6.6 - En hommage au Colonel Jean-Marie BASTIEN-THIRY

VII -Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - JM Bastien-Thiry - L'attentat du petit Clamart - 22 août 1962

5 - 11 novembre 2016 à Bourg la Reine - Philippe Gautier / Jean Bastien-Thiry par Simone Gautier

 

Alger

Plateau des Glières

26 mars 1962

La tuerie dite de la rue d’Isly – Le grand silence

Un assassinat collectif sur ordre du sommet de l’Etat

C’est, ce jour là, qu’une foule française a été mitraillée par ses propres soldats.

Le 23mars, 4jours après les soi-disant accords d’Évian, les forces de l’ordre encerclent le quartier de Bâb El Oued, l’isolent totalement de l’extérieur, en font un ghetto, mitraillent les façades, les terrasses et les balcons, fouillent sans ménagement les habitations, détruisent tout sur leur passage, voitures, vitrines, portes cochères…Violentent les habitants, s’attaquent à des civils sans défense…Raflent les hommes de 18 à 70 ans pour des camps d’internement à l’intérieur du pays. Tous les morts, y compris les enfants sont à eux.

Le 26 mars, tout le petit peuple d’Alger, chef lieu d’un département français, se rend vers Bâb El Oued en une longue manifestation pacifique. Des hommes, des femmes, des enfants, de vieux messieurs avec leurs décorations d’anciens combattants, se réunissent pour demander la levée de ce blocus inhumain. Là on est silencieux, là on chante la Marseillaise ou les Africains. Là on séduit les militaires pour passer. Là on est passé. Là se sera le corps à corps avec les militaires. Le piège était déjà en place : une véritable nasse.

La foule arrive sur le Plateau des Glières devant la Grande Poste et s’engouffre rue d’Isly, seule voie rendue possible. Tout autour, toutes les artères sont verrouillées. La nasse fonctionne. Elle se referme.

A 14h50, les tirailleurs du 4ème RTA ouvrent le feu sur ordre, mitraillent les civils sans discontinuer en rechargeant leurs armes. La radio présente sur les lieux enregistrera les appels vains et désespérés de civils hurlant « Halte au feu ! Mon lieutenant… Halte au feu ! »

Dans les rues alentours, cette fusillade devient un signal. Une véritable chasse aux français d’Algérie commence. Les CRS et les gardes Mobiles s’acharnent, tirent sur leurs compatriotes sans défense… Sur ordre…et par vengeance après Bâb El Oued.

Partout les militaires, les gendarmes, les CRS occupent les carrefours, les toits, les terrasses, font des barrages. Les photos des journalistes en témoignent. Partout, toutes les armes sont approvisionnées et chargées. Les tirailleurs avancent rafales après rafales, arrosent les gisants au PM et au FM, chargeurs après chargeurs. Ils mitraillent les façades, les intérieurs des appartements aux volets clos, achèvent les mourants à l’intérieur des magasins, les poursuivent à l’intérieur des couloirs des immeubles. Ils poursuivent une jeune femme et son bébé chez Natalys et les achèvent à bout touchant. Et puis, ils tirent sur les médecins et les pompiers, faisant de nouvelles victimes. Ils tirent sur les ambulances, déjà toutes prêtes, déjà là, à attendre les morts et les blessés. C’est une véritable chasse aux Pieds-noirs, une tuerie, un carnage auquel se sont livrés les tirailleurs aux gestes obscènes, les gardes mobiles aux ricanements haineux et les CRS qui insultent et matraquent et balayent rue Charras, rue Richelieu, Rue Clauzel : lisez les témoignages.

La foule était dense. C’était un cortège de jeunes gens, d’enfants, de personnes âgées, de vieux messieurs aux médailles d’anciens combattants. Ils avaient des drapeaux, ils chantaient la Marseillaise et les Africains et ils s’effondrent gisants ensanglantés.

Et puis les ambulances et les Dodges des militaires ramassent les morts et vont et viennent et déversent leurs cadavres et leurs blessés à l’hôpital Mustapha, à la Clinique Lavernhe, à la Clinique Solal.

Nous ne connaissons pas le nom et le nombre de tous ceux assassinés au Plateau des Glières devant la Grande Poste et tout autour, rue d’Isly, Boulevard Pasteur, rue Chanzy, Rue Lelluch, Boulevard Baudin, et plus loin, Place de l’Opéra et aussi aux Facultés, et plus loin encore, au Champs de manœuvre et dans le haut du Boulevard du Télémly, encore une heure après la fusillade. Lisez les témoignages.

Le bilan est terrible : entre 55 et 80 morts – dont des enfants rendus aux parents sur ordre de se taire – et des centaines de blessés dont certains ne survivront pas et d’autres souffrent encore des séquelles de leurs blessures. Une chape de plomb, plus de 50 années de plomb couvre toujours cette tragédie. C’est toujours le grand silence, une rupture de la continuité de la vie et de la mort, le deuil impossible. Les cadavres seront regroupés à la morgue de Mustapha puis enterrés à la hâte, sans sacrements, clandestinement, en faisant courir les familles dans les cimetières dispersés aux quatre coins de la ville. Il y aura ceux, dont on ne connait pas le nombre, enterrés de nuit à El Halia car sans papier d’identité sur eux. L’enquête sera bâclée en quelques jours et débouche sur un non lieu, et les années de plomb commencent. « Circulez, il n’y a rien à voir, il ne s’est rien passé. »

Lors de son procès, dans sa déclaration du 2 février 1963, Jean Bastien Thiry dira : « la diffusion des documents relatant les conditions et les résultats de la fusillade du 26 mars à Alger qui fit des centaines de victimes fût interdite…Cette répression inhumaine était exercée par des français par d’autres français qui ne luttaient que pour rester français sur la terre de leurs pères. Elle restera dans l’histoire le signe de l’inhumanité totale de celui qui l’a ordonnée ».

