1.1 - La Bataille de Bab el Oued

IV - Date emblématique d'un massacre collectif - Au commencement Bâb El Oued

1 - Bab el Oued s’insurge et souffre : du 23 mars au petit matin du 25 mars ...

2 - Le 25 mars commence une chaîne de solidarité à Alger. Une opération « vivres » est lancée et prend des proportions spectaculaires.

*D’après Georges Fleury - spécialiste de la guerre d’Algérie - "L’ Histoire secrète de l’O.A.S. - Édition Grasset - chapitres 64 "Oran ville OAS" et 65 "Bab el Oued s'insurge et souffre" (extraits)

*D’après Christian Chillet - La bataille de Bab el Oued ( 23 mars - 6 avril 1962 ) Extraits - Paru sur le site de Bab El Oued Story (autorisation demandée)


1 -  BAB EL OUED S’INSURGE ET SOUFFRE

L’accord de cessez-le-feu fixant l’arrêt des combats au lundi 19 mars 1962 à 12 heures, les déclarations de garantie concernant la sécurité en Algérie, … l’organisation des pouvoirs publics pendant la période transitoire, … les conséquences de l’autodétermination, … tous les autres volets des accords d’ Évian, ne sont, en fait, que des déclarations de principe. Le FLN qui le 1er novembre 1954 ne comptait que quelques centaines de militants en Algérie a donc gagné sa guerre. Les chefs de l’OAS et leurs rares alliés du MNA n’entendent cependant pas leur livrer l’Algérie sans combattre encore. Bien décidés à passer à la phase insurrectionnelle de leur résistance, ils ne reconnaissent à l’avance aucune valeur au scrutin d’autodétermination qui doit être organisé dans un délai ne dépassant pas six mois.

A Oran, l’OAS tient le cœur de la ville tandis que KATZ (celui qui sera après le 5 juillet 1962 le « boucher d’Oran ») pour venir à bout de cette résistance s’efforce de l’étrangler avec une brutalité extrême.

Le journal « L’ Esprit public » demande à ses sympathisants de continuer plus que jamais la lutte pour la victoire de la cause de l’Algérie française. D’organiser partout où ils le peuvent, dans le cadre de la légalité républicaine, la résistance à l’abandon de nos frères d’Algérie, qu’ils soient de souche européenne ou nord-africaine ». Pour Roland Laudenbach, les lycéens sont de plus en plus nombreux à vouloir rejoindre l’OAS.

A Alger un plan d’insurrection est mis en place par Jacques Achard et Jean-Claude Perez, dans le quartier de Bab el Oued : quartier très particulier, très méditerranéen, très populeux, très populaire, 80.000 personnes environ, une ville dans la ville, entourée des quartiers arabes, la Casbah, El Kettar et son cimetière, Climat de France. Au-delà, en suivant la mer, c’est l’hôpital Maillot, Saint Eugène et ses cimetières européen, israélite et mozabite. Tandis que les gendarmes sont harcelés à l’extérieur pour les éloigner, cent cinquante volontaires de l’OAS, en armes, s’infiltrent dans Bab el Oued et demandent aux militaires et à la gendarmerie, la blanche, d’évacuer les lieux sous 48 heures. L’OAS est à l’aise dans ce quartier. La lutte contre les barbouzes, acharnée, se poursuivait et aussi contre les gardes mobiles, les rouges, plus franche. Il y avait beaucoup de monde cette semaine-là, dans l’avenue des Consulats et aux Trois Horloges, dans l’avenue de la Bouzarea et à la Bassetta (comprise entre l’avenue de la Bouzarea prolongée, le boulevard de Champagne et la rue cardinal Verdier).

Le 23 mars au petit matin, des jeunes gens répandent des nappes d’huile de vidange et de l’eau savonneuse aux carrefours d’accès à Bab el Oued et dispersent des poignées de gros clous.

A 7 heures, dans le quartier Nelson, rue Eugène-Robes, près de la caserne Pélissier et du lycée Bugeaud, un petit commando OAS surprend une patrouille d’appelés du 9ème Zouaves (la coloniale) qui regagnait la caserne Pélissier (bord de mer) et la désarme. C’est un coup de main réussi sans une seule victime.

