5.26 - MESQUIDA Jeannine née GAUTRIAU 41 ans

1 - Témoignage d'Alfred Mesquida son époux

Voici mon témoignage concernant les tragiques évènements qui ont eu pour scène l’espace situé entre une extrémité de la rue d’Isly et l’Hôtel des Postes, cet après-midi du 26 mars 1962.

Un peu avant 15 heures, j’arrivais à cet endroit, venant du Champ de Manœuvres. J’étais en compagnie de mon épouse, de mon oncle et d’un ami de ce dernier. Il y avait foule à cet endroit. Un cortège précédé d’une immense banderole tricolore et d’un drapeau également tricolore, arrivant par l’avenue du 9ème Zouaves, passa parmi nous et prit la direction de la rue d’Isly. J’ouvre ici une parenthèse car, à ce moment précis, il y eut devant l’Hôtel des Postes, une bousculade. A la surprise de tous ceux qui se trouvaient autour de moi, nous nous aperçûmes que cette bousculade était due à la présence d’un civil vietnamien. Puis cette bousculade très brève cessa.

Le cortège à cet endroit, un moment disloqué, reprit. A l’entrée de la rue d’Isly, je vis plusieurs soldats musulmans. Et puis, avec la soudaineté d’un éclair, l’affreux drame éclata. Un tir extrêmement nourri, provenant d’armes automatiques de toutes sortes nous arrosa ; nous qui étions tous là, nous nous jetâmes violemment sur la chaussée, parmi les « couchez-vous » que certains d’entre nous faisaient entendre. Et le tir aussi continua, toujours dirigé contre nous. Je me trouvais à 50 centimètres de mon épouse et de mon oncle. Contre moi, un homme était couché, son corps me masquait l’entrée de la rue d’Isly. Mais je voyais ; sur le trottoir où se trouve le café « le Derby » plusieurs soldats musulmans. J’en voyais plusieurs mais je n’en regardais qu’un. J’étais horrifié car la scène, à laquelle j’assistais, dépassait les limites de l’horrible. Chaque fois qu’un cri de douleur s’élevait de cette masse de corps allongés, ce soldat musulman revêtu de l’uniforme français, cette bête immonde, en ricanant, en insultant, dirigeait vers l’endroit d’où semblait venir le cri de douleur, le tir de son pistolet mitrailleur. C’était affreux. C’était épouvantable, c’était abominable. Nous vécûmes ainsi durant de longues minutes un affreux cauchemar. Et à ce moment, j’entendis mon oncle appeler ma femme : « Jeanine, Jeanine, vous êtes touchée ? », la malheureuse martyre venait d’être foudroyée. J’apercevais son corps, ses pieds à quelques centimètres de ma figure. Il me semblait apercevoir une affreuse blessure à l’intérieur de ses cuisses. Et je voyais toujours cet abominable monstre qui continuait à ricaner et à cracher la mort. La balle qui venait de frapper ma femme provenait-elle de son arme ? Il ressemblait à un arroseur municipal qui arrose consciencieusement la chaussée. Mais un tel crime, est-il possible qu’il reste impuni ? Vous, officiers français, remuez ciel et terre afin de savoir qui étaient ces bêtes féroces revêtues de l’uniforme français qui se trouvaient à l’entrée de la rue d’Isly et qui ont assassiné pendant des minutes qui ressemblaient à des siècles, qui ont assassiné sans arrêt.

Sachez officiers français, cet horrible détail qui risque de salir pour l’éternité votre uniforme : cette martyre, mon épouse, était métropolitaine, originaire de Cozes (Charente Maritime). Elle était venue en janvier 1946 en Algérie où sont nées mes quatre petites filles, épouse d’un grand mutilé, grièvement blessé en participant à la libération de la métropole, cette métropolitaine a été tuée en criant « Vive la France ».

