4.1 - Procès du Petit-Clamart : la cour décide d’entendre les témoins de la fusillade tragique du 26 mars

IV - Date emblématique d'un massacre collectif d’État - Les morts de la rue d'Isly

La cour décide d’entendre les témoins de la fusillade tragique du 26 mars

Paru sur la Dépêche d'Algérie  du 21 février 1963

(Compte rendu d’audience de Georges DIRAND)

Le procès du Petit-Clamart, que l’on croyait s’acheminer vers sa fin, vient de connaître une nouvelle impulsion, une relance. De telle sorte que ces travaux ne reprendront le samedi, pour l’audition d’une nouvelle série de témoins. Le réquisitoire et les plaidoiries interviendront donc que la semaine prochaine.

Mais personne ne s’en plaindra puisqu’il s’agit d’éclaircir un point d’histoire, une histoire pénible, encore brûlante peut-être, mais que l’on devait, un jour ou l’autre, tenter d’écrire, de façon objective, en omettant aucun de ces aspects.

Il s’agit de la fusillade du 26 mars à Alger. La défense a voulu l’examen de ce dossier, car elle estime qu’il est l’un des éléments essentiels de l’indignation des conjurés, l’indignation étend leur « moteur » le plus honorable. L’accusation a accepté l’ouverture de ce dossier car elle affirme ne rien vouloir laisser dans l’ombre et laisser aux accusés ce moyen de défense. Toutefois le débat qui va s’instituer samedi ne sera pas sans rappeler celui qui, « au procès des barricades », concernant une certaine fusillade de janvier 1961, à quelques dizaines de mètres de celle de mars 1962 et dont les victimes avaient été les gendarmes mobiles. Rien de positif n’en était sorti malgré le témoignage, entre autres, du colonel Godard, ce qui nous autorise à la plus grande prudence quant aux résultats que l’on peut attendre de ces confrontations.

Une déposition révélatrice

Jusqu’à quelle aberration a conduit la lutte à mort qui, à Alger, opposa 1961 et 1962 l’OAS et ceux qui avaient mission de la réduire ? La déposition du détenu Ziano, son aspect à la barre, les faits dont il a parlé, le rapport médical qui a été lu, les accusations qui ont été formulées, méritent un examen approfondi. Elles sont à verser au lourd et noir dossier de l’affaire algérienne.

Le témoin, au crâne entièrement rasé, marchant avec difficulté, paraît encore si mal en point que le président l’autorise à déposer assis.

Arrêté pour son appartenance à l’OAS, torturé, évadé de l’hôpital Mustapha, hébergé un temps par le commandant Niaux (d’où la raison de son témoignage) il a été appréhendé à nouveau et attend, à la santé, un jugement qui tarde.

Examiné dans les locaux du palais de justice d’Alger, puis à l’hôpital par trois médecins, le 9 novembre 1961, il était suivant le rapport, dans l’état suivant :
état syncopal, d’une extrême faiblesse, impossibilité de faire le moindre mouvement, présente des plaies suppurantes aux avant-bras, ecchymoses sur les bras, le visage, le thorax, les jambes, dues à des coups par instruments contondants, traumatisme, lésions et tassement des vertèbres, sans préjudice d’autres lésions causées par le supplice du pal.

Le témoin affirme avoir été torturé à 10 reprises 25 jours à la caserne des Tagarins, suspendu à la mode vietnamienne, brûlé, électrocutés, coupé… Au cours de son incarcération, il a vu le colonel de gendarmerie Debrosse (celui des barricades) qui était la bête noire de l’OAS. Mais il désigne formellement ces tourmenteurs, notamment les commissaires ou inspecteurs Gratien, Bardoux, Sarraoui, Thévenon.

– Que voulait-on vous faire dire ?

– Où se trouvait Salan et sur la mort du commissaire Goldenberg (NDLR : le commissaire de l’Interpol assassiné dans sa voiture Alger.)

Le témoin encore d’une mystérieuse visite que lui aurait faite un certain capitaine Louis Roch, venu en civil lui intimait l’ordre de se taire ces tortures, faute de quoi il serait tué. « Il se disait mandaté par le général De Gaulle. » Dans le cas contraire, on lui aurait donné un passeport pour gagner l’Italie.

Maître Tixier-Vignancour :

– Avez-vous raconté cela au Commandant Niaux qui vous hébergeait ? Et s’est-il montré indigné ?

– Il faut être 1 tortionnaire pour ne pas éprouver de l’indignation.

– Ainsi, il n’y avait pas que des traîtres. Il y avait des bourreaux. Étiez-vous le seul à subir ces tortures ?

– Nous étions 30 au Tagarins. La liste est longue. Il y en a qui ont bénéficié d’une liberté médicale, en Suisse, impotent pour le restant de leur vie.

Le témoin Ziano regagne sa prison. Il a révélé que ne voyant plus, depuis les sévices qu’il a subis, il attend depuis de longs mois qu’on lui donne des lunettes.

Bastien Thiry déclare ensuite qu’il aurait souhaité, pour des raisons sentimentales, entre trois témoignages, celui de son frère tout d’abord.

– Il y a une lettre, dit le président.

