7.5 - Raphaëlle BRANCHE: "Prisonniers du FLN" - 2014

 XI - Bibliothèque - Publications des historiens

"PRISONNIERS DU FLN"  de Raphaëlle Branche : un article de  Dominique  Chathuant sur Clionautes et  Revues de presse : Le Monde - Le Nouvel Observateur - Le Figaro


En couverture, une photo algérienne sans date montre un jeune Français dont la captivité est mise en scène dans un cadre villageois. L’une des femmes entourant le jeune homme fait mine de le tenir en respect avec une vieille pétoire. Certaines regardent fièrement l’objectif et l’une semble bavarder.

A l’heure où internet met en contact les anciens belligérants, la photo pourrait raviver des souvenirs personnels. On n’a pas connaissance du sort de l’inconnu et toutes les sources utilisées ici n’ont pas forcément été communiquées aux familles. Croisant témoignages, archives privées, archives civiles et militaires françaises (dont certaines prises à l’ALN), fonds du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et quelques sources des Archives nationales algériennes, l’auteure répond à une demande d’histoire là où il n’existait que témoignages écrits.

La question est abordée avec la conscience de ce qu’elle représente pour des survivants et des familles de disparus. Le thème étant au cœur du programme de terminale L-ES, des extraits des récits ou des documents reproduits peuvent être utilisés comme documents de travail en classe ou comme sujets de DS.

Diversité des prisonniers du FLN.


Avant d’être assassiné en 1996, frère Luc, du monastère de Tibhirine, avait déjà connu l’expérience d’une captivité aux mains de l’ALN. L’auteure rend compte de l’étonnante diversité des situations pour ceux qui furent peu nombreux comparés aux Français prisonniers du Viet Minh ou aux Algériens prisonniers des Français, deux groupes qui connurent aussi des disparitions. Une partie des prisonniers du FLN furent des civils enlevés, « Européens » d’Algérie, Algériens ou étrangers européens. Compte tenu de l’incertitude pesant sur les causes des disparitions, le nombre d’Algériens prisonniers est très peu connu, l’armée française ayant eu tendance à les considérer comme passés au FLN. Plusieurs appelés français bataillèrent pour une reconnaissance après avoir été portés déserteurs. Les militaires furent souvent capturés alors qu’ils étaient isolés ou surpris à leur poste à la faveur d’un retournement d’allégeance. L’auteure fournit un certain nombre de chiffres et de statistiques tout en en soulignant les marges d’incertitudes.

La première application des conventions de Genève.


La question constitue un premier test d’application des conventions de Genève. Le FLN a intérêt à faire des prisonniers pour prouver sa capacité à maîtriser le terrain en y exerçant une souveraineté de fait afin de se poser en interlocuteur du Comité international de la Croix-Rouge, de disposer d’une arme psychologique ou de mettre en scène médiatiquement des libérations en soignant son image à l’ONU. L’organisation est confrontée aux tensions entre sa direction civile hors d’Algérie et l’ALN, de plus en plus privée de vivres et de marge de manœuvre face aux moyens militaires français et au déplacement des populations.

Côté français, être prisonnier du FLN n’est pas sérieusement envisagé. Le fait que les opérations militaires ne mobilisent jamais autant d’hommes que celles de l’Indochine, contribue à récuser l’état de guerre et le statut de prisonnier. Cette non-reconnaissance de l’adversaire paraît avoir pesé lourdement sur la possibilité d’échanges.

Facteurs de survie, facteurs de mort


Ce qui décide du sort des captifs est complexe. En dépit de l’intérêt bien compris du FLN à faire des prisonniers, il doit composer avec d’autres impératifs. Contre l’idée française de villageois systématiquement terrorisés par l’ALN, l’étude montre que, là où l’on entretient la rancœur vis-à-vis d’un épisode répressif français, les djounoud doivent tenir leurs prisonniers à l’écart de la vindicte villageoise. Les combattants algériens ne connaissent pas les conventions de Genève et sont sans illusion quant au sort qui leur est réservé en cas de capture, bien que la France ait mis en place un statut restreint pour quelques combattants pris les armes à la main (PAM). Les exigences du FLN sont donc difficilement acceptées par la base combattante même si, par empathie ou par calcul, on ordonne à un djoundi de céder ses pataugas à un Français peu habitué à marcher pieds nus dans le djebel. Certains prisonniers ont vécu un calvaire. D’autres ont senti le vent d’une libération qui n’eut pas lieu.

