2.4 - Pétition internationale pour les disparus de l'Algérie Française

VII - Après le 19 mars le mensonge d'Evian - Les disparus civils : Textes - Enquêtes - Témoignages - Pétition internationale

2 - Réponse de Jean-Pierre Lledo à Stora et Manceron dans le Huffington Post du 20/11/2013

Il y a des historiens et des idéologues. Stora et Manceron font assurément partie de la seconde catégorie. Je le pensais depuis longtemps, ils viennent de m’en donner une nouvelle preuve. Le minimum que l’on puisse attendre d’un historien est le scrupule. Or dans leur intervention, il y a plusieurs formes de manipulation indignes d’historiens. Et je m’en tiendrais aux seules mises en cause de ma personne, laissant le soin au Collectif de la Pétition, s’il le juge utile, de répondre sur le fond.

1 - Le cinéaste documentariste Jean-Pierre Lledo a lancé le 5 novembre 2013 sur le site du Huffington Post une pétition internationale intitulée "5 Juillet 1962 à Oran, Algérie"ICI

2 mensonges dès la première phrase ! Huffington post donnait pourtant toutes les informations. Il indiquait que je n’en étais qu’un des co-auteurs. Et dans le site de la pétition, également communiqué, on pouvait lire que la pétition a été écrite le 5 Juillet 2013. Ces deux mensonges ont une fonction : leur permettre d’amalgamer une Pétition émanant d’un Collectif, avec mon propre article, et l’on sait que l’amalgame est l’un des principaux procédés de tous les commissaires politiques de la pensée.

2 – Dès la première phrase le lecteur apprend que je suis ‘’cinéaste documentariste’’. Or il est curieux que les ‘’historiens’’ occultent un fait d’importance en rapport au massacre du 5 Juillet 1962 à Oran : je suis le seul cinéaste à avoir réalisé un film sur cet épisode, et à avoir filmé certains de ses acteurs. Les 40 minutes de la quatrième et dernière partie de mon dernier film ‘’Algérie, histoires à ne pas dire’’ sont entièrement consacrées à cet événement ! Occultation doublement spécieuse puisqu’ils tiennent par contre à m’opposer le film d’une autre ‘’documentariste’’, celui d’Hélène Cohen ‘’Algérie 1962. L'été où ma famille a disparu’’. Pourquoi opposer ce film qui témoigne d’une agression contre une famille, qui n’a d ailleurs pas eu lieu à Oran, ni ce jour-là, à mon film dont les images ont été filmées à Oran en 2006 sur un des théâtres d’opération de ce massacre et où les protagonistes, tous Algériens d’origine arabo-musulmanes, sont des témoins actifs ou passifs ? Un tel procédé qui aurait été surprenant pour de vrais historiens en quête de vérité, ne l’est évidemment pas pour des idéologues en quête de justifications. Mais peut-être, ces derniers n’avaient ils pas en vue le contenu même de ces deux films, mais leurs formes ? ‘’Enquête honnête et scrupuleuse’’ soulignent-ils pour le film cité. Sous-entendent-ils que mon film, visé par omission, serait malhonnête et faussaire ? Que la cinéaste Hélène Cohen, que je ne connais même pas, ait cru bon de se solidariser d’une telle accusation est son affaire, et certainement méprisable, mais de la part de nos historiens, qui ne brillent pas par le scrupule, on l’a vu, c’est pour le moins comique. D autant que Manceron a soutenu mon film au nom de la Ligue des Droits de l’homme, m’accompagnant dans de nombreux débats en France durant l année 2008, et qu’il tenait encore ces derniers jours a m écrire ceci : ‘’J'ai soutenu Algérie histoires à ne pas dire, je ne le regrette pas et je continue à le soutenir, car c'est un beau film et je ne peux pas revoir la séquence finale sans avoir les larmes aux yeux.’’. Schizophrénie ?