Alfred MESQUIDA
Instituteur
Né le 19-07-1925
Grand mutilé de guerre 100% +8°
Chevalier de la Légion d’honneur
Médaillé militaire, cité à l’ordre de l’Armée le 19 avril 1945 par M. le Général De Gaulle
Chef du gouvernement de la République française
.

Témoignage paru dans "Le Livre Blanc de Francine Dessaigne"

Alfred Mesquida est aujourd’hui décédé.

JEANNINE MESQUIDA

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Jeannine Mesquida est à terre. On la voit sur le bas de la photo,
au centre, habillée d’un pull-over blanc

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VI - Les témoignages - Grande Poste Les familles, les amis, les journaux

Elle lève le bras et crie "halte au feu

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Ils crient "Halte au feu, ne tirez pas"
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Et retombent mortellement blessés
Et puis l’horrible morgue : en vrac, affreusement mutilés, par terre
Tracts placardés dans toutes les rues d'Alger

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VI - Les témoignages - Grande Poste Les familles, les amis, les journaux

2 - Témoignage de Jackine l'aînée des quatre filles - 83400 Hyéres-les-Palmiers.

« Il y a 45 ans, c’était hier..... Nous étions ensemble, mes sœurs, mes parents et moi, famille unie, tous ensemble pour marquer notre attachement à une terre qui était la nôtre et à laquelle nous étions profondément liés.

Difficile de décrire la vie simple et heureuse de tous les jours malgré la guerre, ce bonheur de défendre un pays, d’y croire ...jusqu’à ce jour du 26 mars qui ressemble tellement à un autre jour qui se lève ...

Et pourtant, tout bascule dans l’horreur ce 26 mars 1962 ... Notre père qui rentre seul, cet après-midi-là, serrant entre ses bras, un sac à main de femme, ensanglanté. Entre deux sanglots, les mots terribles qui ne veulent pas sortir ... "elle est blessée", puis "elle est morte". A cet instant c’est l’enfer pour nous sur cette terre.

Pourtant du haut des terrasses, nous les avions entendus ces tirs, ces rafales, ces hélicoptères. Nous savions qu’il se passait quelque chose de terrible an centre-ville.

L’horrible vérité, ce terrible choc, nous l’avons à nouveau ressenti quelques jours plus tard, à la lecture de Paris Match, montrant ces martyrs entassés, qui supplient, qui lèvent les bras, qui hurlent en direction de leurs bourreaux et qui prient sous le feu incessant des armes qui les arrosent. Cela est insupportable à voir, à vivre. Pour tous ces bras qui se tendent implorants, suppliants, pour les blessés et les témoins qui ont vécu ces atroces moments, nous devons réagir.

La France doit savoir ce que le peuple pied-noir a enduré. Nous exigeons la vérité. Nous demandons réparation à la France et l’ouverture des archives pour la mémoire de tous ceux qui ne peuvent plus "raconter". Assez du silence des médias et des politiques. Prions pour que la vérité soit ».

Jackine a souffert de dépression

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Nicole - Jackine et Françoise Mesquida
Arc de Triomphe Paris 2005 - Commémoration avec l'association "Souvenir du 26 mars"


VI - Les témoignages - Grande Poste Les familles, les amis, les journaux

3 - Témoignage de sa troisième fille, Françoise Mesquida  - 83220 Le Pradet.

« ... - Soudain, je vis papa, entouré d’une foule de gens et soutenu par deux hommes. Ils allaient tous franchir l’entrée. Je criai :"Papa est blessé ! Papa est blessé !". Nicole eut juste le temps de se hisser sur la pointe des pieds pour apercevoir papa. "Va chercher les autres, dis-je", en parlant des aînées et en me précipitant à sa suite sur le palier. Justement elles arrivaient en courant. Dans les escaliers, on entendait maintenant les pleurs douloureux de papa et les voix des gens qui tentaient de le calmer. Et puis, on le vit, lui papa, complètement effondré hurlant tel un animal blessé, avec cette foule tout autour de lui. Tout le monde entra dans la cuisine. On assit papa sur une chaise. Les gens pleuraient et nous aussi maintenant. "Papa, tu es blessé ?" Papa ne répondit pas. Ses sanglots, ses hurlements de douleur lui bloquaient sans doute la parole.

