1.6 - Le 5 juillet à ORAN - Les témoignages

VII - Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - Le 26 mars… Le 5 juillet… les massacres continuent  


9 - Témoignage de Jean-Claude SANCHEZ  Retraité de l’Éducation nationale

Je me nomme SANCHEZ Jean-Claude, né à Oran (Algérie) le 29 Juin 1940, retraité de l’Éducation Nationale, car j’étais professeur d’E.P.S., formé au CREPS de BEN AKNOUN à Alger. Je fus nommé au lycée Leclerc de Sidi Bel Abbès en Octobre 1961 et j’y ai exercé jusqu’en Juin 1962.

Le 5 Juillet 1962, j’étais à Oran. En compagnie d’un membre de ma famille, nous avions décidé d’aller dans le centre-ville, au siège d’une compagnie de transports maritimes, sise Boulevard Galliéni, afin d’y obtenir une autorisation d’accès au port et pouvoir, plus tard, embarquer avec toute notre famille, sur un bateau en partance pour la France.

Nous étions donc alignés en « longue file » sur le large trottoir devant l’entrée des bureaux de la société en question, en compagnie de quelques centaines de personnes qui étaient dans la même situation que nous.

Il était environ 9h30, un cordon de quelques algériens en tenue militaire et armés de PM, étaient censés veiller au bon déroulement des opérations. Tout à coup, nous avons entendu un grand vacarme de klaxonnes de véhicules, des yous- yous, des cris de toutes sortes et slogans anti-français. C’était tout simplement un effrayant déferlement de gens excités et armés de haches, de couteaux, de bâtons, de révolvers, qui étaient censés manifester leur joie d’être indépendants.

Comme le vacarme allait grandissant, nous avons décidé, avec mon ami, de rejoindre notre domicile à Bel Air, car il était évident que la dizaine de policiers ou militaires de faction, nous semblait bien dérisoire pour nous protéger en cas de besoin. Nous avions décidé de passer par des petites ruelles pour éviter le défilé qui nous semblait de plus en plus agressif.

En passant devant la Grande Poste, nous avons vu un énergumène armé d’un révolver qu’il pointait sur la poitrine d’un vieux Monsieur, à qui il intimait l’ordre de lui remettre les clés de sa voiture. Comme le français semblait vouloir résister, nous lui avons conseillé d’obtempérer et de partir à pieds. L’agresseur nous regarda avec un rictus au creux des lèvres et nous fit comprendre que la suite risquait de nous donner raison.

Puis nous avons continué notre chemin.

Nous n’étions pas arrivés chez nous que nous entendions des cris d’horreur et de nombreux coups de feu. Le massacre des Français à Oran avait commencé et nous avions compris que nous l’avions échappée belle, car la police et l’armée française étaient complètement absentes, cloitrées dans leurs casernements, sur ordre des autorités.

Une fois rendu chez moi, j’étais heureux d’être encore en vie mais je déchantais vite car ma sœur qui devait être là vers 12h30, n’étais toujours pas arrivée et nous craignions le pire, bien entendu.

Fonctionnaire civile au service des essences aux Armées, ma sœur devait utiliser le véhicule militaire qui transportait le personnel de cette administration, véhicule qui fut stoppé sur son parcours par la foule enragée. Par le hublot arrière, les personnels présents ont pu apercevoir la 4 CV Renault d’un de leurs collègues nommé Monsieur NAVARRO, qui les suivait, stoppée également puis poussée comme on pousse une boule de neige (en la roulant), vers les quartiers musulmans, que l’on appelait « village nègre », puis « la ville nouvelle » à Oran. Ce fonctionnaire n’a jamais été retrouvé, que je sache. Quant à ma sœur et les autres occupants femmes et hommes, ils furent emmenés au commissariat central de la ville, par la police algérienne. Les femmes, à l’étage en compagnie d’autres femmes, les hommes, au sous-sol d’où, parait-il on ne ressortait jamais vivants !