Et naturellement, on ne pouvait guère s attendre à ce que de tels idéologues rebondissent sur le film de Cohen, pour signaler qu’entre le 19 Mars 1962 (cessez-le-feu signé à Evian) et le 5 Juillet 1962, il y eut des milliers de disparus juifs et chrétiens, sur l’ensemble du territoire algérien, preuve que le FLN-ALN avaient opté pour une nouvelle forme de guerre afin de ne pas paraitre remettre en cause ce soit disant ‘’cessez-le-feu’’ …

De véritables historiens loin d’occulter mon film, l’auraient pris en compte comme un élément du dossier et se seraient sans doute élevés contre le fait qu’a ce jour aucune TV française ne l’a programmé, y compris durant l’année du 60eme anniversaire de la fin de la guerre d Algérie et de son indépendance en 2012, année durant laquelle au moins une centaines de programmes divers relatifs à cette guerre ont été produits et diffusés. Film qui, je le signale, a été salué par toute la critique française de cinéma, le Monde lui accordant même une troisième de page, et présenté en avant-première par le Directeur de la Cinémathèque française, Serge Toubiana. Censure qui ne dit pas son nom et qui prouve qu’en France aussi, il y a en ce qui concerne la relation franco-algérienne, une histoire officielle dominante, largement parrainée par des gens comme Stora.

Les cosignataires, essentiellement algériens, n’auraient ils pas dû de leur côté en profiter pour s’élever contre l’interdiction de ce film en Algérie depuis 2007, pays coproducteur, et dont j’ai la nationalité ? Le bannissement de la censure n’est-elle pas la condition préalable pour que puisse s’écrire une histoire véritable, apaisante et réconciliatrice ? Signataires et cosignataires, tous ensemble, n’auraient-ils pas dû exiger de l’État algérien qu’il ouvre enfin ses archives afin que les historiens algériens puissent commencer à faire leur travail ?

Non, tous ensemble, ils préfèrent recommander…. que l’on rediffuse plus largement le film qui leur sied, à commencer par la cinéaste Cohen elle-même ! Charité bien ordonnée… Rarement on aura vu un tel mépris des règles les plus élémentaires de l’écriture de l’Histoire et de l’honnêteté intellectuelle tout simplement.

Je note par ailleurs l’absence curieuse parmi les cosignataires algériens de Fouad Soufi et de Saddek Benkada, d’autant plus qu’ils sont cités dans le texte de nos historiens comme les seuls universitaires algériens à avoir communiqué sur le 5 Juillet 62. Est-ce parce que le premier a été longtemps à la direction des Archives, oranaises d’abord, nationales ensuite, et le second longtemps Maire d’Oran, tous deux donc placés à des postes de haute responsabilité (car en Algérie, on n est pas élu, mais placé, par le FLN, ou la Sécurité militaire) qui auraient dû leur permettre d’accéder à des archives plus qu’intéressantes pour ce massacre d’Oran ? Leur absence parmi les cosignataires s’explique-t-elle par la peur de devoir répondre de la trahison vis-à-vis de leur propre conscience professionnelle ?

Franchement donc Messieurs Stora-Manceron, qui est ‘’hémiplégique’’ ?

3 – Ayant commencé leur réponse par un mensonge, ces auteurs ne pouvaient finir que par une diffamation. Plus riche, j’aurais pris un avocat. Selon eux, j’expliquerais ‘’les massacres d'Européens le 5 juillet 1962’’ par une ‘’barbarie inhérente aux Arabes, de l'Algérie d'alors à la Syrie d'aujourd'hui’’. Je sais qu’en France la meilleure manière de déstabiliser son adversaire est de le traiter de raciste, vu que tout le monde est dernièrement devenu antiraciste (quelle bonne nouvelle !). Mais la mode n’en rend pas moins délictueux les auteurs. Leur brouillon de texte ayant atterri dans ma boite mail par la grâce d’un de leurs cosignataires, le reproche était même présenté, avec des guillemets, sous forme de citation! Ayant aussitôt demandé à Manceron de s’en expliquer, il me m’écrivit ceci : ‘’tu as raison sur l'emploi inapproprié des guillemets qui pourraient laisser entendre que ce serait une citation’’. Probité morale oblige, les guillemets ont été supprimés. Il ne s’agit donc plus d’une citation, mais d’une déduction ! Une déduction cependant qui ne repose sur rien, est-ce autre chose qu’une volonté de nuire ?

