évian et au pseudo cessez-le-feu du 19 mars. Depuis cet épisode peu honorable, la collusion de l’armée française, chargée désormais de mater les pieds-noirs récalcitrants, et du FLN, censé tenir à la Casbah, se confirme chaque jour davantage. Rien d’étonnant en somme, lorsque se répand la terrible rumeur selon laquelle, la manifestation d’aujourd’hui n’est qu’un piège du pouvoir, destinée à dissuader par le feu et de manière définitive toute volonté de contestation.

Hélas ! Il n’est plus temps de désamorcer la machine infernale. Le dispositif en place, la mèche allumée, l’explosion devient inévitable. Ruisselant de toutes parts le long des pentes qui conduisent à la ville basse le flot humain se déversant dans un lac immense sur le plateau des Glières avant de déferler sur la Grande Poste et buter imparablement sur le barrage dressé contre lui à l’entrée de la rue d‘Isly. Alors que la foule s’amasse, porte-drapeaux et médaillés en tête, chantant la Marseillais et les Africains dans la tradition des grands shows populaires d’antan, le secteur est bouclé, la nasse se referme. Soudain, la fusillade éclate. Froidement sans sommations, l’armée foudroie les manifestants en longues rafales, à pleins chargeurs, sans retenue. L’ignominie est à son comble. Déclic irrémédiable, insaisissable instant, le temps s’est arrêté pour permettre à la mort de faucher à son aise, tandis qu’un homme surgit face à l’inconcevable, crie inlassablement : « halte au feu ! »

L’irréparable est accompli. Battant les airs comme une immense crécelle, un hélicoptère agace les tympans de ces stridences et tournois indéfiniment, tel un vautour veillant sur son charnier. Un quarteron de nécrophores, dépêché sur les lieux, s’active à escamoter les reliefs de l’holocauste ; l’histoire doit ignorer. Les corps des suppliciés s’entassent sur les froids dallages de l’hôpital Mustapha et le soir, qui doucement se pose, déploie sur la cité martyre un suaire bleuâtre, pendant qu’au ciel s’allume les étoiles pareilles à des cierges à la veillée. Misérable épilogue d’une saga grandiose, dans un acte de vivisection étonnamment symbolique, la France vient de s’amputer de l’Algérie au pied de la statue de Bugeaud. Ainsi, après avoir noué les fils d’un inextricable imbroglio, le maître de l’Élysée a-t-il tranché à chaud et sans anesthésie, non sans préserver aux yeux du monde son image de grand décolonisateur devant l’éternel.

« Ici Alger ! Les Français tirent sur les Français. » À l’homme de Londres, répond l’homme de l’ombre et dans son cri : « halte au feu ! » résonne à jamais l’appel des martyrs de la rue d’Isly. L’appel que nous exhorte à persévérer dans notre engagement, à faire qu’à la mort ne succède l’oubli. Et que Dieu me pardonne si mon ressentiment et d’un granit que n'effleure, ni la marche du temps, ni l’opium d’un exil confortable. Mais quand j’entends 18 juin, je pense 26 mars.

Georges BOSC

academie 

Bosc

 Biographie

Georges Bosc est titulaire du Diplôme d'ingénieur d'agriculture africaine de l'École nationale d'agriculture d'Alger.

Il entame sa carrière professionnelle comme ingénieur des fabrications à la Compagnie algérienne Pariot-Auby à Alger (Algérie) : il travaille sur la formulation de spécialités phytopharmaceutiques et anti-corrosives, sur la lutte contre l'excoriose de la vigne, la conservation des agrumes, la protection contre la corrosion des conduites de gaz naturel et de pétrole brut. Il effectue de nombreuses missions en Algérie et au Sahara. Dès 1963, il occupe le poste d'ingénieur à la Société des produits chimiques d'Auby. Ensuite en poste à Reims, puis à Bordeaux et finalement à Carcassonne comme Directeur d'agence, il effectue des travaux sur la fertilisation azotée, les désherbages de la vigne et de la luzerne.

Il occupe par ailleurs la fonction de Président honoraire du Cercle algérianiste, tout en étant membre de la Société des bibliophiles de Guyenne, du Centre de documentation historique sur l'Algérie et du conseil d'administration de l'Association nationale des Français d'Afrique du nord, d'outre-mer et leurs amis. Nommé en 1990 au grade de Chevalier dans l'Ordre national du Mérite par le ministère de la Solidarité au titre de ses activités dans le domaine associatif, il est également membre du conseil d'administration de l'Association du mémorial de l'outre-mer, l'Oeuvre française, fondée en janvier 1991.

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