7.4 - Jonction Les Glières - Rue d'Isly

VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

1 - Plan du carrefour - La Grande poste

2 - COLLIN Maurice: "et il y en a des disparus". 

3 - DESSAIGNE Francine : "j’affirme que d’autres ont tiré, les gardes mobiles, ils avaient des ordres  ..."

4 - GIACOBBI Claude : "un asiatique photographiait les visages ..."

5 - HATTAB-PACHA Joseph  : "une femme et son bébé abattus à bout touchant  ..."

6 - LEBLOND Hélène :  "j’ai vu ces tirailleurs... ils tremblaient de peur..."

7 - LUXO : "ils m’ont donné des ordres ..." 

 

 

VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants 

1 - Plan du Carrefour - La Grande poste

3 Gouvernement Général - 10 La Grande Poste - 12 Mairie d'Alger - N° 23 Commissariat de Police - 24 Préfecture dAlger - 54 Lycée Delacroix - 57 La maison des étudiants - 59 Les Facultés -  "A" Hôtel Saint Georges - "B" Hôtel Aletti

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Plan : Francine DESSAIGNE

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VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants 

2 - COLLIN Maurice: "et il y en a des disparus". 

Alger le mardi soir 27 mars – 20 heures
Mon cher grand fils chéri, Depuis plus de huit jours je voulais t’écrire … mais réellement, je n’en ai pas eu le courage !

Vendredi dernier (23 mars,) je me suis rendu à la Direction de la Police judiciaire, rue Colonna d’Ornano, au Palais de Justice à la suite d’une convocation …. Que j’attendais d’ailleurs et j’ai été reçu par le Directeur.

Il m’a demandé toutes sortes de renseignements sur toi, quelles études tu avais faites, comment je t’avais élevé, comment tu avais été incorporé au régiment, comment et pourquoi tu avais choisi les paras, où tu avais fait ton école d’officier … etc. … Il m’a demandé si je pouvais lui donner le nom de plusieurs personnes à Alger pouvant certifier que tu n’avais jamais été une crapule, un activiste déclaré et dangereux, etc. … Ce Directeur m’a montré les renseignements qu’il avait obtenus, la veille, sur toi, à la Direction de la Sûreté, et en effet, aucune fiche n’est établie à ton nom ; tu ne figures pas sur les registres des individus dits dangereux et en résumé TU ES VIERGE de tous mauvais renseignements sur les fichiers d’Alger. Très bonne note, m’a-t-il dit.

En ce qui concerne ta moralité, j’ai donné le nom de 10 personnes d’Alger qui te connaissaient et qui répondront de toi. On ne m’a pas retenu et je suis rentré libre à la maison ; je craignais, en effet, qu’on me retienne comme on a retenu le père de PERRET à BEAUJON, une ou deux journées en attendant de contrôler si mes déclarations étaient exactes.

Maître DAMIEN m’a adressé une lettre me donnant de tes nouvelles qui seraient bonnes (moralement et physiquement) et m’assurant qu’en t’envoyant 20.000 francs par mois c’était suffisant pour tes dépenses à la Prison.

Il me dit que ton procès sera assez long car tu es le seul des inculpés jusqu’ici qui ait été interrogé.

Courage, mon fils.Mon cœur est avec toi, à chaque minute, chaque jour.

Hier, 26 mars, nous avons vécu une journée effroyable : BUDAPEST. Dans notre maison, 4 morts, 20 blessés, les escaliers plein de sang. Une horrible fusillade des troupes (tirailleurs) sur les civils, , qui allaient faire un pèlerinage aux enfermés de Bâb-el-Oued…. Et leur apporter du ravitaillement. Tu ne le sauras peut-être pas, mais il y a près de 70 morts dans les immeubles de notre quartier de la Grande poste et plus de 150 blessés. Nous nous étions enfermés dans la cuisine, car les fusils mitrailleurs et les P.M. tiraient aussi sur les balcons ; nous avons du recueillir des civils blessés, des femmes qui s’étaient évanouies, je leur ai fait des piqures de Coramine, de Solucamphre pour les ranimer et pour qu’elles puissent, la « boucherie » terminée, rentrer chez elles. François RAMOS, son frère et sa belle-sœur s’étaient réfugiés chez nous ; le docteur MARIEL soignait les blessés dans les bureaux de TAM PUBLICITÉ transformés en salle de chirurgie !

