6.3 - Les barbouzes : témoignage de Yan ZIANO - Procès du Petit Clamart - 20 février 1963

III - Histoire et récits - Mars 1962 : Barbouzes, tortures, attentats, enlèvements, charniers

Le mercredi 20 février 1963, lors du procès de l'attentat du petit Clamart qui se déroulait au Tribunal du Fort-Neuf de Vincennes, comparaissait Jean ZIANO (1) (2) devant la Cour Militaire de Justice.

Le mercredi 20 février1963, se présentait à la barre  du procès dit "du Petit Clamart", Monsieur Jean Ziano, 40 ans, employé de commerce, domicilié à la Santé.

C
e témoin était cité pour la Défense. Il s’était évadé en novembre 1961, plâtré, de l’hôpital Mustapha d’Alger. Le commandant Niaux l’hébergea. La Défense a beaucoup insisté pour qu’il soit entendu car ses relations avec le commandant et le récit qu’il lui fit des sévices dont il avait été victime au cours de ces interrogatoires à Alger, exercèrent, en effet, une influence profonde sur l’officier qu’on devait retrouver pendu dans sa cellule - sans que les circonstances de cette mort
tragique aient (encore) été éclaircies.

Nous reproduisons, ci-dessous, un extrait sténographique du compte rendu de l’audience du 20 février 1963

Me Tixier-Vignancourt :

- Voici Messieurs quel est l’objet de la comparution de ce témoin : je donne d’abord, pour pouvoir lui poser les questions qui conviennent, lecture à la cour militaire de justice d’un document daté du 20 novembre 1961. C’est un rapport d’expertise à la requête de Me Bernard juge d’instruction près du Tribunal de Grande Instance d’Alger.

"Nous avons examiné le nommé Ziano dans les locaux du Palais de Justice, le 9 novembre 1961, à 13 h. et à l’hôpital civil de Mustapha.

Il s’agit d’un homme très robuste, âgé de 38 ans, représentant de commerce, que nous trouvons le premier jour de notre examen, 9 novembre, dans un état syncopal dans les locaux du Palais de Justice. L’interrogatoire et l’examen du blessé sont rendus très difficiles par son état d’extrême faiblesse physique, d’une part et par les très grandes difficultés qu’il éprouve à faire le moindre mouvement.

Il aurait été arrêté le 30 octobre 1961 et à partir de cette date il aurait été interrogé à une dizaine de reprises par des commissaires et des inspecteurs de police et il aurait subi au cours de ces séances d’interrogatoires, des tortures de toutes sortes dont les principales sont les suivantes :

- Le sujet a été attaché par les deux avant-bras et suspendu par les membres supérieurs à une certaine hauteur du sol.

- Pendant qu’il était dans cette position qu’il a dû maintenir pendant plusieurs heures il aurait été battu et empalé à l’aide d’un objet long, dur et de gros diamètre dont il n’a pu nous donner la nature, étant donné que pendant ces tortures, le sujet avait les yeux bandés.

- La station debout prolongée pendant 24 heures d’affilée, des coups de poings, de manchettes sur toutes les parties du corps et principalement les organes génitaux, entraînait des syncopes avec pertes de connaissance. Les poignets et les chevilles étant attachées ensemble, les genoux et les coudes liés , il aurait été maintenu par un bâton passé sous les genoux et au-dessus des cordes, accroupi au sol, pendant des heures. Pendant qu’il était dans cette position, il aurait reçu des coups de pieds et de matraque sur toutes les parties du corps, surtout dans le dos et les lombes. Enfin séances d’électrocution par électrodes placées sur différentes parties du corps, surtout l’anus, les organes génitaux externes et tout particulièrement le gland.

Me T.V. - Le témoin demande la permission de s’asseoir.

Le Président : donnez-lui une chaise.

Me T.V. : Ces pratiques auraient été répétées une dizaine de fois entre le 3 octobre et le 28 octobre 1961.

Examen physique le 9 novembre 1961. On note les lésions suivantes :

Au niveau des deux avant-bras, face interne et postérieure, au tiers moyen, une plaie suppurante en voie de cicatrisation, recouverte de mercurochrome, chacune de ces plaies, de mêmes dimensions, mesure 8 cm de long et 4 cm de large. Ces plaies sont dirigées obliquement de haut en bas et de dehors en dedans. Ce sont des plaies récentes pas encore guéries et encore en suppuration, qui peuvent effectivement être dues au frottement d’une corde fortement serrée du fait du poids du corps en suspension.

La face intérieure des deux avant-bras et des deux bras est recouverte de haut en bas par une vaste ecchymose qui empiète de chaque côté sur les faces antérieures et postérieures. Ces ecchymoses sont très vraisemblablement dues à des coups par instrument contondant naturel ou artificiel, poing, pied, matraque. Elles datent de 15 à 20 jours.

Sur la figure, on note des séquelles d’ecchymoses sur les deux pommettes, la paupière inférieure gauche et sur la région temporale frontale gauche. Les ecchymoses sont légèrement plus anciennes que les précédentes, pouvant remonter à trente jours.

Sur les membres inférieurs , on note deux sortes de lésions, les ecchymoses à la face postérieure des cuisses et des jambes remontant à une vingtaine de jours, des plaies séquelleuses récentes sur la face postérieure des deux membres et au niveau des deux cuisses.

