2.2 - Compte-rendu d'enquête du Commissaire de police POTTIER

VIII - Archives interdites : une spécialité française - Archives disparues, détruites, interdites : Alger 26 mars 1962

Le Commissaire de police Pierre POTTIER
Chef de la 1ère section de la Brigade Mobile de Police judiciaire
ALGER

A

Monsieur le Commissaire principal
Chef du Service régional de Police judiciaire d’ALGER

Objet : Homicides volontaires et tentatives d’homicides.
Les évènements du 26 mars 1962 à Alger, au carrefour de l’Agha et rue d’Isly, près de la Grand Poste

Affaire : c/X …

Référence : Commissions rogatoires des 27 mars, 2 avril et 6 avril 1962 de M. René CHARBONNIER, Juge d’instruction à Alger – Instruction n° 107 – Parquet n° 7643

J’ai l’honneur de vous rendre compte du résultat de l’enquête effectuée, en exécution des Commissions rogatoires citées en référence,
et conformément à vos instructions,
avec l’assistance de MM. MICHEL Robert, Officier de police principal, VALENCIA Georges, Officier de police, NOUPIER Victor, VALENTI Victor et ODDOS René, Officiers de police adjoints du service.
Les évènements du 26 mars à Alger, se sont déroulés principalement à deux endroits : au carrefour de l’AGHA et rue d’Isly, près de la Grande Poste.
Ils sont nettement distincts quant aux formations en présence et quant aux conséquences :
A l’Agha : incidents entre les manifestants et les CRS en maintien de l’ordre. Bilan : 1 gardien CRS tués, un autre blessé, quelques blessés parmi la foule.
Rue d’Isly : incidents entre manifestants et éléments militaires composés essentiellement de musulmans. Bilan : 52 tués et 130 blessés environ parmi les manifestants.
Cette manifestation, organisée par tracts OAS avait été interdite par la Préfecture de police. L’organisation subversive invitait les algérois à se rendre « pacifiquement » vers le quartier de Bab el Oued, où la population était soumise depuis plusieurs jours au contrôle des forces de l’ordre.

–   CARREFOUR DE L’AGHA –

 

Le 26 mars 1962, à 13 heures 30, le Commandant de groupement de CRS, Georges CHURET, du groupement de Marseille, actuellement détaché à Alger, reçoit l’ordre de se rendre au carrefour de l’Agha, dans le cadre du dispositif mis en place en vue de la manifestation devant avoir lieu quelques instants plus tard.

A 13 heures 40, cet officier dispose les trois compagnies sous ses ordres près de l’immeuble Maurétania. Les CRS 12 et 147 prennent place Rampe Chassériau, la CRS n°182, avenue de la Gare.
M.CHURET se met immédiatement en rapport avec le Commissaire principal HOSTALIER, dont la mission à cet endroit, sous les ordres de M. le Contrôleur général, Chef de la Circonscription du Grand-Alger, consiste, en cas de barrage établi par les formations CRS, à obtenir la dispersion des attroupements ou cortèges éventuels et à procéder aux sommations en cas de nécessité.

Il est 14 heures 15 lorsque des groupes de piétons de plus en plus nombreux, venant de la rue Richelieu et de la rue Sadi Carnot principalement passent boulevard Baudin en direction du boulevard Laferrière. Le Commandant de groupement sollicite de son P.C. des instructions pour la mise en place d’un barrage. Ce dispositif est en position quelques instants plus tard. Il est constitué par la CRS n°147 et se trouve en travers du boulevard Baudin, à hauteur de la rampe Chassériau, renforcé par deux camions appartenant à l’une des unités.

A 14 heures 45
, un important cortège se forme au bas de la rue Richelieu, drapeaux tricolores en tête. Il comporte environ 1.200 à 1.500 personnes. Le Commissaire principal HOSTALIER, ceint de son écharpe, se dirige alors vers ce mouvement et intervient auprès des personnes semblant responsables. Il invite ces manifestants à se disperser. Les meneurs parlementent quelque peu, insistant sur le fait qu’il s’agit d’une manifestation pacifique, en solidarité avec la population bloquée par les forces de l’ordre à Bab el Oued. La foule ne semble pas excitée. Le cortège, convaincu par le commissaire de police et voyant qu’il ne peut franchir le boulevard Baudin, où le barrage CRS est en place, se retire lentement rue Charras. Il aura sans aucun doute quelques minutes plus tard, la possibilité de rejoindre le square Laferrière, le barrage militaire de la rue Charles Péguy étant perméable.

