7.4 - Jonction Les Glières - Rue d'Isly

VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants 

2 - COLLIN Maurice: "et il y en a des disparus". 

Alger le mardi soir 27 mars – 20 heures
Mon cher grand fils chéri, Depuis plus de huit jours je voulais t’écrire … mais réellement, je n’en ai pas eu le courage !

Vendredi dernier (23 mars,) je me suis rendu à la Direction de la Police judiciaire, rue Colonna d’Ornano, au Palais de Justice à la suite d’une convocation …. Que j’attendais d’ailleurs et j’ai été reçu par le Directeur.

Il m’a demandé toutes sortes de renseignements sur toi, quelles études tu avais faites, comment je t’avais élevé, comment tu avais été incorporé au régiment, comment et pourquoi tu avais choisi les paras, où tu avais fait ton école d’officier … etc. … Il m’a demandé si je pouvais lui donner le nom de plusieurs personnes à Alger pouvant certifier que tu n’avais jamais été une crapule, un activiste déclaré et dangereux, etc. … Ce Directeur m’a montré les renseignements qu’il avait obtenus, la veille, sur toi, à la Direction de la Sûreté, et en effet, aucune fiche n’est établie à ton nom ; tu ne figures pas sur les registres des individus dits dangereux et en résumé TU ES VIERGE de tous mauvais renseignements sur les fichiers d’Alger. Très bonne note, m’a-t-il dit.

En ce qui concerne ta moralité, j’ai donné le nom de 10 personnes d’Alger qui te connaissaient et qui répondront de toi. On ne m’a pas retenu et je suis rentré libre à la maison ; je craignais, en effet, qu’on me retienne comme on a retenu le père de PERRET à BEAUJON, une ou deux journées en attendant de contrôler si mes déclarations étaient exactes.

Maître DAMIEN m’a adressé une lettre me donnant de tes nouvelles qui seraient bonnes (moralement et physiquement) et m’assurant qu’en t’envoyant 20.000 francs par mois c’était suffisant pour tes dépenses à la Prison.

Il me dit que ton procès sera assez long car tu es le seul des inculpés jusqu’ici qui ait été interrogé.

Courage, mon fils.Mon cœur est avec toi, à chaque minute, chaque jour.

Hier, 26 mars, nous avons vécu une journée effroyable : BUDAPEST. Dans notre maison, 4 morts, 20 blessés, les escaliers plein de sang. Une horrible fusillade des troupes (tirailleurs) sur les civils, , qui allaient faire un pèlerinage aux enfermés de Bâb-el-Oued…. Et leur apporter du ravitaillement. Tu ne le sauras peut-être pas, mais il y a près de 70 morts dans les immeubles de notre quartier de la Grande poste et plus de 150 blessés. Nous nous étions enfermés dans la cuisine, car les fusils mitrailleurs et les P.M. tiraient aussi sur les balcons ; nous avons du recueillir des civils blessés, des femmes qui s’étaient évanouies, je leur ai fait des piqures de Coramine, de Solucamphre pour les ranimer et pour qu’elles puissent, la « boucherie » terminée, rentrer chez elles. François RAMOS, son frère et sa belle-sœur s’étaient réfugiés chez nous ; le docteur MARIEL soignait les blessés dans les bureaux de TAM PUBLICITÉ transformés en salle de chirurgie !

Cela n’a pas été beau à voir … et j’en conserverai longtemps le souvenir !!!!!

Depuis dimanche nous sommes en GREVE TOTALE de TOUT ! Plus de journaux quotidiens, entre autres … plus de personnes, bien entendu, plus d’activité dans nos bureaux, chez Baconnier idem. Les ouvriers et employés ne peuvent plus venir car plus aucun moyen de transport. Ce soir on annonce à la radio que pas de journaux demain non plus … la grève totale continue toujours.

Avec Francis qui est venu me voir (avec Gustin), j’essaie d’obtenir une autorisation de voyage pour pouvoir rentrer DÉFINITIVEMENT en France quand nous ne pourrons vraiment plus rester ici ...avec bien d’autres algérois.L’O.A.S. ne laisse pas partir les Français vers la métropole.