D’autres encore, vivent dans la région d’Oujda une détention proche du statut du prisonnier de guerre. Le quotidien plus que spartiate de l’ALN épuise les plus faibles dans des marches diurnes ou nocturnes de 30 à 40 km par tous les temps. Vivres et médicaments manquent. Les prisonniers handicapent des maquisards sans appui aérien et pris au piège de l’électrification des frontières. Les offensives françaises pèsent ainsi sur la survie des captifs. Parfois, l’exécution de Français par balles ou à l’arme blanche est présentée comme une réponse à l’exécution d’Algériens. Quelques Français sont ainsi condamnés par une cour de l’ALN pour crime de guerre. Le transfert d’une wilaya à l’autre semble expliquer l’exécution d’un couple confié à des geôliers moins biens disposés ou soumis à des contraintes plus fortes. La pression des autorités tunisiennes ou marocaines influe parfois sur une libération.

Étrangeté des situations


Avoir été prisonnier dans un conflit non reconnu a posé un sérieux problème psychologique et matériel aux libérés ou aux familles. En 1963, on date officiellement du 5 août 1956, jour de sa disparition, le décès de Marcel Vannière, sans que rien ne soit su de son sort réel après ce moment. Face à des services sociaux mal informés d’une situation rare, certains peinent à faire reconnaître l’angoisse vécue et le lien entre une affection médicale et la captivité. Le flou mémoriel est à l’image de l’anecdote qui clôt l’ouvrage. En 2001, alors qu’il attend le match France-Algérie devant sa télévision, Jean Dziezuk, ancien prisonnier, patiente devant un reportage sur la première équipe algérienne de football réunie par le FLN en 1958 et filmée à l’aéroport de Tunis. Mais les images présentées par TF1 comme celles des neuf meilleurs joueurs algériens de 1958 n’ont rien à voir avec le commentaire. Les huit hommes descendant de l’avion sont Jean Dziezuk lui-même et d’autres prisonniers français du FLN filmés à l’aéroport de Villacoublay.

Le Nouvel Observateur - Dans les geôles du FLN


Une historienne a enquêté sur ces prisonniers et ces morts oubliés de la guerre d'Algérie

Dans ce travail inédit Raphaëlle Branche ouvre le dossier des hommes et des femmes, civils ou militaires, français ou algériens qui furent prisonniers du FLN durant la guerre d’Algérie. Pour le FLN, il s’agit d’internationaliser le conflit, de hisser l’Armée de Libération nationale (ALN) au niveau de l’armée française et de «compenser une faiblesse numérique par une force symbolique ». Pour qu’il y ait des prisonniers de guerre, il faut une guerre. Le FLN va donc tout faire pour que ce qui était qualifié d’« événements » à Paris en devienne une à Alger.

En puisant dans les archives, en recueillant des témoignages, l’historienne montre les conditions de détention, les marches épuisantes, les simulacres d’exécution, les tortures et l'élimination pure et simple de ceux qui ne pouvaient plus avancer. Elle explique aussi que certains captifs étaient envoyés en Tunisie ou au Maroc comme le brigadier Maurice Lanfroy.

Derrière ces histoires individuelles, l’enjeu politique se dévoile. Mais Raphaëlle Branche éclaire aussi ce qui peut sembler absurde. Quel est l’inté¬rêt de faire des prisonniers pour une guérilla dont la survie tient à la mobilité? C'est justement pour montrer qu’elle est une armée comme les autres. Mais alors pourquoi en tuer certains, après quelquefois les avoir soignés, et sur quels critères en libérer d’autres? Parce que cette armée se comporte encore comme une guérilla.

L’historienne n’évacue rien. Elle tente aussi de comprendre pourquoi ces faits ont été occultés, en France comme en Algérie. Les prisonniers algériens dont on n’a jamais plus entendu parler se comptent sans doute par dizaine de milliers. Idem pour le millier de Français - moitié civils moitié militaires - disparus des mémoires.