Cela n’a pas été beau à voir … et j’en conserverai longtemps le souvenir !!!!!

Depuis dimanche nous sommes en GREVE TOTALE de TOUT ! Plus de journaux quotidiens, entre autres … plus de personnes, bien entendu, plus d’activité dans nos bureaux, chez Baconnier idem. Les ouvriers et employés ne peuvent plus venir car plus aucun moyen de transport. Ce soir on annonce à la radio que pas de journaux demain non plus … la grève totale continue toujours.

Avec Francis qui est venu me voir (avec Gustin), j’essaie d’obtenir une autorisation de voyage pour pouvoir rentrer DÉFINITIVEMENT en France quand nous ne pourrons vraiment plus rester ici ...avec bien d’autres algérois.L’O.A.S. ne laisse pas partir les Français vers la métropole.

Je vais arrêter l’édition de la revue de Médecine, impossible de continuer dans ces conditions. Heureusement que tous nos enfants sont à l’abri en France ...

Je ne peux rien te dire d’autre car j’en ai trop sur le cœur.

Tendrement je t’embrasse, Ton papa Maurice COLLIN
Alger le 29 mars 1962.

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Maurice COLLIN - Alger 1960

 

Cher Monsieur,

Je reçois ce matin seulement votre aimable lettre du 22 mars et je vous exprime toute ma gratitude pour vos amicales pensées pour les algérois. Nous reprenons seulement ce matin le souffle après les journées tragiques que nous venons de vivre depuis lundi dernier.

Quelle horreur ! Quelle tuerie ! Mon immeuble transformé en salle de chirurgie, quatre morts dans les escaliers, les murs plein de sang … les impacts des balles sur les façades, les balcons et quel bilan ! Bien entendu pas celui qu’annonce la presse et la radio … vous vous en doutez ?

Il ne manquait plus que des canons détruisant les maisons pour que ce soit tout à fait BUDAPEST ! Il n’y a plus de glaces sur les magasins, des flaques de sang sur la chaussée de la poste à mon immeuble … des morts sont restés six heures étendus dans la rue, sous les fenêtres … avant qu’on vienne les ramasser dans des camions, en vrac … comme des ordures ! On s’occupait d’abord des blessés Passons … Bien pire nous attend encore quand les centaines de milliers de musulmans des quartiers arabes vont « descendre en ville pour régler leur compte aux européens » (sic). Et ils viendront avec des couteaux, eux …).

Nous ne pouvons plus partir en France, les départs sont interdits par l’O.A.S. et elle est toute puissante auprès des guichetiers d’Air France et ceux d’Air Algérie. Si vous voyez le visage des Algérois et l’atmosphère de la ville ! Cela vous étreint le cœur et vous donne la nausée … Tout ce sang qui n’a pas été lavé, ces tas de vêtements masculins, féminins, au pied des immeubles, au pied des arbres, ensanglantés, des chaussures de femmes, des imperméables, des lunettes, des portefeuilles déchirés, des chapeaux, le tout taché de sang aussi … Les gens essaient de retrouver des objets des leurs qui ne sont pas rentrés, qui ne sont pas à l’hôpital, qui ne sont pas à la morgue …. Et il y en a des disparus depuis mardi !

Si le Gouvernement et les princes qui nous dirigent étaient sur place, ils verraient …. et ils ne traiteraient pas l’Algérie comme ils le font.

Pour mon fils, merci infiniment de votre offre si aimable de le contacter, de lui adresser un colis, de voir son avocat : tout cela est INTERDIT ; il est au secret depuis son incarcération et il n’a été interrogé qu’une seule fois en présence de ses deux avocats (Maître André DAMIEN à Versailles et Maître GUIBAUD à Paris) qui étaient les avocats de ses officiers lors du putch 1961. Il sera bien défendu mais malheureusement il y a dans cette affaire un gendarme tué et cela est grave pour tous les participants du complot. Evidemment mon fils n’est pas le tueur du gendarme, mais enfin il a donné des renseignements aux membres du complot. Quand reverra-t-il la liberté ?