Je vais arrêter l’édition de la revue de Médecine, impossible de continuer dans ces conditions. Heureusement que tous nos enfants sont à l’abri en France ...

Je ne peux rien te dire d’autre car j’en ai trop sur le cœur.

Tendrement je t’embrasse, Ton papa Maurice COLLIN
Alger le 29 mars 1962.

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Maurice COLLIN - Alger 1960

 

Cher Monsieur,

Je reçois ce matin seulement votre aimable lettre du 22 mars et je vous exprime toute ma gratitude pour vos amicales pensées pour les algérois. Nous reprenons seulement ce matin le souffle après les journées tragiques que nous venons de vivre depuis lundi dernier.

Quelle horreur ! Quelle tuerie ! Mon immeuble transformé en salle de chirurgie, quatre morts dans les escaliers, les murs plein de sang … les impacts des balles sur les façades, les balcons et quel bilan ! Bien entendu pas celui qu’annonce la presse et la radio … vous vous en doutez ?

Il ne manquait plus que des canons détruisant les maisons pour que ce soit tout à fait BUDAPEST ! Il n’y a plus de glaces sur les magasins, des flaques de sang sur la chaussée de la poste à mon immeuble … des morts sont restés six heures étendus dans la rue, sous les fenêtres … avant qu’on vienne les ramasser dans des camions, en vrac … comme des ordures ! On s’occupait d’abord des blessés Passons … Bien pire nous attend encore quand les centaines de milliers de musulmans des quartiers arabes vont « descendre en ville pour régler leur compte aux européens » (sic). Et ils viendront avec des couteaux, eux …).

Nous ne pouvons plus partir en France, les départs sont interdits par l’O.A.S. et elle est toute puissante auprès des guichetiers d’Air France et ceux d’Air Algérie. Si vous voyez le visage des Algérois et l’atmosphère de la ville ! Cela vous étreint le cœur et vous donne la nausée … Tout ce sang qui n’a pas été lavé, ces tas de vêtements masculins, féminins, au pied des immeubles, au pied des arbres, ensanglantés, des chaussures de femmes, des imperméables, des lunettes, des portefeuilles déchirés, des chapeaux, le tout taché de sang aussi … Les gens essaient de retrouver des objets des leurs qui ne sont pas rentrés, qui ne sont pas à l’hôpital, qui ne sont pas à la morgue …. Et il y en a des disparus depuis mardi !

Si le Gouvernement et les princes qui nous dirigent étaient sur place, ils verraient …. et ils ne traiteraient pas l’Algérie comme ils le font.

Pour mon fils, merci infiniment de votre offre si aimable de le contacter, de lui adresser un colis, de voir son avocat : tout cela est INTERDIT ; il est au secret depuis son incarcération et il n’a été interrogé qu’une seule fois en présence de ses deux avocats (Maître André DAMIEN à Versailles et Maître GUIBAUD à Paris) qui étaient les avocats de ses officiers lors du putch 1961. Il sera bien défendu mais malheureusement il y a dans cette affaire un gendarme tué et cela est grave pour tous les participants du complot. Evidemment mon fils n’est pas le tueur du gendarme, mais enfin il a donné des renseignements aux membres du complot. Quand reverra-t-il la liberté ?

Je vous adresse une photocopie de la lettre reçue de son avocat etl a copie d’une lettre que (de sa main gauche) il m’a adressé de la Santé (vous n’auriez pas pu déchiffrer son écriture et je l’ai fait taper à la machine. Vous verrez quel est son moral !!! Et cette lettre a été censurée par la Direction de la prison ...elle n’a pas été arrêtée et transmise ! Cest vous dire que même à la Santé il y a des gens fonctionnaires qui comprennent notre patriotisme et notre volonté de rester français en Algérie. .....................................

Toutes mes sincères et bonnes amitiés

Maurice COLLIN

Lettres offertes par Jean-François COLLIN, Président de l’ADIMAD (Association amicale pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française) - 68 Traverse des Loubes - 83400 Hyères les Palmiers.

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Jean-François COLLIN - Hommage au Général Raoul SALAN - Toulon 28 Août 2012

Avec tous mes remerciements.

N° 55 (Croix rouge) Domicile de la famille COLIN

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