– Oui, mais cette lettre est présentement égarée. Elle a dû glisser dans l’un des nombreux dossiers de Maître Le Coroller (geste de protestation de l’avocat). J’aurais aimé aussi entendre le témoignage de Madame François Valentin. Il y a en tout cas une lettre d’elle, datant de l’époque de la mort de son mari et qui reflète un certain sentiment en mon égard. Monsieur Valentin, qui était un très grand Lorrain, député de Toul et président de la commission de la Défense Nationale à l’Assemblée, avait bien voulu m’honorer de son amitié et me demander mon avis de techniciens, notamment en ce qui concerne la force de frappe qui me semblait un outil militaire illusoire, conduisant à un certain isolement. Il s’est intéressé à mon opinion et dans le discours tout à fait remarquable qu’il a prononcé à la fin de 1960, il s’est servi de cet avis pour motiver sa déclaration sur la force de frappe. Je souhaiterais que la course renseigne.

Le président courtoisement :

– La cour fait confiance à ce sujet. Elle vous croit.

– Très bien. J’aurais aimé aussi que l’on entende le professeur Maurice Allais. J’estime que son livre « l’Algérie d’Évian » devrait être connue de la cour.

– J’ai très précisément pris connaissance du livre de Monsieur Allais.

Le témoin qui veut vider son cœur

Aussitôt après, on ouvre l’un des grands dossiers « extérieurs », si l’on veut, « annexes » de l’affaire « du Petit-Clamart ». Le dossier de la fusillade d’Alger le 26 mars dernier. Il ne nous appartient pas de décider si ce drame et son exact déroulement peuvent avoir une incidence sur le procès en cours. Il est du moins impossible de cacher l’intérêt historique de toute analyse objective, de fait douloureux qui avaient bouleversés tous les témoins notamment les journalistes, qui se trouvaient sur place et qui n’ont jamais pu se faire une opinion fragmentaire, imprécise, résultant de leurs propres constatations. Dans la mesure où ces constatations n’ont pas été fonctions des réactions émotionnelles et déformantes de l’instant.

La défense avait sollicité et obtenu, il y a quelques jours, la divulgation des éléments d’enquête qui devait exister et qui, à leur avis, se trouvait au parquet du tribunal militaire permanent de Reuilly. Information erronée. Mais le général Gerthoffer a néanmoins retrouvé un long procès-verbal de gendarmerie établie par le capitaine Claude Garat, commandant la brigade de Maison-Blanche, en banlieue d’Alger.

Après une période d’hésitation le président décide de demander aux greffiers la lecture intégrale de ce très long document, deux bonnes centaine de pages.

Mais dès les premières formules, on s’aperçoit de ce que les noms des officiers de l’unité considérée comme responsable matériellement de la fusillade (4e régiment de tirailleurs 2e 6e compagnie et compagnie d’accompagnement) ne figurent pas dans le procès-verbal. Ils sont désignés seulement par leur grade et la fonction d’époque. Il s’agissait sans nul doute d’une mesure de protection, beaucoup plus que la recherche d’un anonymat pernicieux, d’un véritable camouflage. Il est bien évident que les officiers de cette unité auraient été exposés au ressentiment (par beaucoup de côté sinon légitime du moins compréhensible) des familles des victimes. Sans parler de l’OAS…

La défense ne peut admettre cette absence d’identité. Elle s’oppose avec véhémence à la continuation de la lecture.

Maître Tixier-Vignancour : – Les témoignages anonymes, c’est comme les lettres anonymes.

L’avocat général : – Mais on peut les retrouver très facilement.

Maître Tixier-Vignancour : – Nous ne pouvons laisser lire ainsi publiquement, l’exposé de faits que nous considérons quant à nous, comme un tissu de contrevérités, si les auteurs de ces déclarations ne sont pas appelés à témoigner.

La défense rédige donc des conclusions dans ce sens, les développe, sollicite même le témoignage de journalistes envoyés spéciaux à l’époque et place la cour dans un vif embarras, prisonnière qu’elle se retrouve de son propre arrêt, acceptant l’ouverture de ce dossier particulier.

Maître Tixier-Vignancour n’a d’ailleurs pas fait mystère de ce qu’elle entend apporter aux débats. Il a retrouvé et convoqué l’un des officiers commandant une section de tirailleurs engagés ce fatal après-midi Alger, le lieutenant Saint-Gall de Pons, dont il nous est dit qu’il veut venir « vider son cœur ». On croit savoir qu’il s’agit d’établir la « provocation barbouze », comme d’autres ont cherché à accréditer la thèse de la « provocation OAS » de tireur des toits.

Personne ne veut, pour l’heure, se résoudre à une opinion moyenne qui est sans doute la plus proche de la vérité et qui est celle de la peur, de l’angoisse engendrant l’accident et l’accident déterminant le massacre, tout ceci reproduit dans l’ambiance d’anarchie généralisée qui régnait à Alger.

Mais surprise, cours de l’audience de l’après-midi, le général Gerthoffer admet tout cela et accepte l’audition des témoins.

Donc, le lieutenant de Pons sera entendu samedi, ainsi que de nombreux officiers du régiment le colonel Goudard, le chef de bataillon Poupard les capitaines Tescher et Gillet. Des journalistes sont, eux aussi convoqués, notamment Julien Besançon, qui avait réalisé en la tragique circonstance, l’un des reportages sonores les plus bouleversants de l’époque.

La défense qui retire bien entendu ses conclusions devenues inutiles, paraît surprise de cette mesure gracieuse, la considérant comme la première du procès.

Maître Tixier-Vignancour : « il y a toujours moyen de trouver un accord sur des bases juridiques raisonnables ».

Ce sera le groupe provisoire de la fin

 

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