1.1 - Mise au point sur la valise ou le cercueil - Maurice Faivre

VII - Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - Le 26 mars… Le 5 juillet… les massacres continuent


 « La valise ou le cercueil » -  Maurice FAIVRE - Paru dans « l’ algérianiste » Trimestriel n° 120 – décembre 2007 Pages 44-45

Il a existé en Algérie un parti "français" favorable à la colonisation [...]  Le nationalisme algérien, qui n'a trouvé son unité qu'après 1962, s'est imposé par la guerre civile.

Les faits doivent être rétablis à propos du slogan « la valise ou le cercueil » diffusé à Constantine, en 1946.

Dans un numéro de La Croix de mars dernier, l’article de Mourad et de Fend Louanchi est une démonstration étonnante de l’influence que les médias et les manuels scolaires algériens exercent sur l’opinion des jeunes Maghrébins. Dans la même page Hassan Remaoun évoque à mots couverts le manichéisme de ces manuels, qu’il avait lui-même largement critiqué lors du colloque de mars 1996 sur La Guerre d’Algérie et les Algériens (A. Colin, 1997), montrant comment des historiens militants – en général ce sont des oulémas – imposent leur vision idéologique d’un peuple unanime qui, ayant résisté au colonialisme depuis 1930, a arraché son indépendance par la lutte armée grâce à la victoire militaire sur l’armée d’occupation. Mohamed Harbi corrige heureusement dans son article, cette lecture de l’histoire qui a favorisé la culture de guerre et la haine de la France. Il a influencé la communauté maghrébine en métropole. Il montre qu’il a existé en Algérie un parti « français » favorable à la colonisation, et que le colonialisme algérien, qui n’a trouvé son unité qu’après 1962, s’est imposé par la guerre civile.(1)

Il faut donc rétablir les faits sur la propagation du cri de guerre (« étymologie de « slogan ») « la valise ou le cercueil », qui a été diffusé à Constantine dans un tract de 1946, émanant du courant populiste des nationalistes les plus radicaux, dont l’un des représentants, Ben Tobbal, exigeait le rejet des Européens, à l’exception des Juifs. Il faisait écho au leader Lamine Debaguine qui avait déclaré en novembre 1942 : « il faut créer un fossé irréversible entre les Européens et nous ». En revanche les nationalistes modérés de l’ U.D.M.A. et les messalistes du M.T.L.D. considéraient les Européens, avant 1954, comme des Algériens appartenant à une patrie commune. La proclamation du FLN du 1er novembre 1954 affirmait le respect de toutes les libertés sans distinction de race ni de confession religieuse. Ce jour-là, il y eut peu de victimes européennes.

Cependant, la tendance populiste l’emporta dès le mois de mai 1955 dans le Constantinois, et particulièrement le 20 août, lorsque Zirout Youssef lança des hordes de tueurs dans d’horribles massacres, dans le but de rejeter à la mer tous les infidèles. Cette entreprise de fanatiques fut d’abord condamnée par Abbane Ramdane. Mais en juin 1956, Abbane Ramdane et Ben M’ Hidi appelèrent à la même violence aveugle, en réplique à l’exécution capitale de deux terroristes. Le mot d’ordre est de « descendre n’importe quel Européen de 18 à 54 ans. Pas de femmes, pas d’enfants, pas de vieux ». En contradiction avec le congrès de la Soummam qui avait ouvert la nation algérienne aux autres communautés, le Comité de coordination et d’exécution (C.C.E.) opte en septembre 1956 pour la stratégie du pire. Le mot d’ordre est alors de « tuer un Européen, n’importe quel Européen ».

En décembre 1956, 95 Européens sont assassinés et, en 14 mois de bataille d’Alger, le maire Jacques Chevalier, déplore 314 morts et 917 blessés. L’opinion française se représente-t-elle l’impact de cette tuerie sur une population paisible ? 300 et 900 sur un million, cela fait 18.000 morts et 55.000 blessés sur la population française d’aujourd’hui.

Malgré l’amélioration de la situation en 1958, le slogan « la valise ou le cercueil » est donc présent dans l’esprit des Français d’Algérie, il est évoqué par les médias comme une menace latente qu’il faut conjurer. Ce n’est donc pas l’OAS qui l’a inventé, même si certains de ses tracts le citent pour engager les Français à résister à la politique d’abandon du Gouvernement. L’OAS interdit même aux Européens de choisir la valise, mais après la fusillade de la rue d’Isly, cette interdiction ne sera plus respectée.

L’historien Guy Pervillé « ne peut expliquer ni juger l’action de l’OAS isolément de celle du FLN ». A partir du 17 avril 1962, en effet, c’est pour lutter contre l’O.A.S. que le FLN déclenche une série d’enlèvement d’ Européens, qui en fait, n’atteignent pas les membres de l’OAS bien protégés au centre des villes, mais des colons isolés dans le bled et des habitants des quartiers périphériques où cohabitent les communautés. La découverte de charniers près de Maison Carrée augmente la peur et incite les Européens à quitter l’Algérie.

Même après les accords-Susini-Mostefaï et après le départ pour l’Espagne ou la France des derniers commandos de l’OAS, le FLN prendra prétexte de la crainte de l’ OAS pour poursuivre des enlèvements tout au long de l’année 1962.

Les quelques Français qui voulaient rester en Algérie, en sont parti ensuite en raison des occupations de « bien vacants » ou prétendus tels par des Comités révolutionnaires et des nationalisations des terres et des usines, conformément au programme autogestionnaire (hélas !) de Tripoli. Seuls sont restés, ceux qui, comme les moines de Tibhérine, voulaient maintenir le dialogue interreligieux, et ceux à l’instar de la famille Chaulet-Louanchi, qui avaient pris parti pour la rébellion. Mais certains semblent avoir choisi la valise pour éviter le cercueil.

(1) Les mêmes développements se trouvent dans
"Les archives inédites de la politique algérienne" Maurice Faivre L'Harmattan 2000 et
"Une interminable guerre civile" chapitre du Livre blanc de l'armée en Algérie Contretemps 2002

 

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Dessin de Jean BRUA

CE FUT AUSSI  " LA VALISE ET LE CERCUEIL " S.Gautier

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