Mon mari a été assassiné ce jour là d’une balle dans la tête comme on achève les chiens enragés ou les chevaux blessés. Il avait 28 ans. Il était père de deux enfants. Il était Lieutenant au long cours dans la Marine Marchande et sursitaire. Il venait de terminer son service militaire qui a duré plus de 18 mois dans les djebels à la frontière Marocaine, chef de section du Commando de Marine TREPEL. Pour avoir à chaque fois ramené sa section saine et sauve la Nation l’a décoré. Nous ne voulions plus être séparés et il est entré chez IBM sur un poste d’ingénieur commercial. Les seules condoléances que j’ai pu recevoir sont venues du PDG américain d’IBM, Arthur Watson, dont je conserve précieusement le télégramme.

Des courses folles à l’Hôpital Mustapha, il ne me reste que peu de souvenirs. Je m’entends hurler, oui. Je ne me souviens plus du tout de ce que j’avais fait des enfants. Il me reste des images : des couloirs, des corps allongés sur des tables, par terre, en vrac, il fallait passer par-dessus pour trouver le sien…Des corps mutilés… des pieds éclatés… des visages à moitié arrachés… Je tournoyais, pataugeant dans tout ce sang partout, pour le trouver et l’emmener avec moi.

Jean Bastien Thiry dira : «  Cette fusillade du 26 mars à Alger et diverses autres opérations menées contre les populations, ont fait plus de victimes que le massacre d’Oradour sur Glane qui fût, à la fin de la dernière guerre, cité comme l’exemple de la barbarie nazie. »

Je me suis enfermée dans plus de 40 ans de silence absolu, avec seulement l’image des cadavres empilés à la morgue de l’Hôpital Mustapha….

Et puis je me suis mise debout et j’ai rencontré les associations et j’ai écumé les sites informatiques, à la recherche de cette tragédie. Et puis j’ai rencontré Jean-Marie Bastien-Thiry. Et toujours à la recherche du 26 mars, j’ai découvert son procès. J’ai découvert son parcours de vie. Je sortais de mon abîme de silence à la lecture de son procès, ce procès qui me parlait, qui m’expliquait, comme si me tenant par la main, Jean Bastien-Thiry me faisait entendre aussi tous les acteurs de cette fusillade, me faisait faire ce chemin au fur et à mesure des comparutions, des témoignages, de ses analyses, de ses réflexions, de ses décisions.

Oui les années de plomb continuent au niveau de l’Etat, mais la France sait néanmoins que le 26 mars 1962 a existé, que le 26 mars est présent dans notre Histoire car ce 26 mars 1962 à Alger, en provoquant «  ce rebondissement imprévu du procès » l’a fait connaitre définitivement à la France entière. Arrêtons-nous, oui, il s’est passé quelque chose ce jour-là.

Merci.

Jean-Marie Bastien-Thiry a dit lors de sa déclaration du 2 Février 1963 : «  Malgré l’extraordinaire mauvaise foi, malgré leur extraordinaire cynisme, c’est une vérité qu’il y a eu, qu’il y a en France et en Algérie, des milliers de morts et de martyrs, qu’il y a des milliers de disparus et des centaines de milliers d’exilés, qu’il y a des camps de détentions et de tortures, qu’il y a eu de nombreux viols et de nombreux massacres, qu’il y a des femmes françaises obligées de se prostituer dans les camps du FLN. C’est une vérité que le pouvoir, de fait, aurait pu épargner ou limiter toutes ces horreurs s’il l’avait voulu ; mais c’est une vérité qu’il ne l’a pas voulu !

Philippe Gautier est mort d’un assassinat collectif sur ordre venu du sommet de l’Etat en mars 1962

En mars 1963, un an après, Jean Bastien Thiry était assassiné sur ordre venu du sommet de l’Etat.

Assassinés tous deux d'une balle dans la tête

Oui Philippe Gautier, Jean-Marie Bastien-Thiry, vous êtes là, ici, aujourd’hui avec nous, nous vous rendons hommage ainsi qu’a toutes les victimes de la guerre d’Algérie, aux fusillés, aux disparus, à ceux du 5 juillet, aux harkis abandonnés et massacrés.

 

Helene
Hélène Bastien-Thiry

 

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 Simone Gautier

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La 2ème fille du Colonel

 

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La minute de silence

 

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Photographies offertes par les participants dont Alain Avelin, Alain Bondel .... En vous remerciant

 

 

Document sonore de la cérémonie, offert par Patrick Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.  Tel. 06 82 55 16 06

Merci Patrick

La fusillade du 26 mars 1962

 

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