Je vous adresse une photocopie de la lettre reçue de son avocat etl a copie d’une lettre que (de sa main gauche) il m’a adressé de la Santé (vous n’auriez pas pu déchiffrer son écriture et je l’ai fait taper à la machine. Vous verrez quel est son moral !!! Et cette lettre a été censurée par la Direction de la prison ...elle n’a pas été arrêtée et transmise ! Cest vous dire que même à la Santé il y a des gens fonctionnaires qui comprennent notre patriotisme et notre volonté de rester français en Algérie. .....................................

Toutes mes sincères et bonnes amitiés

Maurice COLLIN

Lettres offertes par Jean-François COLLIN, Président de l’ADIMAD (Association amicale pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française) - 68 Traverse des Loubes - 83400 Hyères les Palmiers.

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Jean-François COLLIN - Hommage au Général Raoul SALAN - Toulon 28 Août 2012

Avec tous mes remerciements.

N° 55 (Croix rouge) Domicile de la famille COLIN

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VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

3 - DESSAIGNE Francine : j’affirme que d’autres ont tiré, les gardes mobiles, ils avaient des ordres 

Témoignage de Madame Francine DESSAIGNE
Samedi 28 mars 1992
Pèlerinage à Lourdes de l’association « Souvenir du 26 mars 1962

Parce que j’étais avec eux et que j’en suis sortie indemne, depuis trente ans, je témoigne pour ceux qui ne le peuvent plus.

Je dis que nous n’étions pas une foule agressive, pas même excitée. Nous exprimions, dans le calme et le silence, notre solidarité avec Bab el oued et notre désespoir. Les photographies le prouvent.

Sur la place de la Poste, devant nous, le barrage venait de s’ouvrir sur la rue d’Isly. Un collègue de mon mari a dit : « maintenant que faisons-nous ? ». Nous n’avons pas eu le temps de lui répondre.

Quand le tir a commencé, nous étions donc peu nombreux sur cette immense place et nous avons fui, quelques mètres, en tournant le dos aux soldats puis nous nous sommes jetés à terre. Les photographies le prouvent.

Les soldats ont tiré sur nous, dans le dos et à terre, pendant douze minutes. C’est long, douze minutes, dans le sang des autres, dans les cris des autres. C’est long pour justifier un affolement des soldats. Je DIS que c’est criminel de mettre face à une foule, même calme et sans armes, des troupes non entraînées à ce genre de contact.
Je le dis, mais, J'AFFIRME, que d’autres ont tiré et, en particulier des gardes mobiles. Ils avaient des ordres.

Quelques jours après, le Député d’Alger, Philippe Marçais, a demandé aux victimes de venir témoigner pour constituer un dossier de « Plainte contre X ».

En 1962, a paru un « Livre Blanc » composé d’extraits de nos témoignages. Il a été SAISI, une réédition a paru l’an dernier.

Je dois ajouter que j’ai demandé à connaître ce qu’il était advenu de cette plainte. On m’a répondu que les dossiers concernant les DOCUMENTS JUDICIAIRES RELATIFS aux évènements d’Algérie avaient été remis AUX ARCHIVES NATIONALES, et qu’ils étaient couverts par une CLAUSE CENTENAIRE.

Ce n’est donc pas nous, les témoins, qui pourront connaître qui, en haut lieu, a donné les ordres.

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Témoignage de Madame Francine DESSAIGNE
Écrivain historienne
Coauteur du livre « Crime sans assassins » avec Madame Marie- Jeanne REY
Auteur du livre « Top Secret » et de « Le livre blanc – Alger le 26 mars 1962 » le livre interdit

Lourdes 21-22 mars 1998  -  4ème pèlerinage de l’Association

Pour la quatrième fois, nous voici réunis dans ces lieux où chaque pierre, chaque arbre, chaque caillou des chemins sont chargés de ferveur. Créer ces pèlerinages, fut une merveilleuse idée qui porte haut le souvenir de nos compagnons massacrés, il y a trente six ans, au cœur d’Alger. Par notre nombre et notre calme, nous voulions dire notre solidarité avec les habitants de Bab-el-Oued enfermés depuis trois jours dans un blocus inhumain.

C’est aussi notre manière d’exprimer notre besoin de vérité et de justice.

