3.4 - Le témoignage du Lieutenant Ouchène au procès du Petit Clamart

IV - Date emblématique d'un massacre collectif - Sur le terrain : le 4ème R.T., les C.R.S., l'aviation, les gaz...

Procès du "Petit Clamart
Ont déposé au procès du Petit Clamart : le Commandant POUPAT, les Capitaines TECHET ET GILET, le Lieutenant Saint Gal de Pons.
N’avaient pas été convoqués les Capitaines HARDOUIN-DUPARC et DUCRETTET, les Lieutenants BROSSOLET et RICHARTE
Le Colonel GOUBARD fut convoqué au procès mais le 26 mars il était resté à BERROUAGHIA.

Le Lieutenant Daoud OUCHENE.

Le rôle important pris dans la fusillade par les sections qu’il commandait a conduit la presse à lui accorder une large place dans la relation de l’évènement. Une grande photo, parue dans Paris-Match le 7 avril 1962, a popularisé ses traits. D’origine berbère, né dans les hautes plaines du Constantinois, il était issu d’une grande famille de ce pays des « Chaouïas », qui, à partir du VIIème siècle, a pris la place de l’antique Numidie. Il fut enfant de troupe à Miliana. Brillante recrue, il devint caporal à18 ans. Breveté parachutiste, il fut sergent du 1er R.C.P. à 19 ans. Admis à Saint Maixent en 1956, il en sortit aspirant l’année suivante. Sous-lieutenant en en 1958, il était lieutenant lorsqu’il fut affecté au 4ème R.T., le 12 décembre 1961, venait d’une compagnie du 21ème B.C.A.

Le 26 mars il commandait la 1ère et la 3ème section de la 6ème compagnie, sous les ordres du capitaine Gilet. Il tenait le barrage n°4, placé à l’entrée de la rue d’Isly. Au cours de l’enquête de gendarmerie il déclare :

« Le capitaine commandant la 6ème compagnie nous précisa, si les manifestants insistaient, de les maintenir à distance en leur faisant part des ordres formels reçus de les empêcher de passer et de n’ouvrir le feu que sur des armes qui tireraient du haut des immeubles et des fenêtres. Je lui demandais quelle était la conduite à tenir si des manifestants de la rue nous tiraient dessus. Il m’a répondu qu’alors nous nous trouverions en l’état de légitime défense et qu’il fallait abattre ces tireurs. Je précise que lors des premiers ordres donnés par le capitaine à la descente des véhicules, cet officier nous avait dit que si les manifestants se faisaient trop pressants et si la persuasion ne donnait pas de résultats, il fallait faire tirer en l’air à l’arme automatique par un gradé. »

Le lieutenant voit arriver un groupe nombreux. « J’ordonnais alors à la 1ère section de se former en ligne sur un rang, d’un bord à l’autre de la rue, 4 ou 5 tirailleurs placés sur le trottoir, côtés numéros impairs, de la rue d’Isly et à la 3ème section d’amener les chevaux de frise … Ces chevaux de frise ont été amenés derrière le barrage de la 1ère section et déposés sur le côté de la rue (vers les numéros impairs sans avoir été mis en place) occupé que j’étais avec les manifestants. Les hommes de la 1ère section se trouvaient placés à environ 1 mètre les uns des autres, en garde, les armes approvisionnées comme à l’habitude et non armées, le canon dirigé sur la foule qui était d’ailleurs en formation disciplinée de marche, en colonnes de 20 ou 30 environ. La 3ème section, à part les hommes amenant les chevaux de frise, se trouvait alors en paquet sur le trottoir de l’angle de l’avenue Pasteur et de la rue d’Isly, côté des numéros impairs de cette rue. »

« A ce moment-là aucune arme ne paraissait parmi les gens qui comptaient dans leurs rangs des femmes et des jeunes filles … je leur ai fait part des ordres formels reçus et que j’étais dans l’impossibilité de les laisser passer »… (Autorise un passage) …« Les manifestants se rapprochèrent et soudain bousculèrent mes hommes et passèrent au nombre de 300 environ. Au passage une femme m’embrassa tandis que d’autres civils au contraire nous insultaient » (débordé il demande des ordres au capitaine). Il m’a répondu : arrêtez la manifestation. J’ai tout de suite ordonné au sergent musulman de la 3ème section de mettre en place les chevaux de frise. Ce qu’il commença de faire. Malgré la bousculade et les coups de poings reçus, notamment par le sergent européen et les crachats essuyés par d’autres. Les tirailleurs de la 3ème compagnie avaient repris leur formation en ligne. Le sergent européen arma son P.M. Je lui intimais l’ordre de désarmer et de relever le canon en l’air, ce qu’il fit. (Il va au milieu de la rue) « J’entendis le claquement d’une rafale de 3 ou 4 cartouches éclater, du 2ème étage ou au-dessus …

Je précise que les manifestants se trouvaient alors, poitrine contre poitrine avec mes hommes tandis que derrière nous, 2 à 300 manifestants qui avaient franchi notre barrage se situaient vers la rue Chanzy. Dès que j’ai vu et entendu cette rafale, j’ai bondi à mon poste radio, situé à un mètre de moi, sur ma droite. Durant ce bond, j’ai vu tomber deux civils à un mètre devant moi, dont un touché à la tête … En même temps j’ai entendu une rafale de deux ou trois cartouches dont je ne peux préciser l’origine. Mais je suis formel, les deux victimes dont je vous ai parlé ont été touchées par la première rafale que j’ai indiquée. Au bruit il s’agissait d’un F.M. et je précise qu’il était situé pratiquement à hauteur du barrage.

(Par téléphone il demande accord au capitaine de riposter). « A ce moment-là une seconde rafale de trois ou quatre cartouches a été, à nouveau tirée du même endroit de l’immeuble dont il est question, c’est-à-dire celui faisant l’angle de la rue d’Isly et du boulevard Bugeaud. A l’exception de 2 ou 3 tirailleurs qui se sont réfugiés dans un couloir côté des numéros pairs, le reste des gens de mon barrage s’est porté le long des immeubles côté numéros impairs , face à l’impasse de la Grande Poste, tout en tirant d’eux-mêmes sur les hauts de l’immeuble d’où le F.M. crachait … et d’autre part dans toutes les directions alors qu’ils couraient vers l’immeuble côté impair. Plusieurs civils qui couraient en tous sens ont dû être touchés par nos propres armes. Certains ont dû être touchés par la seconde et la troisième rafale du FM de l’immeuble ». « J’ai crié halte au feu après la troisième rafale. L’arme s’étant tue, j’ai dû répéter à cinq reprises cet ordre avant d’obtenir un arrêt total de nos feux. J’évalue la durée de tous ces tirs à trois minutes au grand maximum … »

« J’affirme qu’aucun pillage ne s’est produit. Tous mes hommes regroupés sont restés sur les positions imposées … J’affirme qu’aucun civil n’a été tué froidement et encore moins achevé. Au contraire j’ai vu des tirailleurs aussi bien européens que musulmans, pleurer. La seule chose qui ait pu se produire est la suivante : dans le feu de la fusillade, des hommes ont ajustés des civils qui couraient en s’éloignant de nous, comme au combat dans le djebel, lorsque l’adversaire s’enfuit »

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