"Et maman, où est maman" ? demande-t-on, soudain. Personne ne répond. Papa redouble de sanglots. Et je lis dans tous ces yeux posés sir nous une immense pitié, une compassion terrible, effroyable. Une impuissance éternelle. Pourquoi ces regards ? Et pourquoi le tien Papa ? Maman est blessée. Tu n’oses pas nous le dire ? "Où est Maman, Papa ? Où est Maman ? hurle-t-on de pressentiment, de désespoir. L’attente de savoir est atroce, mais plus effroyable ce silence. "Elle est blessée", nous dit-il, d’une voix étouffée par les sanglots. "On veut la voir !" hurle-t-on, prêtes à tirer papa de sa chaise. Mais Papa ne bouge pas. Juste il nous regarde, hébété. Et je lis avec effroi, dans ses yeux injectés de sang, accablement, désespoir. Et soudain je crois entendre :"Dites-leur ! Il faut leur dire !" Leur dire quoi ? Mais de quoi parlent-ils tous ? Non pitié, ne dites rien ! Je ne veux plus rien savoir !

Et l’atroce vérité est sortie des profondeurs de sa douleur, presque brutalement : "Ils l’ont tuée, a dit papa. Ils ont tué votre maman". Je me bouche les oreilles. Trop tard. Le pire vient d’entrer en coup de poignard. Nous hurlons, hurlons d’effroi et de douleur. Comme des bêtes ... Les gens nous attrapent, nous serrent tout contre eux, pour tenter de nous calmer. Je me débats. Je manque d’air. Je suffoque. "Maman ! rendez-moi ma maman !". La douleur est toute puissante, insupportable. Je me précipite contre papa, je m’accroche à lui. Comment échapper à l’horreur ? Se réveiller du cauchemar ? Mes sœurs se sont enfuies sur le palier et leurs cris frappent dans ma tête, me broient le cœur : "Maman ! Maman !" intensifiant ma douleur. Oh mon Dieu, faites que ce ne soit pas vrai !. Demain je me réveillerai et tout ira bien. Je vous en supplie, mon Dieu, faites ! Papa me serre fort dans ses bras, comme jamais. Les sanglots secouent son corps. Joue contre joue, nos larmes se mêlent. Lui, si fort d’habitude, est tout effondré, vulnérable, hurlant comme un petit privé de sa mère. Notre mère à tous.

C’était insupportable. Insupportable ma douleur et celle des miens. Insupportable le pire, l’irréversible .... »

Françoise Mesquida  a témoigné de cette tragédie en publiant deux livres : "A la porte de l’Oued" et "Chroniques d’une jeune fille dérangée" Editions L’Harmattan.

Elle, aussi, a souffert de dépression.

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Françoise Mesquida Marseille 2006
A côté d'elle Chloé Langrenay la petite-fille de Philippe Gautier


VI - Les témoignages - Grande Poste Les familles, les amis, les journaux

4 - Nicole Mesquida la dernière des quatres filles a souffert d’une grave dépression, attestée par un certificat médical (pour valoir ce que de droit). Elle ne peut toujours pas témoigner de quelque façon que ce soit, hormis de sa présence silencieuse aux commémorations du 26 mars.

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Nicole Mesquida Marseille 2008 (et Saïd Merabti)


5 - Témoignage des journalistes

La Dépêche d’Algérie
Vendredi 30 mars 1962

Dans la nuit de mercredi à jeudi, les autorités avaient procédé à l’acheminement de la plupart des corps des victimes de la fusillade de lundi vers les cimetières de la ville où les familles avaient manifesté le désir de les inhumer.

