11.7 - Colonel Jean-Pierre RICHARTE - 4ème R.T.

4 - Entretiens écrits et téléphoniques avec Simone GAUTIER   28 octobre 2008

 Question : "Pourquoi les ambulances étaient-elles déjà là, et aussi les pompiers, sur le Plateau des Glières, bouclé comme une nasse ?

- J.P. Richarté :

Dans un régiment il y a toujours un service de santé.
Le Médecin-aspirant ATTALI, pied-noir aussi, devait être au PC de l'EMT comme c'est la règle. Il est dépêché par le Commandant de l'EMT là où on besoin de lui. Son rôle est de prendre en charge les blessés, il dispose d'infirmiers pour l'aider. Il a aussi à sa disposition un véhicule ambulance et des brancards.

Dès la fin de la fusillade, c'est lui-même qui est venu seul vers moi (nous étions de même grade et amis) pour me demander de l'escorter auprès des blessés. Il ne savait vraisemblablement pas et moi non plus qui était blessé, combien il y en avait et qui étaient-ils.

Je l'ai escorté seul, jusque devant la Grande Poste, où j'ai pu voir une partie du massacre. J'ai jugé qu'il ne courait pas de danger et je l'ai laissé sur place pour s'occuper des blessés, pour rejoindre au plus vite mes soldats que je ne pouvais laisser seuls trop longtemps, même si mon adjoint, un sergent-chef était avec eux.

Dans mon barrage, au début de la rue Lelluch, il n'y avait pas d'ambulance, mais seulement les camions qui avaient servi à nous transporter et entre lesquels on avait déployé des barbelés. On pouvait cependant traverser ce barrage en petits groupes.

Chaque soldat disposait de cartouches et de grenades, la plupart de modèles défensifs, appelées quadrillées. Nous avions tous notre dotation de combat, c'est-à-dire les armes et munitions pour affronter les rebelles.

Nous sommes arrivés directement à Alger en interrompant une opération contre le FLN dans l'Ouarsenis.

Il est très facile de savoir si les soldats ont tiré ou pas. Il suffit de contrôler si leur dotation est complète. Mes tirailleurs n'ont pas tiré une seule cartouche. Je l'affirme à nouveau et cela doit pouvoir se contrôler en retrouvant les documents d'enquête des gendarmes.

Dans ma mémoire les soldats du Lieutenant La Tournerie ont tiré un millier de cartouches environ, il pourra vous le confirmer lui-même. Et confirmer mes dires par la même occasion.

Quelques jours plus tard le 4ème RT a été affecté à la protection de Rocher Noir et d’Abderrahmane Fares. Pour l’occasion, nous avions reçu l’ordre d’enchainer les armes et de monter la garde avec des bâtons. Certains officiers se sont exécutés, pas moi.

On aurait donc pu désarmer tous les tirailleurs et leur donner un morceau de bois à la place. On aurait pu aussi tout simplement les priver de cartouches … ce qu’on n’a pas fait parce que ce n’était pas le but recherché.

Tous mes remerciements à Jean-Pierre Richarté d'avoir bien voulu me répondre.

Je note :" Le médecin comme c'est la règle disposait d'une ambulance ....
Or dès les premières photos on voit les morts emportés par
les camions militaires - ces camions qui ont amené les soldats au Plateau des Glières -  et par des ambulances civiles de la Croix rouge ...  Elles étaient donc déjà là !  Pourquoi et sur ordre de qui ?

D'autre part et contrairement aux autres témoignages des militaires, Jean-Pierre Richarté dit bien que chaque soldat disposait de cartouches et de grenades - dotation de combat ....

Simone Gautier

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Question :  "Comment fonctionne la circulation des ordres ? "

- J.P. Richarté :

"Le Général reçoit ses ordres du Chef d’Etat-Major, qui lui obéit au Ministre des Armées ou au Président de la République qui est, je le rappelle, Chef des Armées. C’est De Gaulle en mars 1962. Et il en est encore ainsi aujourd’hui.

