2.1 - Pieds-noirs victimes d'enlèvements : les disparus question occultée - ces archives qui contredisent l'histoire officielle

1 -  "Pieds-noirs : le dossier des disparus" par Guillaume Desanges -  dans Valeurs Actuelles - 29 octobre 2004


04Guillaume Desange

Près de deux mille Français d'Algérie, sur une communauté d'un million, ont été enlevés entre le cessez-le-feu de mars et l'indépendance de juillet 1962. Un crime  que les familles veulent faire juger par la justice française ou européenne.Le dossier des disparusL’anxiété au pas de la porte, l'étonnement de l'accueil reçu, le soulagement de  pouvoir se recueillir sur une tombe, c'est la "nostalgérie".

Les médias ont lar­gement  fait écho des récentes visites de pieds-noirs en Algérie. Trois mille d'entre eux ont traversé la Méditerranée depuis le début de l'année. Un phé­nomène exceptionnel? Pas vraiment. Depuis long­temps, en fait, des Français d'Algérie reviennent sur la terre qui les a vu naître, même si cela reste interdit aux anciens harkis.Les problèmes liés à l'indépendance de l'Algérie demeurent pourtant brûlants.

À l'occasion du 31 e congrès du Cercle algérianiste,les 23 et 24 oc­tobre, de nombreuses associations pieds-noirs et harka se sont réunies à Perpignan autour du thème "Disparus en Algérie 1954-1963: le temps de la vérité et de la justice est-il enfin venu?" Car de nombreuses familles ne savent toujours pas ce que sont devenus leurs proches.

Entre le cessez-le-feu de mars et l'indépendance de juillet, plus de 3 000 pieds-­noirs ont été enlevés en 1962; 1300 ont été libérés mais 1700 ont disparu, dont 800 sont considérés avec une quasi-certitude comme morts. Pour les autres, on ne sait rien. Dans certains foyers on continue de servir, dans l'at­tente de son retour, le couvert d'un parent absent. Comme dans toute affaire semblable, sans procès ni réparation, il est bien difficile de faire son deuil.

Et cela fait quarante ans que les pieds-noirs attendent la reconnaissance officielle de ce drame. Pendant toute la durée des "événements", de 1954 à 1962, 25 000 Européens sont morts ou ont disparu. Sans oublier les 100 000 musulmans fidèles à la France, massacrés pour la plupart après l'indépendance.Le 30 août 2001, des harkis déposent une plainte contre X pour crime contre l'humanité.

Un an plus tard, une quarantaine de familles pieds-noirs suivent l'exemple de leurs compagnons d'infortune.Après avoir été jugées non recevables en première instance et en appel, ces plaintes arrivent devant les juges de cassation. “ Tout se passe à l'époque sur un territoire encore français, au vu et au su des forces de l'ordre ”, constate Me Emmanuel Altit, l'avocat des fa­milles de victimes. Pour lui, “ il y a eu entreprise d'épuration ethnique ”.

La partie civile est optimiste. Les plaintes se­ront rejetées mais aboutiront d'ici cinq ans devant la Cour européenne des droits de l'homme.“Depuis le Rwanda et l'ex-Yougoslavie, nous assistons à un développement du droit international qui nous est très favorable. ”Le responsable? Le FLN bien sûr.

Mais,pour les pieds-­noirs, l'État gaulliste est également coupable. “ Il a orga­nisé et non pas seulement laissé faire, constate Bernard Coll, de l'association jeune Pied-Noir. Sans la complicité de Pa­ris, rien n'aurait été possible à un FLN vaincu militairement. ”Le 11 juin, les députés ont adopté un projet de loi qui reconnaît “ le rôle positif de la présence française outre-mer ” et “ associe les populations civiles (...) à l'hommage aux com­battants morts pour la France en Afrique du Nord ”.

A la grande déception des associations de rapatriés, la reconnaissance de la responsabilité de l'État a été écartée sous la pression du gouvernement. La gauche, pas mécontente de pouvoir courtiser la communauté pied-noire, s'est empressée de demander la création d'une commission d'enquête sur les responsabilités dans les massacres de 1962.