Grâce à des documents, nous savons aujourd’hui que, depuis décembre 1961, par décision gouvernementale, les soldats « amenés dans les villes pour y assurer le maintien de l’ordre », pourraient faire usage de leurs armes « en cas d’insurrection ». que les soldats qui n’auraient pas tiré sur nous étaient consignés dans leurs casernes par le commandement local, tandis qu’il plaçait face à nous, des tirailleurs fourbus, juste arrivés de leur djebel, en proie à la panique, dans cette grande ville où ils étaient plongés pour la première fois.

Le chef de l’État, le chef du Gouvernement, le général qui ont placé là ceux dont ils étaient certains qu’ils tireraient sur « l’insurrection » que nous n’étions pas, sont morts. Espérons que commence le temps des historiens lucides et impartiaux pour lesquels nous n’avons jamais cessé de témoigner depuis trente six ans.

Pour la quatrième fois, nous voici réunis par le souvenir de nos morts, comme nous nous retrouvons, depuis tant d’années dans une église de notre ville ; nos morts du 26 mars 1962 à Alger, mais aussi tous les autres, abandonnés maintenant en terre étrangère ou perdus en chemin depuis notre retour.  

Je pense là à Monseigneur Lacaste qui conduisait notre premier pèlerinage et à mon amie Marie-Jeanne REY qui s’est tant battu contre l’oubli.

Nos rangs s’amenuisent. Cela rend plus impérieux encore notre devoir d’unir nos forces pour transmettre nos souvenirs, douloureux et fiers, comme un flambeau

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 VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

4 - GIACOBBI Claude : un asiatique photographiait les visages 

Ce 26 mars, au matin, j’ai été contacté par une personne que je ne connaissais pas et qui m’a demandé, si avec quatre de mes amis, nous pouvions nous trouver vers 13 heures, au début de la rue d’Isly pour conseiller à tous les manifestants de ne pas participer au rassemblement s’ils étaient porteurs d’une arme. Cette manifestation devait être pacifique comme l’indiquait le tract qu’il me montra.

Tout en effectuant notre mission au centre de la place de la Grande Poste, nous avons été peu à peu entraînés jusqu’à l’entrée de la rue d’Isly, tout contre les soldats - manifestement tous d’origine musulmane. Ils laissaient passer la foule par petits groupes. C’est alors que nous avons remarqué, près de nous, un asiatique de petite taille et trapu, qui photographiait les visages des participants. Avec mes amis nous l’avons encerclé, nous avons pris son appareil pour en extraire et exposer la pellicule, puis nous avons saisi dans sa sacoche toutes les autres pellicules pour les détruire de la même façon.

C’est juste à ce moment-là, que les coups de feu ont éclaté. Je tournais le dos aux soldats, mais pour avoir fait les campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne, je sais distinguer le crépitement d’une mitraillette et celui d’un fusil mitrailleur. Bien que de dos au tir, j’ai tout de suite réalisé que c’était un F.M. qui tirait sur la foule. Profitant de la confusion générale, l’asiatique avait disparu avec son appareil. Le soldat musulman, qui tirait dans la foule, crispé su son F.M., l’arme à la hanche, était placé devant l’agence Havas. En trois enjambées, je trouvais refuge dans le renfoncement de la porte gauche du Crédit Foncier et me recroquevillais sur la deuxième marche. De là, j’ai assisté, impuissant, au massacre.

Les soldats tiraient sur cette foule désarmée, affolée – le plus acharné était celui qui tenait le F.M. J’ai vu le docteur MASSONAT se relever pour aider un blessé qui était couché devant lui. J’ai vu le F.M. qui venait d’être réapprovisionné par son pourvoyeur, reprendre son tir et abattre le docteur. J’ai de suite pensé que le docteur avait été trompé par l’arrêt des rafales de ce F.M. et par ce silence soudain. A-t-il pensé que c’était fini ? Tournant le dos aux soldats, il ne pouvait réaliser que cet arrêt ne durerait que le temps d’un réapprovisionnement de cette arme.

