8.2 - Les hélicoptères bombardent de l’autre côté de la Grande Poste : le square Bresson

 2 - Témoignage de Charles Griessinger (Un crime sans assassin – page 120)

Ce jour du 26 mars 1962, accompagné d’un ami qui était venu me chercher pour participer la manifestation, je devais aller à la Grand Poste poster une lettre pour mon fils aîné, élève de 5ème année de médecine à l’école de service de santé militaire de Lyon. Nous nous heurtâmes au barrage coupant la rue d’Isly à hauteur de l’agence Havas, barrage imperméable dans le sens rue d’Isly - Grande Poste, mais au contraire, perméable en sens contraire. On apprend après coup, cela faisait plus de poissons dans la nasse.

Refoulés, nous avons décidé de nous joindre au défilé et d’aller poster ma lettre à la poste de la rue de Strasbourg, près du square Bresson.

Mon ami, monsieur Juving, me dit alors, désignant d’un mouvement de tête les militaires indigènes du barrage : « Regardez-les ! Ils vont tirer. »
Lorsque la fusillade a éclaté, nous devions nous trouver à la hauteur de la place Bugeaud (place d’Isly) et, aussi inimaginable que cela puisse paraître, nous n’avons rien entendu tant notre foule était bruyante, chantant pour ne pas dire hurlant la Marseillaise et le Chant des Africains.

(Note : en raison de l’horaire et des déclarations des autres témoins, Monsieur Griessinger devait se trouver beaucoup plus loin qu’il ne croit au moment du déclenchement de la fusillade. Francine Dessaigne).

Nous arrivâmes ainsi jusqu’au square Bresson où nous vîmes la rue Bâb Azoun bouchée par des engins blindés. À peine arrivées les milliers de personnes éparpillées sur la place, devant le théâtre, furent bombardées de de bombes lacrymogènes de très forte puissance, jetées sur elles par hélicoptères. Ce fut une véritable asphyxie.

Mon ami et moi-même nous enfuîmes par les escaliers longeant le théâtre, conduisant à la rue de la Lyre. Un barrage de zouaves nous empêcha d’aller plus loin, mais ne nous refoula pas. Nous attendîmes donc là, près d’une heure, que la fumée se disperse complètement pour repartir, toujours ignorés des militaires, tous métropolitains du contingent.

Je pus rejoindre mon domicile vers 18 heures. Je ne saurais décrire l’état dans lequel je trouvai mon épouse. Et c’est alors que seulement que j’appris ce qui s’était passé ….

Réponses à quelques questions posées par moi 
- Ma terrasse, au 47 de la rue d’Isly, était occupé par plusieurs membres de ma famille, qui ont assisté à la fusillade et qui n’ont vu aucun militaire sur les terrasses et balcons donnant rue d’Isly, entre notre immeuble et la place de la poste.
- Je n’ai pas été perquisitionné ou interrogé dans l’enquête qui a suivi la fusillade et je n’ai pas souvenance que mes voisins l’aient été.
- Il est impensable qu’il ait été tiré des fenêtres ou de balcons de la rue d’Isly
- Réfléchissons, s’il s’était agi pour ces supposés tireurs de viser les militaires du barrage, il faut croire qu’ils auraient eu une très mauvaise vue, puisqu’aucun d’entre eux n’a même pas entendu siffler une balle.
- Poussons le machiavélisme plus loin, si c’était pour tirer sur leurs propres frères manifestant pacifiquement, afin de faire croire que c’était le fait de militaires, il aurait fallu qu’ils s’équipent d’armes de même modèle et de même calibre que celle du peloton d’exécution déjà mis en place, ce qui était pratiquement impossible. Je n’y crois absolument pas.

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En bleu le flux des manifestants
En rouge le bas de la rue Dumont d’Urville qui débouche sur le square Bresson. De l’autre côté du square la rue Bâb Azoun bouchée par des engins blindés.
Échappatoire par les escaliers le long du théâtre (N° 18) qui donnent dans la rue de la Lyre

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Au premier plan l'Opéra, en arrière plan, la Brasserie d'Alger "le Tantonville", dans le fond la rue Dumont d'Urville.

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