Raphaëlle Branche remarque enfin que le mot « otage » ne fut jamais prononcé pour désigner ces «prisonniers ». Ils furent des moyens de pression sur le gouvernement français et sur la population algérienne. Jamais il ne fut demandé de rançon pour bien montrer la symétrie avec les prisonniers - bien plus nombreux - dans les camps français. En revanche, la chance de survie de ces détenus était liée à celle des maquisards, d’où le taux de mortalité élevé dans les dernières années du conflit. Plus de la moitié ne revinrent pas de captivité. Tous ces oubliés de cette guerre sans nom méritaient bien cette stèle historique.

Laurent Lemire

Le Figaro-Guerre d'Algérie : Enlevés et tués par le FLN - La première enquête historique sur les prisonniers du Front de libération nationale.


Le 1er juillet 1959, il y eut un premier enlèvement des moines de Tibéhirine. Ils étaient deux. Et déjà, parmi eux, au même endroit, frère Luc qui, en 1996, sera de nouveau enlevé, avant d'être assassiné avec six autres moines trappistes. Cette fois-ci, on connaît ses ravisseurs: il dut suivre les hommes en armes de l'ALN, la branche armée du Front de libération nationale (le FLN). Les maquisards libéreront frère Luc cinq semaines plus tard.

Cette histoire appartient - parmi beaucoup d'autres - à l'une des pages méconnues de la guerre d'Algérie: celle des prisonniers du FLN. C'est celle que restitue, avec minutie et rigueur, l'historienne Raphaëlle Branche, celle de centaines de disparus. On estime à moins de mille quatre cents le nombre total de prisonniers. Plus de la moitié d'entre eux ne revinrent pas de captivité. Pour arrière-fond, entre 1954 et 1962, un million sept cent mille militaires furent envoyés en Algérie. Un million de Français d'origine européenne y vivaient parmi huit millions d'habitants.

Parmi les captifs, il y eut aussi bien des militaires que des civils. Et des civils algériens (même si on sait très peu de chose sur eux) que des civils français, des hommes que des femmes. Des deux côtés de la Méditerranée, l'existence de ces civils semble avoir été oubliée. On fait plus mémoire, dans les deux pays, des civils algériens - plus nombreux - qui disparurent après leur arrestation par les forces de l'ordre françaises. Quant aux civils français, leur mémoire a été recouverte par celle des Français engloutis dans les violences succédant au cessez-le-feu de 1962.

Civils et militaires


Les militaires, eux, s'inscrivent dans un fil de mémoire, même s'il reste ténu. L'existence des prisonniers soldats appuie, en effet, l'une des revendications du FLN: faire exister l'état de «guerre» - récusant un simple maintien de l'ordre - puisqu'il existe des «prisonniers de guerre». C'était accéder au statut de belligérant légitime. Et compenser une faiblesse numérique par une «force symbolique».

Quant à l'enlèvement des civils, il obéissait à une autre logique: chasser par la terreur les Français d'Algérie, présents depuis un siècle et plus de quatre générations. Dans les campagnes, les fermiers devinrent des cibles privilégiées. Sur les routes devait prévaloir un sentiment de précarité et d'isolement qui poussa des colons de plus en plus nombreux à abandonner leurs terres.

Les prisonniers partagèrent le sort des combattants indépendantistes. Lorsque leurs conditions de vie au maquis se dégradaient, les chances de survie des prisonniers diminuaient. Surtout les deux dernières années du conflit. Plus de 58 % des militaires français moururent en captivité et plus de 70 % des civils français.

Tombeau aux disparus


Des lettres de propagande furent envoyées aux familles des prisonniers militaires. En revanche, les prisonniers algériens n'eurent pas le droit à ce traitement. Ce qui était une façon d'appliquer le principe national: les Français d'un côté et les Algériens d'un autre.

Même si le ton de l'auteur est assez distancié et universitaire, on est touché du «tombeau» offert à ces disparus: comme Marcel Vannière, qui écrivait à sa famille: «Chers parents, ma petite Françoise et ma petite Gisèle chérie, (…) je suis toujours prisonnier mais ne vous cassez surtout pas la tête.» Un beau jour, le silence recouvrit son ultime lettre. Son corps ne fut jamais retrouvé. Cependant, après la guerre, un tribunal déclara le jeune homme «mort pour la France» le 5 août 1956, date tout à fait arbitraire. Décision d'État, certes, mais qui ne levait pas les doutes des familles. Et leur détresse

 

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