Comme je criais avec d’autres personnes, "Halte au feu !, nous ne sommes pas armés ", le fusil mitrailleur a été pointé dans ma direction, il me manqua de très peu. Par contre, les trois personnes qui étaient tout à côté de moi, accroupis contre la façade, ont été touchées et tuées. L’une d’elles, a reçu une balle en pleine tête. J’ai vu son crâne exploser, sa cervelle a été projetée contre le mur, il s’est affaissé lentement, recouvert de sang. Sur la photo, tirée d’une revue et prise dès la fin de la fusillade, on voit son corps couché et sur la seconde, que j’ai prise le lendemain, les traces de sang et de balles, sont bien visibles. Après la fusillade, les soldats qui étaient postés à l’entrée de la rue d’Isly, (ceux qui nous avait tiré dessus), se sont retirés rapidement. Près d’eux, j’ai vu mon ami OLLIER, tomber. Il y était encore, allongé avec d’autres corps. Je me précipitais. Il n’avait pas été touché. Pour échapper aux balles, il s’était couché à terre, aux pieds des soldats, en entraînant avec lui une jeune femme pour la protéger de son corps.

Ensemble, nous avons longé la façade du Crédit Foncier pour aller vers la rampe Bugeaud où se trouvait un cordon de jeunes soldats français du contingent. Nous les avons interrogés. Ils pensaient qu’on avait tiré sur eux de la façade de l’Hôtel des Postes. A ma demande, ils ne purent me montrer le moindre impact de balle, la moindre trace. Force fut de reconnaître que cela ne pouvait être que l’écho du tir du F.M. qu’ils avaient entendu. Le sergent qui les commandait fut de notre avis, car aucun militaire n’avait été touché et il m’assura qu’eux-mêmes n’avaient pas tiré.

Claude Giacobbi - 7 rue Milton - 06400 Cannes.

Ci-dessous les trois zones de tirs
Position de l'armée au moment du tir


1 Première zone de tir - Barrage rue d'Isly - 22 personnes - Lieutenant Ouchène

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2 - Barrage Pasteur 22 personnes
Le deuxième barrage Isly est commandé par le lieutenant Brossolet

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Plans Francine DESSAIGNE


La croix rouge sur le plan ci-dessous indique la position de Claude Giacobbi lors du commencement du tir. Puis il se réfugie sur la 2ème marche du Crédit Foncier. Après les tirs il  longe la façade du Crédit Foncier pour aller vers la rampe Bugeaud, où se trouvait un cordon de jeunes soldats du contingent.

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Crédit Foncier
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Un morceau de mur a éclaté sous l’impact des balles.


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  L'assassin a signé.


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VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants 

5 - HATTAB-PACHA Joseph - une femme et son bébé abattus à bout touchant 

Joseph HATTAB-PACHA
Ancien Maire de la Casbah d’Alger
Conseiller général d’Alger
Dernier Président du Conseil municipal d’Alger le 24 mars 1994à Madame Marie-Jeanne Rey

LETTRE OUVERTE

Chère Madame,

Je suis le dernier descendant d’une noble famille turque et mes ancêtres ont été installés en Algérie, en tant que Belerbey, par le Sultan de Turquie, au début du protectorat sur ce pays, vers 1515.

Le titre de Pacha que je porte m’a été transmis par mes aïeux. Ma mère était française, mais je suis né en pleine Casbah dont j’ai eu l’honneur de devenir en 1959 le premier citoyen, ardent défenseur de l’Algérie française sans aucune distinction ni considération ethnique. J’ai été initié à la politique par le Président Laquière, grand homme pour lequel j’ai un immense respect et que je considère comme mon père spirituel. Conseiller municipal, maire du 2ème arrondissement (Casbah), conseiller général de la 1ère circonscription, j’ai été après la démission de Monsieur CORBIN, président du conseil municipal du grand Alger, ce qui en provoqua la dissolution par ordre du gouvernement, celui-ci, ne supportant pas l’élection à la présidence d’un partisan de l’Algérie française !

Le 26 mars 1962, peu avant 14 heures, je me trouvais, rue d’Isly, dans un magasin proche du cinéma « Le Régent » car j’avais rendez-vous avec un délégué de l’OAS qui devait me conduire auprès du Général SALAN et de Monsieur SUSINI.