C’est au cimetière de Saint Eugène, du boulevard Bru, d’El Alia, d’El Biar, qu’avaient lieu ces obsèques. Cependant que dans l’intérieur, à Médéa, avait lieu l’inhumation de Monsieur Émile Loretti et à l’Alma  celle de Monsieur Fernand Magne.[1]

Au dépositoire du cimetière du boulevard Bru se trouvaient les corps de Messieurs Louis Fermi, Marcel Puig, René Richard, François Pisella, Jacques Innocenti et de Madame Anne  Mesquida.[2] Le corps de Monsieur Roland Gerby était amené dans l’après-midi.

Des 8 heures une foule considérable attendait devant l’entrée du cimetière Bru, Chemin des Crêtes. Le service de gestion du cimetière pris au dépourvu par les arrivées non prévues des corps pendant la nuit, s’activait dès  l’ouvertures des grilles, à creuser les fosses et à dresser un horaire approximatif des inhumations.

La foule, qui attendait au-dehors, comme pour les enterrements habituels, dut parfois se rendre au dépositoire pour une courte prière devant le cercueil d’un ami ou d’un parent et présenter les condoléances à la famille avant que le corps ne soit inhumé. L’inhumation avait lieu plus tard en présence de la famille seulement, comme pour Monsieur Jacques Innocenti, par exemple.

Pendant ce temps un cortège passait dans l’allée, sans prêtre et sans employé des Pompes funèbres. Le cercueil porté à bras par des amis du défunt. On en arrivait à se demander si les cortèges n’allaient pas se croiser dans l’allée.

[1] Magne Fernand a été mis par erreur dans la liste du 26 mars. Il est décédé à l’Alma, dans son lit d’une crise cardiaque. Confirmé par deux fois : des amis l’ayant connu et par l’association L’Alma – l’Alma marine – Le Corso.

[2] Il s’agit de Jeannine Mesquida

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VI - Les témoignages - Grande Poste Les familles, les amis, les journaux

** Attestation délivrée par La Sûreté nationale - Sécurité publique - n°872 - à Alger le 5 avril 1962.


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Nous, soussigné, commissaire de police... ? ... 10 è Arrondissement de la Sécurité publique d’Alger,

ATTESTONS, que

Madame MESQUIDA née GAUDRIEAU Anne, âgée de 41 ans, domiciliée à Alger, HLM, 5è groupe, Bâtiment B, Champ de Manœuvres, Alger, a été tuée lors des évènements du 26 mars 1962, vers 15 heures, à l’aide d’arme à feu, à Alger, entre la chicane de la Grande Poste et de la Boîte aux lettres des automobilistes. Mention de cette affaire est portée à la date du 5 avril 1962 sous le numéro 872 du registre journalier de notre commissariat.

En foi de quoi, sera délivrée la présente ..... ?....... et valoir ce que de droit.

Fait à Alger, ces : jour, mois et an ... ?

L’Officier de police Principal

** Courrier du maire de Cozes, en date du 14 octobre 1965, à Monsieur Mesquida qui a fait une demande de pension d’ascendant en faveur de ses beaux-parents.

Le Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre demande, afin d’établir un certificat de nationalité de Jeanine Mesquida, décédée, née GAUDRIEAU, un extrait complet du décès du père de Monsieur Mesquida, pour bien prouver qu’elle n’avait pas perdu la nationalité française par suite de son mariage  ?!!!Ce serait  Frantz Kafka  découvrant la France ! S.G.

La pension a été accordée à la suite des preuves apportées

** Les sœurs Mesquida, pour éviter d’avoir à faire autopsier le corps présumé de leur mère, écrivent au Médiateur de la République, l’autorisation de prendre connaissance des archives se trouvant au Ministère des Affaires Étrangères sous les côtes Fonds A : liasse 39, 40, 41, 42, 43

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Elles reçurent en réponse qu’elles s’étaient trompées d’adresse !
Cynique ! et cruel.S.G.

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