A 9 heures, rue Livingstone, un camion chargé de conscrits du centre d’instruction de Beni Messous, dérape sur une plaque d’huile. Un petit commando en embuscade surgit pour désarmer les occupants du camion lorsque le caporal musulman fait entendre le claquement de la culasse de son arme et c’est la riposte et la fusillade intense. Le commando se retire avec son butin, les 7 morts et quinze blessés sont conduits à l’hôpital Maillot et le camion est remorqué jusqu’à Climat de France.

A 10 heures, Bab el Oued est bouclé. L’OAS et les forces de l’ordre s’affrontent. Boulevard de Champagne et rue Cardinal Verdier une patrouille de zouaves verse du sable sur les flaques d’huile.

A 12 heures, le bouclage est levé à Guillemin. Des patrouilles OAS sillonnent les rues et fraternisent avec la Coloniale.

A 14 heures, des rafales de FM sont tirées du Frais Vallon en direction de la Bassetta. Les civils répondent. La fusillade devient générale, la bataille des rues fait rage. « Les habitants voient converger vers eux, annoncée par un grondement lourd de moteurs et des grincements acides de chenilles, la puissante force que le général Ailleret, son chef d’état-major le général Hublot et son adjoint le colonel Vuillermet, le général de Menditte, commandant le corps d’armée et le général Capodano, ont décidé d’employer pour réduire les commandos de l’OAS ».

A 15 heures 30, à Alger, le colonel Jacques Cavard, de l’état-major du général de Menditte, adresse au préfet Vitalis Cros, au général Capodano et au colonel commandant la Gendarmerie le message secret numéro 1443/3 ordonnant le bouclage d’un secteur délimité, au-dessus de la gare de Bâb el Oued par l’avenue Malakoff, à l’ouest par le boulevard de Champagne menant à Climat de France, au sud par la rue Jules-Cambon et à l’est par l’avenue du général-Verneau et la rue Mizon qui rejoint les squares en pente du boulevard Guillemin descendant à l’avenue Malakoff et au boulevard Pitolet au-dessus de la plage Nelson. Le message prévoit l’usage des armes lourdes des blindés et des hélicoptères et aussi l’emploi des obus explosifs de 37 mm.

Ailleret quitte la Reghaïa pour s’installer caserne Pélissier dans le bureau de Menditte. Pour empêcher les commandos OAS venus de la Mitidja de s’installer, il ordonne au général Fourquet de faire décoller de la Réghaïa 6 avions de chasse, des -T6-, chargés de tirer sur les insurgés. Les habitants sont avertis que toute circulation dans les rues, toute présence aux fenêtres et sur les terrasses, les exposerait au feu des forces de l’ordre. « Tout le temps que dura le bouclage il fut interdit non seulement de sortir, mais même d’ouvrir les fenêtres, de se tenir sur les balcons. Cette interdiction était levée entre 6 heures et 8 heures pour les femmes seulement afin qu’elles puissent s’approvisionner. » Un communiqué de la Préfecture indiqua que les forces de l’ordre avait ordre de s’opposer aux collectes organisées pour la population de Bab el Oued

 

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A 16 heures, tout se calme et brusquement les tirs reprennent. Les blindés affluent par l’avenue de la Marne, l’avenue Malakoff et le boulevard de Champagne et convergent vers le centre, square Guillemin et place des Trois Horloges. D’autres descendent l’avenue de la Bouzarea et avenue Durand vers les Trois Horloges. D’autres encore de la rue Rochambeau vers la place Vuillermoz et les Cités des régies. Les forces de l’ordre sur leurs half-tracks tirent sans interruption et sans discernement sur toutes les façades. Les canons de 37 tirent avenue des Consulats, près de l’hôpital Maillot. La fusillade fait rage au square de la place du Tertre. Les escadrons blindés de la gendarmerie, la rouge, font usage de leurs mitrailleuses et de leurs canons. Dans le haut du boulevard de Champagne ils se font attaquer au bazooka. Cessant à un endroit, reprenant à un autre la bataille fait rage et naître des scènes d’horreur. Les patrouilles de T.6 mitraillent. Avenue de la Bouzarea et rue Montaigne, des gens tombent. Même derrière les volets clos, plus personne n’est en sécurité. Les blindés tirent sans interruption et sans distinction sur tous les immeubles. Angle avenue de la Marne et boulevard Guillemin une 12.7 des insurgés répond depuis un abri fortifié. Sur la formidable armada des blindés qui se suivent à 20 mètres, s’abattent sans succès les grenades jetées des toits et des terrasses.