En effet, j’avais appris qu’une manifestation pacifique était prévue dans la Casbah et j’y étais opposé, craignant que des agitateurs la détournent de son but en provoquant une confrontation avec les habitants de ce quartier.

Attendant mon contact, j’entendis soudain chanter la Marseillaise. Je sortis et je vis un groupe de militaires français qui barraient le passage à des manifestants portant des drapeaux tricolores.

Voyant parlementer les manifestants avec l’officier dirigeant cette troupe, je me suis présenté, lui demandant de ne pas s’opposer au passage de cette foule patriotique, pacifique et sans armes. Se rendant à nos arguments, l’officier a ordonné à ses soldats de laisser passer la manifestation.

Satisfait je suis retourné à mon lieu de rendez-vous, tout en regardant défiler les manifestants dont des personnes âgées, de nombreuses femmes et même quelques enfants.

Quand la manifestation est arrivée à la hauteur du magasin Natalys, une brusque fusillade s’est déclenchée, dans le dos des manifestants sur lesquels on tirait à la mitraillette.

J’ai vu les gens crier, tomber, dans un chaos indescriptible. Une jeune femme, portant un blouson de cuir sur le bras, s’est écroulée non loin de moi. Le sol était jonché de cadavres et de blessés dont les cris et les râles me déchiraient l’âme tandis que je restais pétrifié d’horreur. Quand les tirs ont cessé, après une douzaine de minutes dans un non-temps qui ressemblait à l’Enfer, je me suis précipité pour porter secours, comme bien d’autres et j’ai appris, par des clameurs de désespoir, que le comble de l’abomination avait été commis dans le magasin Natalys, où on venait de découvrir, entre autres victimes poursuivies et abattues à bout portant, une jeune femme et son bébé !J’ai constaté, avec l’impression affreuse de vivre là un exécrable cauchemar, que les militaires présents dans les rues adjacentes étaient, en majorité, de type maghrébin, alors qu’à l’époque, tous les jeunes appelés algériens étaient mutés d’office, soit en métropole, soit en Allemagne.

L’évocation de ces événements ci-dessus cités fait saigner en moi des blessures incicatrisables dont la première réside dans le fait d’avoir été le témoin oculaire d’un massacre de patriotes français, qui voulaient seulement, au son de l’hymne national, marquer leur attachement à la Mère-Patrie et qui, pacifiques et désarmés, ont été lâchement assassinés par celle-là même à laquelle s’adressait leur ferveur.

Français d’Algérie, nous aurions tous volontiers donné notre vie pour la France, affrontant tous les périls, prêts à tomber sous les plis du drapeau tricolore, comme dans toutes les guerres au cours desquelles nous avions toujours répondu présents.

Dernièrement à la télévision, chacun a pu voir un ancien résistant, parlant de l’affaire Touvier, s’exprimer sur la douleur et l’indignation de Français, condamnés à mort et exécuter par des Français et tous ceux qui l’ont entendu ont été bouleversés par ses paroles.

Comment qualifier alors, le machiavélisme d’un pays qui a posé condamner ses fils les plus fervents à mourir, lâchement exécutés par des balles françaises tirées dans le dos ? Mon vœu, et le seul, concerne le triomphe de la vérité malgré l’occultation de nos dirigeants qui ne pourra durer éternellement.

Le Gouvernement français a cru bon de prolonger de 70 ans la prescription sur la diffusion de nos archives. Dans l’Eternité Divine, 70 ans représentent un laps de temps très court après lequel nos descendants pourront voir les prétendus héros, aujourd’hui célébrés, répondre à titre posthume de crime contre l’humanité pour l’infanticide odieux qu’ils ont cru pouvoir perpétrer en toute impunité et les événements sanglants qui, encore aujourd’hui, en découlent. Je vous remercie sincèrement pour la mise en exergue de notre martyr.

Et vous prie d’accepter, Chère Madame, l’expression de mes respectueux hommages.

J. HATTAB-PACHA

Président de l’association VERITAS - 31620 Fronton

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(Un crime sans assassins - Francine DESSAIGNE - Marie-Jeanne REY)

 
Le magasin Natalys ci-dessous à gauche est signalé par une croix rouge.

