6.2 - Carrefour Isly-Pasteur

 

2 - GITTON Jacques - 50 ans - "Je fus jeté dans un G.M.C. au milieu des cadavres"    

Témoignage paru dans "Un crime sans assassin" de Francine Dessaigne Pages 187-188

Ce 26 mars, j'étais comme beaucoup dans la rue, descendant l'avenue Pasteur vers la rue d'Isly, je franchis facilement quelques barrages de militaires, surpris cependant de constater un grand nombre de militaires musulmans. Après avoir traversé la rue d'Isly, pleine de monde de tous âges, quelques drapeaux, des pompiers, toue cette assemblée calme, avec le chant des Africains au bout des lèvres. Je traversais donc la rue d'Isly face à la pharmacie Carcassonne quand le feu d'armes de toutes sortes éclata avec violence. J'allai me mettre à l'abri en me jetant dans l'entrée du magasin Claverie qui avait une devanture en forme de trapèze. Mon étonnement fut que je me trouvais aux pieds d'un soldat arabe qui étai debout en faction. J'étais à terre avec une grappe humaine qui comme moi cherchait un refuge dans la plus grande confusion. Le temps ne tarda pas d'être la cible des assassins. En effet à peine couché, je recevais une salve de F.M tiré à bout portant. Le choc fut terrible, mais en moi, bien qu'inondé de sang, mon moral ne faiblit pas, cependant sans force, dans un demi coma, j'assistais à cet enfer au milieu des appels, des râles, des cris,des plaintes, dans cette odeur de sang et de poudre. Les chocs des balles ont été terribles mais dans cette horreur, je ne sais comment j'ai entendu: "Tu es gravement blessé, mais ne t'inquiète pas".

Autour de moi combien de blessés, de morts, une bonne dizaine aussi bien à l'intérieur dont la vitrine avait été brisée que sur le devant du magasin. La fusillade cessa lentement puis un calme inquiétant. Je ne sais combien de temps je restai à terre, des militaires vinrent nous prendre.Je fus jeté dans un GMC au milieu des cadavres; dans mon état, j'en étais un parmi les autres. La route fut longue pour arriver à l'hôpital de Mustapha par la porte de la morgue.

Il m'a été dit alors par des témoins ayant assisté à notre arrivée, que nous avions été allongés côte à côte sur les dalles de la morgue, lorsqu'un aumônier me regardant, s'aperçut que je respirais encore, il donna l'alerte pour que l'on intervienne. C'est alors que je fus pris en charge et mis sous oxygène dans le Pavillon du Professeur Liaras, pour deux jours, puis transféré dans une horfa (baraquement en tôle) où une vingtaine de blessés  agonisaient. Après une quinzaine de jours passés dans cette horfa, j'étais transféré dans un autre pavillon  de meilleure allure mais au milieu d'une multitude de fellaghas blessés ou plus ou moins valides. Ma femme ne pouvant admettre cette promiscuité me fit sortir de l'hôpital pour me conduir e à la clinique de l'Oriental.

Petit à petit je me rétablissais avec une plaie qui laissait échapper des flots de pus; aussi que vous dire de la rancœur devant cette ignominie. Je tiens à vous dire que ma médaille de baptême qui se trouvait sur moi dans mon portefeuille a été retrouvée par le chirurgien plaquée sur le cœur, les balles évidemment ont fait de beaux trous dans ce portefeuille traversant cuir, papiers d'identité, emmenant aussi la médaille, vrai miracle.

 

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Les points rouges désignent le magasin Claverie et la Pharmacie Carcassone

 

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