7.4 - Jonction Les Glières - Rue d'Isly

VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants 

6 - LEBLOND Hélène J’ai vu ces tirailleurs... ils tremblaient de peur 

Aussitôt après avoir vu ce film, le 12 septembre 2008, j’étais bouleversée, je me suis retrouvée 46 ans en arrière.

J’avais décidé de participer à cette manifestation de paix pour venir en aide à toute la population de Bab el Oued qui était encerclée et de plus nous n’avions pas le droit de travailler. Je peux vous certifier que j’étais présente au beau milieu de ce massacre et je suis bouleversée de revoir un tel spectacle.

Je me trouvais très précisément au centre de la place, entre la Grande Poste, le Crédit foncier, la rampe Bugeaud, la rue d’Isly et de l’autre côté l’hôtel Albert Ier. Nous étions tous très calmes. Personnellement j’étais avec mon beau-frère (décédé en 1991), une amie Georgette et une troisième personne que nous avions retrouvée sur le trajet en descendant le Plateau des Glières. J’ai vu ces tirailleurs, nous étions au premier rang du barrage, ils tremblaient de peur d’agir ainsi avec leurs fusils mitrailleurs, ils en avaient les larmes aux yeux. Je leur ai demandé de nous laisser passer, en disant, « mon mari aussi est officier », (nous nous sommes mariés en août 1962 à Blida), et sur mon insistance, il nous a laissé passer. Mais notre dernière amie n’a pas eu le droit de suivre … Elle a fait la morte au milieu des morts dans les barres de trolley. Nous l’avons retrouvée vivante plus de 4 heures après …

Que d’émotion ! …

Aussitôt après notre passage (inch’allah ! comme ils disent) cela a commencé de tirer de partout. Ce militaire le dit dans le film et cela venait aussi bien du MAURETANIA (sur les toits) que de l’Albert Ier (balcons) selon ce que les gens disaient...

A trois nous avons pu nous sauver en courant jusqu’au Monoprix de la rue d’Isly où quelqu’un venait de casser les portes en verre pour permettre aux gens de s’abriter. Derrière nous, au moins à 50 mètres, les morts tombaient les uns après les autres … un vrai désastre. Les militaires rentraient même dans les immeubles après le Crédit Foncier et poursuivaient les gens dans les caves, témoignages entendus sur place. Ensuite nous avons dû dégager et partir à plus de trois kilomètres. Je crois que nous avons pu revenir deux ou trois heures après. La rue était remplie de mares de sang (les familles avaient déposé quelques fleurs dans des boîtes de conserve, n’ayant rien d’autre). Le capitaine qui était avec notre équipe a jeté son képi sur le sol et a entonné la Marseillaise par respect pour ces victimes la plupart civiles. C’était l’écœurement général, tout le monde pleurait … Inoubliable ! On nous annonçait de nombreux morts et une multitude de blessés, il n’y avait plus assez de sang à l’hôpital pour sauver tous les blessés.

Après tout cela, pendant plus d’un mois les grilles du Crédit Foncier étaient couvertes de gerbes de fleurs et les parents et amis des victimes venaient s’y recueillir.

Je ne suis pas Pied-noir mais j’ai vécu tout cela avec vous et j’ai prié et partagé vos chagrins. C’est effrayant d’en être arrivé là. J’étais de métropole et j’ai travaillé à Alger d’octobre 1960 à décembre 1963. J’étais à Alger et mon futur mari à l’époque était dans les Aurès en plein djebel à 60 kilomètres de Biskra. Il est décédé en juin 1975 et ma petite fille avait 10 ans.

Hélène LEBLOND LUCAS
21 septembre 2008

 

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 Elle se trouve  en plein milieu - Grande Poste - Bugeaud - Crédit Foncier - Isly. Le barrage Isly la laisse passer et elle a dû dépasser aussi la rue Chanzy au moment des tirs puisqu'elle s'est réfugiée au Monoprix

 

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Elle a fait la morte dans les barres des trolleys

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