Le Commissaire principal HOSTALIER intervient quelques minutes plus tard auprès de manifestants passés boulevard Baudin avant la mise en place du dispositif et qui revenaient sur leurs pas, au nombre de 200 environ. Cette seconde intervention se passe comme la première, sans le moindre incident. Les manifestants rejoignent le Plateau des Glières. Plusieurs minutes s’écoulent dans un calme absolu. Le Commandant de groupement CHURET et le Commissaire principal HOSTALIER ont tous deux l’impression très nette qu’il ne peut rien se passer maintenant. En effet seuls, quelques manifestants se trouvent encore à ce moment-là rue Richelieu, vers le bas, près de la rue Charras.

A 14 heures 50, en même temps qu’un mouvement est enregistré parmi les manifestants, rue Richelieu, plusieurs coups de pistolet isolés, tirés des balcons ou terrasses des immeubles voisins du carrefour, claquent en direction du service d’ordre. Ces coups de feu auraient été suivis, immédiatement, d’une rafale d’arme automatique, rafale entendue par le Commandant du groupement et ses Officiers BAUX, HENRIOT et GINOLLIN, à l’exclusion du Commissaire principal HOSTALIER. Le Commandant GINOLLIN précise qu’il a vu un individu tirer cette rafale, rue Richelieu. Sa déclaration est confirmée par le Brigadier LETURC de la CRS 147, qui ajoute qu’elle a été tirée par un occupant d’une 403 noire stationnant rue Richelieu. Les CRS se dispersent aux premiers coups de feu, cherchant refuge le long des immeubles et derrière leurs véhicules. Ils ripostent en direction des façades environnantes et de la rue Richelieu. Au cours de la Fusillade deux gardiens CRS sont atteints. Le gardien PAYBAYLE Louis, de la CRS 182, en position avenue de la Gare, est tué. Une balle d’un calibre 9 mm, semble-t-il, aux dires des Officiers, a perforé son casque sur le côté gauche, sensiblement à l’horizontale, une autre l’a atteint au genou. Le CRS se trouvait au début de la rampe descendant à la gare, du côté du carrefour de l’Agha, face à la CRS 147 en barrage boulevard Baudin, lorsqu’il a été mortellement blessé. Le gardien SYMZACK, de la CRS 147 est blessé d’une balle de 9 mm à la hanche. Il se trouvait au barrage du boulevard Baudin à l’angle de la rampe Chassériau lorsqu’il a été atteint. La trajectoire oblique du projectile, de haut vers le bas, permet d’affirmer que le tireur se trouvait sur un balcon ou une terrasse d’un immeuble du boulevard Baudin, situé face au Maurétania et proche du barrage en question.

L’Officier de paix principal BAUDIN René, qui se trouve avec son unité, avenue de la Gare, voit plusieurs jeunes gens près du kiosque à journaux, à l’angle de la rue Charras et du boulevard Baudin, tirer au pistolet sur le service d’ordre et remarque la 403 noire citée précédemment, d’où deux hommes et une femme tirent également au pistolet. Il entend entre les rafales du service d’ordre, crier « Arrêtez, nous avons des blessés. Cet officier réputé de sang froid, se dirige, alors, seul, sans arme, en direction du kiosque en question. Les manifestants ne tirent pas sur lui et l’ordre de cesser le feu est donné au même instant par le Commandant de groupement CHURET. M Baudin remarque plusieurs personnes blessées, sur le trottoir, au début de la rue Charras. L’intervention téméraire de ce gradé a pour conséquence d’apaiser les esprits et de faire cesser les derniers tirs de part et d’autre. Il n’a pas été possible, par nos services, d’établir avec précision les points d’où l’on a tiré et d’identifier les auteurs de cette agression contre les CRS. Il s’agit sans nul doute de provocateurs mêlés à la foule des manifestants ou ayant bénéficié de complicité pour occuper quelques instants un balcon ou une terrasse. Deux personnes blessées rue Charras ont été entendues au cours de l’enquête.
Un fait est établi, il est essentiel :  le 26 mars 1962, à 14 heures 50, alors que rien ne pouvait le laisser prévoir, qu’il n’y avait plus qu’un petit groupe de manifestants à l’angle de la rue Richelieu et de la rue Charras : On a tiré à plusieurs reprises sur le service d’ordre, occasionnant dans ses rangs un mort et un blessé et justifiant sa riposte immédiate.

 

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