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VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants 

6 - LEBLOND Hélène J’ai vu ces tirailleurs... ils tremblaient de peur 

Aussitôt après avoir vu ce film, le 12 septembre 2008, j’étais bouleversée, je me suis retrouvée 46 ans en arrière.

J’avais décidé de participer à cette manifestation de paix pour venir en aide à toute la population de Bab el Oued qui était encerclée et de plus nous n’avions pas le droit de travailler. Je peux vous certifier que j’étais présente au beau milieu de ce massacre et je suis bouleversée de revoir un tel spectacle.

Je me trouvais très précisément au centre de la place, entre la Grande Poste, le Crédit foncier, la rampe Bugeaud, la rue d’Isly et de l’autre côté l’hôtel Albert Ier. Nous étions tous très calmes. Personnellement j’étais avec mon beau-frère (décédé en 1991), une amie Georgette et une troisième personne que nous avions retrouvée sur le trajet en descendant le Plateau des Glières. J’ai vu ces tirailleurs, nous étions au premier rang du barrage, ils tremblaient de peur d’agir ainsi avec leurs fusils mitrailleurs, ils en avaient les larmes aux yeux. Je leur ai demandé de nous laisser passer, en disant, « mon mari aussi est officier », (nous nous sommes mariés en août 1962 à Blida), et sur mon insistance, il nous a laissé passer. Mais notre dernière amie n’a pas eu le droit de suivre … Elle a fait la morte au milieu des morts dans les barres de trolley. Nous l’avons retrouvée vivante plus de 4 heures après …

Que d’émotion ! …

Aussitôt après notre passage (inch’allah ! comme ils disent) cela a commencé de tirer de partout. Ce militaire le dit dans le film et cela venait aussi bien du MAURETANIA (sur les toits) que de l’Albert Ier (balcons) selon ce que les gens disaient...

A trois nous avons pu nous sauver en courant jusqu’au Monoprix de la rue d’Isly où quelqu’un venait de casser les portes en verre pour permettre aux gens de s’abriter. Derrière nous, au moins à 50 mètres, les morts tombaient les uns après les autres … un vrai désastre. Les militaires rentraient même dans les immeubles après le Crédit Foncier et poursuivaient les gens dans les caves, témoignages entendus sur place. Ensuite nous avons dû dégager et partir à plus de trois kilomètres. Je crois que nous avons pu revenir deux ou trois heures après. La rue était remplie de mares de sang (les familles avaient déposé quelques fleurs dans des boîtes de conserve, n’ayant rien d’autre). Le capitaine qui était avec notre équipe a jeté son képi sur le sol et a entonné la Marseillaise par respect pour ces victimes la plupart civiles. C’était l’écœurement général, tout le monde pleurait … Inoubliable ! On nous annonçait de nombreux morts et une multitude de blessés, il n’y avait plus assez de sang à l’hôpital pour sauver tous les blessés.

Après tout cela, pendant plus d’un mois les grilles du Crédit Foncier étaient couvertes de gerbes de fleurs et les parents et amis des victimes venaient s’y recueillir.

Je ne suis pas Pied-noir mais j’ai vécu tout cela avec vous et j’ai prié et partagé vos chagrins. C’est effrayant d’en être arrivé là. J’étais de métropole et j’ai travaillé à Alger d’octobre 1960 à décembre 1963. J’étais à Alger et mon futur mari à l’époque était dans les Aurès en plein djebel à 60 kilomètres de Biskra. Il est décédé en juin 1975 et ma petite fille avait 10 ans.

Hélène LEBLOND LUCAS
21 septembre 2008

 

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 Elle se trouve  en plein milieu - Grande Poste - Bugeaud - Crédit Foncier - Isly. Le barrage Isly la laisse passer et elle a dû dépasser aussi la rue Chanzy au moment des tirs puisqu'elle s'est réfugiée au Monoprix

 

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Elle a fait la morte dans les barres des trolleys


VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants 

7 - LUXO - "Ils m’ont donné des ordres ..."
 

Ce lundi 26 mars entre 2 heures et demi et 3 heures de l’après-midi, voilà ce dont j’ai été témoin.Un cortège pacifique de manifestants comprenant des hommes et des femmes s’était engagé dans la rue d’Isly, en direction de la place Bugeaud, avec deux drapeaux tricolores en tête, tout cela dans le plus grand calme, sans proférer aucun cri.