Les femmes eurent beaucoup de chance car, lorsqu’elles entrèrent dans la salle, elles furent accueillies par un officier de police algérien, et apercevaient également un nombre important de journalistes étrangers, à qui le policier expliquait que ces femmes auraient été recueillies pour les protéger de la foule excitée qui avait envahie la ville, et qu’elles seraient reconduites à leur domicile par les soins de la police algérienne, dès que la situation le permettrait. Ce qui fut fait. En effet, ma sœur fut déposée chez nous vers 16h30.

Ceci dit, nous savions que le massacre des Oranais continua quelques temps, et les enlèvements aussi. En conclusion, les « Accords d’Evian » fonctionnaient à sens unique (par la France).

Environ une semaine plus tard, nous fûmes rapatriés par le porte-avions Lafayette, qui nous débarqua à Toulon. Bien entendu, j’étais heureux de m’en être sorti à si bon compte, mais 60 ans après, je pense encore à ces milliers d’Oranais qui furent massacrés.

Oui, je dis bien plusieurs milliers d’Oranais et Oranaises qui furent massacrés ou enlevés pendant cette période du 5 Juillet. Aussi, le sentiment qui me poursuit et qui me hantera jusqu’à la fin de mes jours, est un sentiment de honte et de haine pour les hommes politiques et certains militaires français de cette époque, qui ont permis que les choses se passent ainsi.

En effet, avant le « cessez le feu », l’armée française maitrisait parfaitement la situation sur tout le territoire algérien. Pourquoi les ordres venant de Paris, furent-ils d’abandonner le terrain et les hommes, sans s’assurer de leur sécurité ? Et je pense, là, aux Harkis et à leurs familles, ainsi qu’aux populations françaises dans les campagnes, dans les villes et les villages.

Pourquoi, le 5 Juillet, les ordres émanant de Paris, furent-ils de rester dans les casernes, en sachant ce qui se passait, et de surtout, ne pas intervenir pour protéger la population française qui avait espéré jusqu’au dernier moment, pouvoir rester et vivre sur cette terre où elle était née (En effet, il n’y a qu’à voir le nombre de français recensés lors de l’exode, après le 5 Juillet).

Je pense que l’on pourrait nommer cette attitude « complicité de génocide ». Et surtout, que l’on ne nous dise pas que l’on ne savait pas à Paris, ce qui se passait à Oran et dans toute l’Algérie. On sait bien aujourd’hui, que des comptes rendus parvenaient régulièrement, d’heure en heure, aux autorités françaises bien installées à Paris, bien à l’abri et au chaud !

Je tiens à préciser que je suis retourné plusieurs fois à Oran, et que j’ai toujours été accueilli comme un enfant du pays, par les algériens, jeunes et moins jeunes, que nous croisions dans les rues, et qui ne cessaient de nous dire « vous êtes nés ici, vous êtes ici chez vous », « soyez les bienvenus ».

Je tiens également à rappeler que beaucoup de témoignages font part d’attitudes que l’on peut dire héroïques, de certains algériens qui, pendant les massacres, ont sauvé et parfois au péril de leur vie, des français d’Algérie sur le point d’être assassinés.

En conclusion, je peux dire que je n’en veux pas du tout aux algériens du peuple comme moi, avec qui nous avons gardé d’excellentes relations et qui nous reçoivent encore aujourd’hui, comme des membres de leurs familles.

Par contre j’en voudrais jusqu’à la fin de mes jours, aux responsables politiques français, d’avoir fait preuve d’autant d’incompétence dans cette situation dramatique : Ils avaient la mémoire courte, car certains de ces français abandonnés à leurs bourreaux algériens, n’avaient pas hésité à venir en France pour les libérer de leurs bourreaux allemands, dans les deux dernières   guerres mondiales. Et leurs enfants avaient le droit d’espérer un peu de reconnaissance de la part de la France et du peuple français.

Le 8 septembre 2014

 

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Lycée Leclerc - Sidi Bel Abbes

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