2.7 - Hommages et commémorations Alger 26 mars 1962en 2008

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Alger – Février 2008.

 C’était totalement irrationnel, je le savais mais je devais le faire. Je suis allée à Alger, sans aucune nostalgie, seulement avec le chagrin et la douleur, et quelque chose à accomplir. Mais quoi ? Je ne le savais pas vraiment. C’est au retour que j’ai mieux compris le sens de ce voyage : un voyage symbolique, un voyage dans le temps et l’espace, une régression aussi, comme un reflux de sentiments qui n’avaient pas pu se manifester convenablement dans le présent du drame. C’est aussi en raison du « grand silence » jeté comme une chape de plomb sur le 26 mars. Car pour la France ils sont des morts absents.

Voici 46 ans, je quittais l’Algérie, fuyant, comme une voleuse ou une criminelle de grands chemins, entre deux orphelins, un pauvre cercueil et pas même une valise. Je devais réparer ce geste, cette fuite. Je devais les retrouver. Je devais mettre des fleurs là où leur sang avait coulé, leur offrir ces fleurs blanches comme un symbole vers le spirituel, eux qui ont péri de mort violente dans un massacre qui défie la raison. Je devais déposer ces fleurs en témoignage du divin et du sacré qui les accompagnent aujourd’hui. Je devais leur dire de reposer en paix. Je devais leur dire adieu là où ils nous avaient quittés et m’en retourner avec eux pour que leur mémoire se continue. Je devais aller les chercher là, où ils ont laissé leur dernier souffle, là, où cette terre a pris leur dernier souffle.

Il existe une devise dans les familles GAUTIER, d’origine irlandaise, que j’ai découverte assez récemment, mais sur laquelle mes pensées reviennent souvent. Cette devise doit dater des années 1650, elle est connue aujourd’hui en langue espagnole : « He roto mis ligadura » « J’ai rompu mon attache ». Personne ne les a jamais chassés de nulle part. « En la que algunos vieron como una profecia que habia de realizarse por uno de sus miembros ». « Certains ont vu dans cette devise comme une prophétie qui devait se réaliser par l’un de ses membres ». En connaissant l’exil, pour avoir été chassée de chez nous, je les ai trahis. Je suis allée les chercher dans le respect de la devise des ancêtres, pour que la prophétie qui en a découlée, soit accomplie. Ils ont rompu leurs attaches, c’est leur volonté, et ils sont libres à présent. C’est avec eux que je suis revenue en France. Leur volonté c’est de rester libres de leur destin. Nous devons partir, délibérément, sans regarder derrière nous, personne ne nous chassera de nulle part, nous devons rester libre de notre destin.

Je n’ai ressenti aucune émotion, je n’ai pas reconnu Alger. Alger est devenue Al-Djazãir, une ville que je ne connais pas. Al-Djazãir est une ville comblée par l’implosion du nombre des jeunes et remplie par ceux qui fuient les zones rurales.

J’ai été reçue par une famille que je ne connaissais pas et qui m’a prise en charge complètement, avec beaucoup d’attention. Je me suis sentie protégée. Il a été difficile de trouver des fleurs mais il y en avait en vente, dans un kiosque, en plein air, devant les marches de la Grande Poste., au Plateau des Glières. Mes hôtes ont voulu m’offrir les œillets blancs et j’ai tout pris. J’ai déposé les fleurs devant le Crédit Foncier et dans les rues tout autour avec l’accord des vigiles préposés à la sécurité de la banque, des militaires et plus loin des policiers, qui se sont discrètement écartés. J’ai posé les bottes d’œillets par terre après avoir expliqué ce que je faisais. Les passants se sont mis à nous contourner. Pour protéger les fleurs du vol, si l’on peut dire, j’ai suivi le conseil de mettre les fleurs sur le rebord de la fenêtre de la banque. J’ai pris le temps de réciter un « Je vous salue Marie », à genoux, que j’ai fait suivre de prières improvisées.

Je suis allée ensuite devant les marches de la Grande Poste, mais là je n’ai rien pu rien faire, trop de monde, de passages. Je me suis dirigée, alors, vers la porte des chèques postaux, en continuant de descendre le boulevard Lafferrière. Là j’ai essuyé une interdiction absolue malgré les paroles véhémentes de mes hôtes, paroles dites cette fois-ci en arabe, auxquelles je n’ai pas compris grand-chose. Nous avons toujours eu affaire aux trois sortes de surveillance, les vigiles, les militaires et la police. J’ai vivement été envoyée de l’autre côté du boulevard là où il y a la bouche béante d’une entrée d’un métro qui ne fonctionne pas encore. De ce que j’ai connu, tout a disparu et le boulevard lui-même est très pentu (sans doute à cause des travaux du métro). J’ai donc posé deux bottes d’œillets dans le jardin, appuyées à un tronc d’arbre. Mais auparavant, devant les chèques postaux, mes hôtes ont eu le temps de prendre une photo, avant que ne surgissent les forces de la sécurité et que les palabres ne commencent. Par surprise.

Et je suis allée boulevard Bugeaud, rue Chanzy, rue Lelluch, déposer le restant des fleurs, sans possibilité de faire des photos.

Nous sommes revenus, vers minuit, déposer l’œillet rouge offert par mon hôtesse à ma descente d’avion sur les marches des chèques postaux. Nous étions en voiture et j’ai pu en descendre pour m’attendrir sur l’horloge florale, réduite à une simple expression, derrière ses grilles verrouillées. Je me suis attardée et j’ai pu me recueillir, toujours séparée par ces grilles, devant le monument aux morts dans sa chape de béton ou de bois, celui du Plateau des Glières, « ces morts pour la France » que la chape ne fera pas taire. Oui ils sont là et vivants.

Et puis, j’ai voulu aussi retrouver ma place, près des ex-voto, à Notre Dame d’Afrique. Que la basilique est petite ! Elle est superbe, modernisée, très lumineuse, avec ses bleus de Méditerranée, ses ors et ses roses irisés. La vierge noire est là. Mais c’est une basilique pour touristes et il y en avait. Je préfère la basilique de mes souvenirs, toute remplie d’intériorité que rien ne dérange dans cette ferveur, dans cette communion avec le spirituel, dans ce sacré et ce divin qui guérissent des blessures de l’âme et du corps.

J’ai rencontré, sur l’esplanade, une femme, assise sur un créneau, au soleil, lisant le journal, El Wattan, en français, … C’est elle qui a engagé la conversation sous l’œil attentif de mes hôtes. Elle me serrait les mains et les embrassait. Elle me disait qu’elle était là tous les matins, à lire le journal. Nous sommes retournées dans la basilique mettre deux bougies, la femme « pour obtenir un visa et venir vivre en France ‘chez toi, si tu veux’ » et une pour « ma mère » et « ma mère ». Au bas des collines et des maisons en cascades, la Méditerranée, bleue, bleue … « J’ai tout oublié du bonheur », dit la chanson. Moi, je n’avais rien oublié du bleu de la Méditerranée.

Et puis j’ai repris l’avion, le temps d’un aller et retour. Rien d’autre ne m’intéressait. « J’ai rompu mon attache » et je les ai amenés avec moi, libres dans les espaces infinis.

 

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