Bab el Oued se défend pied à pied et ne se rend pas. Degueldre lance des commandos « delta » en renfort mais peu parviennent à tromper le bouclage. A un contre cinq, Jacques Achard de son PC de la place des Trois-horloges ordonne à ses renforts, chassés des terrasses par les avions, de se replier au-delà du cimetière de Saint Eugène. Les commandos de la Mitidja guidés par les jeunes gens du quartier, prennent le large par petits groupes en se faufilant par les cours et les caves, d’autres foncent hors du bouclage, profitant des tirs des deltas harcelant les barrages, d’autres profitent de la complicité d’officiers acquis à l’OAS pour franchir les chicanes entrouvertes à leur intention.

La population résiste encore. Les chars lourds progressent rue Borélie La Sapie et rue Eugène-Robes. La coloniale se place sous les arcades de l’avenue de la Marne mais ne tire pas. Des automitrailleuses et des half-tracks tiennent bon l’angle avenue de la Marne et boulevard Guillemin et prennent en enfilade les deux grandes artères qui montent aux Trois Horloges. Des francs-tireurs continuent en vain.

A 21 heures, Bab el Oued est bouclé, ceinturé de barbelés, envahi par les blindés. On continue d’entendre les T6 et des fusillades isolées.

Ailleret rentre à la Réghaïa. A l’issue d’un briefing le lieutenant-colonel Puigt refuse de participer au nettoyage de Bâb el Oued et réclame sa mise à la retraite. Le colonel Caravéo refuse également. Il est expédié à Paris pour effectuer 60 jours d’arrêts de forteresse.

A l’aube du 24 mars 1962, 8000 lignes téléphoniques ont été coupées par les autorités, Bab el Oued est parfaitement isolée du reste de la ville, quadrillée par des unités de la 27ème division alpine.

Commence le ramassage de tous les hommes et leur transfert par les gardes mobiles. Les perquisitions et les fouilles s’effectuent tout aussi brutalement mais cette-fois au grand jour. « Jamais sans doute les gendarmes et les CRS manœuvrant sous la protection serrée de bataillons d’infanterie, de blindés et d’hélicoptères, n’ont mis autant de hargne à exécuter une mission. Ayant pour certains le sentiment de venger enfin les morts des barricades, ils saccagent des centaines d’appartements, dont ils ont parfois défoncé la porte sans attendre qu’on leur ouvre. L’insulte facile, usant de coups au moindre geste suspect, bousculant des femmes qui tentent de les empêcher de vider leurs tiroirs ou d’éventrer leurs matelas, les gendarmes et les CRS ratissent immeuble après immeuble ».

Le 25 mars, troisième nuit de siège à l’intérieur du périmètre interdit, tandis que CRS et gendarmes mobiles perquisitionnent encore. Avant de partir, ils détruisent les appartements en y jetant des grenades.

Cela provoqua une grande émotion chez les avocats d’Alger qui rappelèrent qu’en droit français le principe de la répression collective est absolument inadmissible.

Quatre régiments de l’armée blindée, appuyés par des bataillons d’infanterie, des sections de fantassins postés de 5 mètres en 5 mètres et des patrouilles de jeeps assurent le bouclage. « La population de Bab el Oued est vidée de tous ses hommes, de 12 à 60 ans, malades, infirmes … Ils ne cessaient d’être embarqués en direction des camps d’internement : Beni Messous, Ben Aknoun, Maison Carrée, aux Quatre Chemins. A Paul-Cazelles ils occupèrent les places encore chaudes des détenus FLN qui venaient d’être libérées. On leur passa les menottes. Libérés une semaine plus tard, ils durent rentrer chez eux par leurs propres moyens … A Ben Aknoun, les Rouges et les CRS les parquèrent comme des bêtes dans de vastes hangars avec de la paille à même le sol. Ils restèrent, pendant 10 jours, 23 heures sur 24, enfermés, portes closes, fenêtres closes, . A Château-Holden il y eut un mort privé d’insuline. A Beaulieu, pendant 12 jours, pour un simple contrôle d’identité, certains étaient en pyjama, d’autres en survêtement, d’autres encore avec une simple veste d’intérieur, sans un seul nécessaire de toilette et une seule bouche d’eau pour 600 hommes. La Croix Rouge put réussir à pénétrer à l’intérieur du camp avec des provisions. Le Colonel qui commandait l’ensemble du camp tenta de nous traiter décemment. Il se retrouva aux arrêts après notre départ.

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