Les manifestants étaient nombreux, plusieurs milliers s’étaient déjà engagés dans cette rue. A l’entrée de la rue d’Isly, près de la poste, se trouvait une section de soldats musulmans, à casque lourd, commandée par un jeune lieutenant blond, képi recouvert d’une housse sable, appartenant probablement à une compagnie saharienne. La section formait une sorte de barrage qui, cependant, laissait filtrer la foule. Les soldats semblaient agités et nerveux. Quelqu’un parlementa avec le lieutenant pour qu’il continue à laisser passer la foule.

Quelques minutes avant trois heures moins vingt, je me trouvais, à ce moment précis à 4 ou 5 mètres de la ligne des 25 ou 30 soldats qui barraient presque l’entrée de la rue d’Isly. Tout à coup un grand nombre de soldats déchargèrent leurs pistolets-mitrailleurs sur la foule pacifique des hommes et des femmes sans arme, dans leur dos, sans que j’aie entendu aucun avertissement, aucune sommation réglementaire, aucun cri, provenant de la foule ni des soldats, aucun ordre du jeune lieutenant qui les commandait. Je n’ai notamment pas entendu qu’il commanda l’ouverture du feu. Je me plaquai au sol et commençai à ramper rapidement vers le plus proche couloir, celui qui communiquait avec une pharmacie.

Une balle arracha le dessus de mon manteau, au sommet de ma manche gauche. J’entendais un roulement continu de coups de feu. J’entrai dans un couloir et me retrouvai avec le lieutenant et plusieurs soldats (8 à 10 au moins 1 sergent) qui tournaient en rond et qui étaient dans un grand état d’affolement. Un sergent criait « je n’ai jamais vu cela ». Je demandai tout de suite au lieutenant de commander l’arrêt du feu. Il me dit : « on m’avait donné des ordres » et cherchait à établir le contact avec le PC, avec son petit poste portatif. Il répéta à plusieurs reprises « ce n’est pas de ma faute, ils m’ont donné des ordres, je devais faire mon métier ». Je lui dis « c’est de la folie, il faut arrêter cela » et avec lui nous criâmes de toutes nos forces « HALTE AU FEU » « AU NOM DE LA FRANCE ARRÊTEZ LE FEU » et cela à de nombreuses reprises, ce fut assez long. Le reporter de la radio enregistrait les bruits et nos paroles. Finalement les coups s’arrêtèrent et on entendit seulement quelques coups isolés.

Quand le tir s’arrêta, nous sortîmes avec le préparateur de la pharmacie. Il y avait sur la chaussée à 4 ou 5 mètres de nous un homme qui avait la tête éclatée, en face de l’autre côté de la rue une grappe d’hommes et de femmes qui semblaient ne plus bouger, ils étaient peut-être 6 ou 8. Plusieurs hommes s’étaient allongés sur le dos dans le caniveau, d’autres étaient tombés les uns sur les autres et formaient des sortes de tas de 3 ou 5 qui ne bougeaient plus. Les premiers secours : quelques voitures militaires commençaient à arriver et à emporter morts et blessés. Un ou deux soldats ou peut-être un sergent aidaient à les transporter.

M. LUXO
Directeur à ÉLECTRICITÉ et GAZ d’Algérie

Entretien téléphonique avec Monsieur LUXO
Paris décembre 2007 :

-"Les armes étaient des AA52 et P.M.
-Le journaliste s’appelait MARTIN. Il était journaliste à RTL.
-"Mon chauffeur se trouvait devant chez Le Derby."

Le point rouge indique la position exacte de Mr LUXO au moment du déclenchement du tir.
Les croix rouges indiquent les positions de Mr LUXO dans la Pharmacie et de son chauffeur devant le Café Le Derby.
Le point bleu indique la position du Lieutenant OUCHENE au moment du tir puis la croix bleu, l'entrée de l'immeuble où il s'est réfugié

03

Le Lieutenant Ouchène s'est réfugié au 57 de la rue d'ISLY, (croix bleue ci-dessus)

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Sous la porte cochère où s'est réfugié le lieutenant Ouchène
Source Francine Dessaigne Un crime sans assassin

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