6.2 - Carrefour Isly-Pasteur

VI - Les témoignages - Grande Poste les blessés, leur famille et amis

Carrefour Isly-Pasteur

1 - Khun Lucien
2 - Gitton Jacques

 

1 - Khun Lucien : témoignage de HARDY Micheline née KHUN sa fille : mon père blessé à quelques centimètres de l'artère fémorale

"Je me trouvais chez moi à Nelson. J’avais accouché le 10 mars d’une petite fille à la clinique des Orangers.
Mon père habitait rue Joinville, près du boulevard Bugeaud. Il se trouvait au bas de la rue Pasteur, au moment de la fusillade.

Il s’en est fallu de peu qu’il y laisse la vie, il a été blessé à quelques centimètres de l’artère fémorale. Il n’a pas voulu qu’on le mette dans le camion qui partait à l’hôpital Mustapha. Ils entassaient en vrac les morts et les blessés. Il a été amené à la clinique Pasteur.

Mon père se trouvait à côté d’un couple. L’homme a voulu protéger sa femme en se mettant sur elle, c’est ce qui lui a permis d’être sauvée. Mais lui est mort d’une rafale dans le dos.
(Il s'agit sans doute de Jackie GHIRARDI GIAUSSERAN qui a été tué d'une rafale dans le dos en voulant protéger sa femme. Il l'avait plaquée dans le renfoncement du magasin de fourrures "Freddy", rue d'Isly. Il l'a protégée de son corps et avait mis sa serviette de cuir, sur son visage. Simone GAUTIER) .

Une petite cousine Jeannette Eime été tuée ce jour-là, sur les marches de la Grande Poste. Elle a voulu protéger des tirs groupés la femme de son patron en la couvrant de son corps. Elle a été tuée d’une rafale dans le dos. La femme de son patron est GREGORI Faustine, décédée le 10 mai 1962 des suites de ses blessures.

Geneviève HARDY née KHUN - 59 rue des peupliers - Boulogne

Ci-dessous, on emmène Monsieur Khun à la clinique Pasteur, après qu’il ait refusé qu’on le mette dans le camion où on entassait les morts et les blessés.

 

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Rond rouge : la Grande Poste
La rue d'Isly  traverse la place d'Isly et s'en va vers Bab el Oued
En rouge, à gauche, l'avenue Pasteur débouche sur la rue d'Isly ; à droite en rouge la rue Joinville après la place d'Isly débouche à la perpendiculaire sur la rue d'Isly où habitait Monsieur Khun (qui donc est allé à la rencontre du flux des manifestants sans trouver d'obstacle jusqu'à l'avenue Pasteur)

 

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2 - GITTON Jacques - 50 ans - "Je fus jeté dans un G.M.C. au milieu des cadavres"    

Témoignage paru dans "Un crime sans assassin" de Francine Dessaigne Pages 187-188

Ce 26 mars, j'étais comme beaucoup dans la rue, descendant l'avenue Pasteur vers la rue d'Isly, je franchis facilement quelques barrages de militaires, surpris cependant de constater un grand nombre de militaires musulmans. Après avoir traversé la rue d'Isly, pleine de monde de tous âges, quelques drapeaux, des pompiers, toue cette assemblée calme, avec le chant des Africains au bout des lèvres. Je traversais donc la rue d'Isly face à la pharmacie Carcassonne quand le feu d'armes de toutes sortes éclata avec violence. J'allai me mettre à l'abri en me jetant dans l'entrée du magasin Claverie qui avait une devanture en forme de trapèze. Mon étonnement fut que je me trouvais aux pieds d'un soldat arabe qui étai debout en faction. J'étais à terre avec une grappe humaine qui comme moi cherchait un refuge dans la plus grande confusion. Le temps ne tarda pas d'être la cible des assassins. En effet à peine couché, je recevais une salve de F.M tiré à bout portant. Le choc fut terrible, mais en moi, bien qu'inondé de sang, mon moral ne faiblit pas, cependant sans force, dans un demi coma, j'assistais à cet enfer au milieu des appels, des râles, des cris,des plaintes, dans cette odeur de sang et de poudre. Les chocs des balles ont été terribles mais dans cette horreur, je ne sais comment j'ai entendu: "Tu es gravement blessé, mais ne t'inquiète pas".

Autour de moi combien de blessés, de morts, une bonne dizaine aussi bien à l'intérieur dont la vitrine avait été brisée que sur le devant du magasin. La fusillade cessa lentement puis un calme inquiétant. Je ne sais combien de temps je restai à terre, des militaires vinrent nous prendre.Je fus jeté dans un GMC au milieu des cadavres; dans mon état, j'en étais un parmi les autres. La route fut longue pour arriver à l'hôpital de Mustapha par la porte de la morgue.

Il m'a été dit alors par des témoins ayant assisté à notre arrivée, que nous avions été allongés côte à côte sur les dalles de la morgue, lorsqu'un aumônier me regardant, s'aperçut que je respirais encore, il donna l'alerte pour que l'on intervienne. C'est alors que je fus pris en charge et mis sous oxygène dans le Pavillon du Professeur Liaras, pour deux jours, puis transféré dans une horfa (baraquement en tôle) où une vingtaine de blessés  agonisaient. Après une quinzaine de jours passés dans cette horfa, j'étais transféré dans un autre pavillon  de meilleure allure mais au milieu d'une multitude de fellaghas blessés ou plus ou moins valides. Ma femme ne pouvant admettre cette promiscuité me fit sortir de l'hôpital pour me conduir e à la clinique de l'Oriental.

Petit à petit je me rétablissais avec une plaie qui laissait échapper des flots de pus; aussi que vous dire de la rancœur devant cette ignominie. Je tiens à vous dire que ma médaille de baptême qui se trouvait sur moi dans mon portefeuille a été retrouvée par le chirurgien plaquée sur le cœur, les balles évidemment ont fait de beaux trous dans ce portefeuille traversant cuir, papiers d'identité, emmenant aussi la médaille, vrai miracle.

 

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Les points rouges désignent le magasin Claverie et la Pharmacie Carcassone

 

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