Les Capitaines Ducrettet, Techer, Gillet, commandant leur compagnie, ne peuvent être partout à la fois, surtout si leurs quatre sections de combat sont éparpillées sur le terrain. En principe, ils choisissent eux-mêmes l’emplacement de leur PC, soit en position centrale, soit un endroit d’où on peut dominer le terrain, soit en fonction de la mission ou même des liaisons radio. Chacun fait son choix, je le rappelle en fonction de sa mission, de ses moyens et du dispositif qu’il a choisi d’adopter.

Mon chef, le Capitaine DUCRETTET commandait la 2ème compagnie.

Le Lieutenant LATOURNERIE commandait la 1ère section avec un regard sur la 2ème section. Il était aussi adjoint au Commandant de Compagnie et le remplaçait en cas de besoin.

Je commandais la 3ème section avec un regard sur la 4ème, commandée par un sergent-chef dont je crois me souvenir qu’il était analphabète.

Ce 26 mars le Lieutenant Latournerie était, contrairement à toutes nos opérations précédentes, sur le même barrage, rue Lelluch, que moi. Je ne me souviens pas si sa 1ère section était aussi rue Lelluch. Lui pourra vous le dire.

Un lieutenant ou sous-lieutenant ou aspirant est à même de commander une ou deux sections voir plus. Dans notre compagnie nous étions seulement trois officiers : le capitaine, le lieutenant et moi. Il fallait bien répartir les commandements et le capitaine l’articulait à sa façon. Le Capitaine commandant la compagnie et les deux autres officiers avaient en charge les quatre sections.

J’imagine que le Capitaine était au PC avec deux sections de réserve et deux autres sections rue Lelluch. J’ai toujours pensé que le Lieutenant Latournerie était sur le même barrage que moi pour me surveiller. Mon barrage était placé au début de la rue Lelluch face à la manifestation, c’était le dernier barrage, sur le côté de la Poste avant la rue d’Isly.

Le lieutenant Ouchène était aux ordres du capitaine Techer, 6ème compagnie mais il est fort possible qu’il ait été placé temporairement sous les ordres du capitaine Gilet.

Je souhaite rencontrer le capitaine Techer pour en parler avec lui mais je ne sais encore comment m’y prendre.

Le lieutenant Ouchène est décédé il y a une dizaine d’années. Je l’ai appris en lisant Paris-Match. Il aurait quitté l’armée peu de temps après (en 1964 ?). Il aurait souffert de problèmes psychologiques qu’il n’a jamais pu surmonter.

J’ai essayé é d’être concis. Le temps me manque toujours pour entrer davantage dans les détails."

Cordialement

Jean-Pierre RICHARTE
Côtes des Oliviers
29 octobre 2008

Que l’âme du lieutenant Ouchène repose en paix.
Simone Gautier

-Question : " Pourquoi vous faire venir de si loin, interrompre un opération dans les djebels ... y a-t-il dans le journal de marche du 4ème RT une indication sur ce choix  -

Jean-Pierre Richarté

Pour votre information, un ami Général et Historien (il fut un temps professeur d'Histoire militaire à l'Ecole de Guerre), à ma demande s'est rendu aux Archives militaires à Vincennes,où il avait accès librement pour ses recherches, pour m'obtenir des informations sur le journal de marche et les archives du 4ème RT, avant et après le 26 mars. Il n'a rien trouvé, certes le Journal était bien rangé mais beaucoup de pages avaient été arrachées. Il n'a pu l'exploiter

Note : Le procès verbal de gendarmerie (Francine Dessaigne page 406)

Le 17 avril  tout l'EMT est ramené sur les lieux de la fusilladepour une reconstitution, qui est commencée à 5 heures et ne se terminera qu'après 11 heures. Le procès-verbal est clos le mardi 1er mai 1962. Le nom des militaires entendus n'y figurent pas. Pour un certain nombre d'entre eux, on lit : l'intérressé affirmant ne pas savoir lire".
Nous avons remarqué
que certains hommes n'ont pas été interrogés, ceux de la 2ème compagnie et l'aspirant Richarté par exemple.
Huit des photographies publiées dans ce rapport ont été également publiées en illustration de l'article du général Goubard paru dans Historia Magazine

 

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