4.6 - France 3 - 2008 : Jean-Claude HONNORAT, Journaliste.

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Le 4 juin 2008

Jean-Claude HONNORAT - Journaliste France 3 est-var
La Combe du Cade - 83300 DRAGUIGNAN à

Madame Simone GAUTIER

Chère MadameTout d’abord, pardonnez-moi mon retard à vous répondre : j’ai passé une semaine animée entre gendarmes et gitans pour une affaire d’évasion et la volée de plombs qui l’accompagnait … Deux accidents du travail en quelque sorte, formant un cocktail très médiatique.

J’ai tardé à vous répondre mais vous avez, par votre livre et vos courriers occupé mon esprit chaque jour. Comment expliquer ce sentiment étrange d’avoir été le contemporain de votre guerre sans l’avoir au début comprise … J’avais 14 ans en 1962, métropolitain d’origine, nourri par la RTF qui dénonçait chaque jour les terroristes de l’OAS, j’ai été privé de la vérité que je cherche depuis, chaque jour, à reconquérir.

Votre livre est un bonheur de sentiments et de fine écriture. Lumières, parfums, paradis de l’enfance sur une terre qui vous semblait éternellement acquise. Et votre si grand histoire d’amour ! Comment survivre à une telle déchirure ! (Je connais le commando Hubert … avec qui j’ai réalisé de nombreux reportages, étant caméraman-chuteur : 857 sauts, dont 220 avec 5 kg de caméras sur le casque !

J’ose vous dire que vos mots m’ont fait monter des larmes. Pleurer sur une histoire de Pied-noir ! Jamais il y a quelques années encore je m’en serais cru capable !Je suis arrivé à ce retournement par la recherche de la vérité et des visites au Maghreb. Après plusieurs séjours au Sahara (Niger, Mali) pour des reportages sur la guerre des Touaregs, j’ai enfin connu l’Afrique du Nord. Maroc, Tunisie, Algérie, où j’ai rencontré dans ce dernier pays les gens les plus étonnants : gentils, accueillants, aimant la France … mais aussi très secrets, torturés de l’intérieur et souvent imprévisibles.

Cela m’a rappelé cette impression de trahison souvent évoquée par les pieds-noirs eux-mêmes à l’égard des musulmans. Nous étions frères mais pas beaux-frères. On rigolait ensemble mais dans les têtes, on était si différents » … D’ailleurs, la colonisation ne s’était jamais vraiment établie. La révolte couvait toujours, entretenues par les maladresses et la crainte des gouvernements successifs soutenant la cupidité de quelques grands colons, propriétaires de l’information. Les colonisés subissaient, ils profitaient, ils fomentaient …

Le comédien Fellag raconte l’histoire de cette façon : « Ah, nous les Algériens, on s’est toujours battus pour notre liberté ! Les colonisateurs espagnols, on les virés, les Portugais, virés ! les Romains, virés ! les Turcs, virés ! les Français, virés ! Alors on s’est retrouvés entre nous et l’on s’est virés nous-mêmes !!!!! (Allusion à la guerre civile algérienne depuis 1992 !).

Je suis allé souvent à Alger, en toutes saisons, marchant des heures sur des trottoirs défoncés. Une à une, j’ai identifié les rues, les bars, les stades des attentats dont parlait la RTF de mon enfance. Je rentrais crevé le soir, au Saint Georges, devenu l’El Djazãir. En décembre 2004, j’ai enquêté, protégé par la SM algérienne sur un certain Mohamed B … membre du GSPC, ravitailleur des maquis islamistes de Médéa. C’était le fils de ..., ..., poète incantateur de la Casbah … Sa fille ... était prof de danse orientale à .... J’ai vécu deux ans inoubliables avec elle jusqu’à ce que je découvre que 10% de ses gains partaient chez son frère, par solidarité !!!!! Les bourgeoises de ... ignoraient que 10% de leurs cotisations au Club de Danse orientale atterrissaient dans le maquis des barbus !!!!! Démasquée, elle est partie aussitôt. Je viens d’apprendre qu’elle se cacherait à Lille !!!!!

Voilà donc aussi pourquoi l’Algérie me fascine. Mais c’est une vue romantique et finalement touristique.

Pour vous c’est une autre vision. Une horreur. Une plaie infinie. La révolte d’avoir été prise en otage dans le piège d’une affaire d’État. L’assassinat politique et planifié d’une foule. La misérable combine d’un pouvoir hautain, dédaigneux et raciste, disons-le. Le bouquin de Georges-Marc Benhamou le dit bien : dans ses conversations avec Messmer, De Gaule, méprisant disait : mais que faire maintenant de tous ces Martinez, ces Rodriguez et Hernandez ?

Comment réussissez-vous à survivre sans avoir envie de tout casser ? Mais vous êtes une femme. Vous exorcisez le mal par la littérature. Vous parlez, vous dites. Vous me parlez, vous m’écrivez. Vous me convainquez.

Enfin je sais une chose, j’en suis même certain : Justice un jour sera rendu à votre cher époux et à tous les martyrs de cette exaction historique. Viendra le temps de l’analyse froide des faits et de leurs commanditaires. L’histoire est écrite par les vainqueurs. L’histoire de la 5ème République commencée par un coup d’État finira dans la longue révélation de ses turpitudes.

Les Juifs, les Arméniens, et tant de peuples martyrisés, savent cette chose que j’ai personnellement vérifiée chez les Arméniens : le massacre se produit …. Les survivants s’enfuient et se noient dans le paysage … Ils jettent leur énergie dans la survie, l’intégration à un pays nouveau … Ils font des enfants qui s’intègrent magistralement, mais arrive le 3ème et la 4ème génération et là, ça éclate. Ces jeunes exigent des réponses : pourquoi a-t-on tué mon grand-père à tel endroit ? Pourquoi vous n’avez pas protesté plus fort ? Nous, petits-enfants de la catastrophe allons régler ça !

Les Juifs n’ont de cesse de tirer au clair les moindres détails de la Shoah, les Arméniens avaient fondé une armée secrète, l’Asalah. Ils ont tué des dizaines de diplomates turcs avant que l’ONU condescende à envisager de reconnaître le génocide de 1915 … Viendra le temps où la télé publique, si elle existe encore enquêtera en profondeur sur les rafales de la rue d’Isly et de la Grande Poste !

Je vous adresse mes remerciements pour tout le plaisir et la curiosité que votre livre a éveillé en moi. Saluez Monsieur Cuesta qui relève chaque signe adressé aux pieds-noirs dans mes reportages. C’est devenu un jeu. Le jeu de la vérité pour votre peuple martyrisé.

Je vous embrasse, même si l’on ne s’est jamais vu. Et puis, vous nous l’avez appris, il faut que la vie gagne sur l’injustice et le chagrin.

A bientôt, on se parlera encore de ce pays, de votre vérité, de ces visages absents qui peuplent le ciel chaque heure, chaque jour.
Jean-Claude HONORAT

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