11.5 - Capitaine KLING Commandant la harka du sous secteur Maison Carrée

VI - Les témoignages - Les militaires, les gendarmes, les policiers

Cagnes sur Mer le 25 mars 1986
KLING Didier
Officier honoraire
39 boulevard Maréchal Juin
06800 Cagnes sur mer

à
Monsieur Jean BRUA
Reporter à Nice Matin
Nice.

Cher Monsieur,

Tout d’abord , laissez-moi vous complimenter pour le reportage que vous avez fait paraître sur Nice Matin de ce jour, tant pour sa clarté que pour la véracité de ses textes.

A ce sujet j’ai des éléments complémentaires à vous apporter que j’aurais aimé vous donner avant la parution de votre article. Peut-être vous serviront-ils un jour ? en attendant ils ne feront que conforter ce que vous avez écrit.

Au moment de ces évènements, je me trouvais en poste au 45ème Régiment de Transmission à Maison Carrée près d’Alger où j’occupais les fonctions de Commandant de la Compagnie de passage et commandant de la Harka du sous-secteur de Maison Carrée.

Dans la matinée du 25 mars je fus convoqué dans le bureau du Colonel Commandant le Régiment où je fus informé que dans l’après-midi je recevrai les éléments d’un bataillon du 4ème Régiment de Tirailleurs. J’étais chargé d’en assurer le ravitaillement et le logement dans les bâtiments disponibles au camp « G ». Je pris donc les dispositions prévues en pareil cas avec l’aide de mon chef comptable et de mon sous-officier chargé des matériels. Ainsi tout était prêt pour quatorze heures, aucune heure d’arrivée ne m’ayant été fixée. Ce n’est qu’aux environ de 16 heures que les premiers éléments arrivèrent suivis du gros de la troupe qui s’installèrent suivant mes directives, un officier de ce bataillon étant désigné pour vérifier et prendre en compte les différents matériels (literie et couchage en particulier). Ayant rejoint mon bureau, je reçus quelques instants après un coup de fil d’un sous-officier d’une autre compagnie de mon régiment qui désirait me voir personnellement. Ayant accédé à son désir, il me rejoint quelques minutes après pour m’informer de ce qu’il avait vu en compagnie de camarades. Les éléments de sa compagnie se trouvant stationnés au camp « G » où avaient été logés les tirailleurs, ils avaient vu des militaires de ce détachement sortir leur casque où étaient peint la lettre W er le chiffre 3. Ayant appris que depuis la signature des accords d’Évian on préparait l’intégration d’éléments de willaya dans les corps français en vue des passations de pouvoir, je fis de suite un rapprochement avec la Wilaya 3. Je partis à la recherche du chef de bataillon commandant les tirailleurs, je l’invitais à boire un « pot » au mess et lui rendis compte des informations que je venais d’apprendre. Il me répondit « Je ne peux rien vous dire, je ne connais pas tous mes gars, la plupart m’ayant été affecté en renfort ces derniers jours ».

Le lendemain matin tout le bataillon rembarquait à destination d’Alger et j’appris dans l’après-midi ce à quoi ils avaient malheureusement servis, par des militaires du contingent qui venaient d’arriver de métropole et que je devais ventiler dans les différents corps d’affectation, à travers toute l’Algérie et le Sahara. Ces jeunes qui écoutaient sur leur transistor ces évènements, dont vous avez si bien relaté le déroulement, étaient venus me chercher dans mon bureau pour que j’essaye de leur expliquer ce qui se passait et me demandaient naïvement d’intervenir, comme si moi, petit officier, hiérarchiquement parlant, pouvait arrêter ce massacre.

En conclusion je vous dirai que je n’ai pas revu ce bataillon qui avait dû rejoindre directement ses cantonnements d’origine sans même revenir au camp « G » après ce massacre. Je n’ai même pas reçu la visite de l’officier qui m’avait pris en compte les matériels, comme cela se fait réglementairement. Peut-être en a-t-il été mieux ainsi car la honte qui devait couvrir le visage de ceux qui n’avaient rien pu faire ou qui n’avaient pas voulu (je ne le pense pas) intervenir devait se voir à dix lieues à la ronde.

Par ailleurs je vous signale que mon chef comptable était domicilié à Bâb el Oued et il fut séparé de son épouse, alors enceinte, plus d’une semaine et que je l’ai accompagné pour qu’il puisse la voir au travers des barbelés condamnant les rues d’accès au quartier. Nous avons pu lui faire passer un sac de 50 kilogrammes bourré de boules de pain de l’Intendance qu’un garde mobile a renversé sur la route pour voir s’il contenait pas autre chose.

Je me tiens à votre disposition pour tout renseignement complémentaire et vous prie de croire à une touchan sympathie de Pied-noir.

Signé KLING Didier
Cagnes sur Mer.

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