Les mouvements du tronc sont impossibles et excessivement douloureux. D’ailleurs Ziano a été appareillé à la caserne par l’infirmier. Il lui a placé un pansement serré avec des planchettes servant à limiter les mouvements de la colonne dorso-lombaire. Malgré cet appareillage les douleurs sont très fortes, les mouvement impossibles. Il faut l’aider pour qu’il puisse se mettre debout. La palpation douce nous révèle une douleur localisée au niveau des deux premières vertèbres lombaires qui semblent être fracturées. Un examen radiographique postérieur donnera plus de renseignements. Enfin les mouvements respiratoires sont douloureux et limités du côté gauche. A la palpation locale et à la pression antero-postérieure bimanuelle du thorax, il semble que l’on mette en évidence une fracture de la 10ème côte gauche. On note une ecchymose en voie de disparition, datant d’une trentaine de jours, au niveau de la base du thorax en avant et dans le dos aussi bien au niveau du thorax que de la région lombaire. 

Enfin Ziano nous dit qu’il a eu des hématuries répétées après les coups qu’il a reçus. D’autre part, il aurait subi l’application d’électrodes mais on ne trouve plus traces de ces pratiques.

Pour en finit nous examinons l’anus et nous notons les lésions suivantes : tout autour de l’anus, plusieurs plaies croutelleuses, de 1 à 3 centimètres de diamètre, assez récentes ; d’autre part la muqueuse sphinctérienne très rouge, hypérémiée et Ziano nous ayant dit que depuis, après avoir subi l’interrogatoire il avait présenté des rectoragies de sang rouge, nous avons demandé un examen rectoscopique. Cet examen est pratiqué par le professeur Claude médecin des hôpitaux qui donne les résultats suivants :

Le toucher rectal s'avère très douloureux du fait d'une contraction sphynctérienne. La rectoscopie est très pénible,malgré l’utilisation d’un tube infantile et d’une anesthésie de contact. La partie inférieure de l’ampoule rectale est sur 8 cm semée de taches purpurines et d’ulcérations en coups d’ongle de 3 à 4 cm de long, à bords déchiquetés . Saignante à l’écouvillonnage la muqueuse anale est violacée, tuméfiée et déchirée à plusieurs endroits. Les colonnes de Morgagni sont turgescentes et saignantes, le passage rétrograde du tube rectoscopique provient du fait que que la contraction sphinctérienne provoque une douleur syncopale. De l’avis des spécialistes l’origine traumatique de ces lésions ne fait aucun doute.

Examen radiologique : douches clichés de la colonne lombaire, de la colonne dorsale, de la colonne cervicale et du crâne ont été pris. Il existe une psychose totale inférieure ambulaire. Ce trouble sciatique est en rapport avec un tassement de la 2ème vertèbre dorsale.Le tassement est plus marqué en avant-en arrière, de sorte que le corps de la vertèbre est réduit du tiers de sa hauteur environ, en avant.  Plus haut on retrouve un tassement de la face supérieure de la 11ème vertèbre dorsale .Il faut tenir compte ,c’est probable, d’un tassement plus discret de la 10ème vertèbre dorsale. La vertèbre dorsale inférieure entraîne une nette modification de la statique dorsale. Sur le crâne et sur le rachis cervical on ne retient pas de lésion osseuse d'ordre traumatique. En définitive tassement cunéiforme de la douzième vertèbre dorsale.

Conclusions générales : nous avons examiné le dénommé Ziano au Palais de Justice et à l’hôpital civil de Mustapha. Il était dans un état de faiblesse extrême, incapable de faire le moindre mouvement. Il nous a dit avoir été torturé par la police à une dizaine de reprises en 25 jours.

Nous avons constaté un certain nombre de lésions traumatiques récentes. Il y a une incapacité totale de travail personnel d’au moins 6 mois. Le blessé sera à revoir au bout de six mois pour apprécier le taux d’invalidité permanent partiel éventuel.

M. le Président : "Quel est l'auteur de ce rapport?"

Maître Tixier-Vignancourt : L'auteur de ce rapport ? Docteur VIALET Pierre, électroradiologiste des hôpitaux; docteur DIONET Jacques ancien interne de hôpitaux, expert près du Tribunal de Grande Instance d'Alger et pour la rectoscopie, le docteur CLAUDE, professeur à la Faculté de Médecine.

 

Extrait du journal "RIVAROL" page 14
Communiqué par Françoise Mesquida
83 - Le Pradet

Avec tous nos remerciements

Hôpital Mustapha à ALGER

Image extraite de la collection Bernard Venis trouvée sur le net
http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis

 

Tribunal du Fort Neuf de Vincennes


 

(1) L'annonce du décès de Yan ZIANO nous est communiquée par Eric Derrien, le 25 novembre 2012.Il était un ami de sa famille. Il a vécu à Saint Cado dans le Morbihan entre 1970 et 1980. Il est décédé le Dimanche 25 novembre 2012, à 5 heures du matin. Son fils  était déjà décédé.

(2) François Proube nous écrit :" Yan Ziano est décédé dans son sommeil à Saint Marc Jaumegarde, commune d'Aix en Provence. Il avait choisi de venir, à sa sortie de l'hôpital  de la Seyne sur Mer,  se reposer chez le petit-fils de Jules Gavarry  qui le considérait comme son propre fils, pour retrouver calme amour et sérénité. Le 25 novembre 2012, il s'est éteint près de nous. Il allait avoir 90 ans le 16 janvier prochain.
Dimanche 2 décembre 2012

 

Voir ci-dessous, les revues de presses concernant le procès de Yan ZIANO, qui nous ont été transmises par Eric DERRIEN, que nous remercions sincèrement.

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