Je parle de ‘’massacres’’ mais les auteurs ne le nient pas. Eux-mêmes en parlent. Ils précisent même ‘’crimes odieux’’. Sans vouloir disculper ‘’le peuple’’, je dis clairement que tenter de lui faire porter la responsabilité de ces massacres est une LACHETE. Cette responsabilité n’exclut pas bien sûr la barbarie d’hommes et de femmes fanatisés. Constater que tous les grands génocides ont mêlé l’organisation par le haut et la participation de certaines parties de la population, serait-ce du racisme quand il s’agit de populations arabo-musulmanes ? Et le massacre du 5 Juillet 62 à Oran n’échappe pas à cette règle. Il n y a qu’à lire le millier de pages de témoignages dans L’Agonie d Oran de G. de Ternant pour s’en persuader.

Alors sur quoi se fonde leur jugement sans appel ? Sans doute sur le témoignage de cet ouvrier communiste arabe, ami de mon père, qui me fit le récit de cet Européen tué devant ses yeux, dans le quartier Victor Hugo, dont on avait ouvert le ventre et mangé le foie. Ce témoignage, filmé, toujours conservé dans mes rushes, je ne le retins pas, tout simplement car au moment du montage je décidai de ne conserver que les témoignages du quartier choisi, La Marine. En citant dans mon texte ce témoignage, je pris cependant la précaution de le contextualiser. Tout musulman connaisseur un tant soit peu de son histoire sait que pareille mésaventure arriva à l’oncle du Prophète Mohamed, Hamza b. Abdalmouttalib, et que depuis cette époque, dans des périodes de djihad, de pieux combattants, sans doute par vengeance, font subir le même sort à leurs victimes. Le monde a pu voir un tel dépeçage en Syrie, commis en direct devant une caméra. Mais ce geste n’a jamais cessé d’être pratiqué depuis les débuts de l’Islam, et il continue de se pratiquer, sous toutes les latitudes par toutes sortes de djihadistes. En Algérie, il y a quelques années, par les djihadistes du GIA, et encore quelques années avant par ceux de la ‘’guerre de libération’’.

De tels faits ne sont ni des bavures ni ‘’des faits de délinquance pure’’ comme l’écrivent nos deux historiens. M’accuser de ‘’renvoyer à une soi-disant barbarie inhérente aux Arabes’’ est donc doublement faux, parce que le dépeçage évoqué, doublé de cannibalisme, relève de l’histoire de l’islam et non de celle ‘’des Arabes’’, nos deux auteurs identifiant arabité et islamité semblent ignorer que les Arabes ne sont pas tous musulmans, en Algérie et plus encore dans le reste du monde arabe.

Mensonge direct ou par omission, occultation, amalgame, fausse accusation, déduction abusive, tout cela en deux pages, nos deux historiens se sont surpassés. Véritables commissaires du peuple ou procureur à la Vychinski, ils font étalage de tout leur talent totalitaire et nous donnent ainsi un aperçu de leur conception de l’histoire comme de leur déontologie. Quand on prend en flagrant délit de tels manipulateurs, c’est peu dire que le soupçon se répand aussitôt sur les milliers de pages que Stora a bien pu produire.

En lisant son texte cosigné par Manceron (ou l’inverse), je m’étais demandé pourquoi les deux auteurs avaient tenu à personnaliser le débat, m’attribuant faussement la seule paternité de la pétition. A présent cela me semble clair : il s’agit tout simplement de masquer le fait qu’ils n’ont rien produit sur l’événement le plus sanglant de la guerre d’Algérie (même s’il s’est déroulé le jour de la célébration de l’indépendance), surpassant et de loin un autre célèbre massacre, celui de Mélouza. Absence troublante pour celui qui se veut dans le champ de l’histoire franco-algérienne, le ‘’Monsieur Algérie’’.

22 Decembre 2013
Jean-Pierre Lledo

 

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