Ironie du sort, la droite s'apprête donc à perdre le bénéfice du long travail de mémoire engagé depuis le début du septennat de Jacques Chirac.Mais pourquoi l'État freine-t-il des quatre fers?

En coulisse est évoquée la personne de Pierre Messmer, seul artisan de cette période encore en vie : certains pieds­noirs ont en effet déjà porté plainte contre le ministre des Armées de l'époque. Même si cette initiative ne fait pas l'unanimité parmi eux.


VII - Après le 19 mars le mensonge d'Evian - Les disparus civils : Témoignages - Commémorations - Homélies - Pétition internationale

2 - "Guerre d’Algérie : les derniers secrets" par Arnaud FOLCH -  Valeurs Actuelles du Jeudi 03 Novembre 2011

Arnaud-Folch
Arnaud Folch

Dans son livre choc, “Un silence d’État” (Soteca-Belin), l’historien Jean-Jacques Jordi dévoile des centaines d’archives interdites d’accès.

Cinquante ans après, celles-ci remettent en question la vision à sens unique propagée jusque-là sur la guerre d’Algérie.

C’est un historien réputé, plutôt classé à gauche, qui a eu la lourde tâche de “fouiller” les archives inédites de la guerre d’Algérie.

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Jean-Jacques JORDI

Docteur en histoire, enseignant, notamment à l’École des hautes études en sciences sociales, auteur d’une dizaine d’ouvrages et de plusieurs documentaires télévisés consacrés à ce conflit (France 2, France 3, M6), Jean-Jacques Jordi, 56 ans, n’a rien d’un “extrémiste” – d’une cause ou d’une autre. « Mon travail est scientifique, dit-il. Je ne suis ni un juge qui décide “c’est juste ou injuste” ni un religieux qui décrète “c’est bon ou mauvais”. »

Raison pour laquelle Renaud Bachy, président de la Mission interministérielle aux rapatriés, l’a exceptionnellement autorisé il y a quatre ans, au nom du gouvernement, à plonger dans ces archives, normalement interdites d’accès pour une période allant de soixante à cent ans.

Centre historique des Archives nationales, Service historique de la Défense, Service central des rapatriés, Archives nationales d’outre-mer, Centre des archives contemporaines, Centre des archives diplomatiques, Comité international de la Croix-Rouge : en tout, ce sont près de 12 000 documents administratifs classés “très secret”, “secret” et “secret confidentiel” que Jean-Jacques Jordi a pu consulter et photographier.

Rassemblés (pour partie) dans son livre, Un silence d’État, dont Valeurs actuelles publie des extraits en exclusivité, le résultat de son enquête et les documents qu’il porte aujourd’hui à la connaissance du public sont absolument stupéfiants.

Pourtant spécialiste de la question, lui-même le reconnaît : « Jamais, confie-t-il, je n’aurais imaginé découvrir de tels faits. »

Depuis près de cinquante ans, l’histoire de la guerre d’Algérie s’écrit en noir et blanc : d’un côté, les “gentils” (le FLN et les partisans de l’indépendance), de l’autre, les “méchants” (les Pieds-noirs et les défenseurs de l’Algérie française). Les travaux de Jean-Jacques Jordi remettent totalement en question ce manichéisme mémoriel. Non pour réhabiliter une violence par rapport à une autre, mais pour rétablir une vérité autrement plus complexe que celle propagée depuis 1962. " Jusque-là, la thèse officielle était que l’OAS, refusant les accords d’Évian, avait plongé l’Algérie dans la terreur, légitimant la riposte du FLN, rappelle l’auteur ".

Cela n’est qu’en partie vrai.

D’abord parce que le terrorisme FLN a précédé celui de l’OAS, mais aussi parce qu’il a été beaucoup plus meurtrier. Ensuite, sous prétexte de lutte anti-OAS, le FLN et l’ALN (Armée de libération nationale) se sont essentiellement livrés à des exactions dirigées non contre les activistes, mais de manière aveugle contre l’ensemble de la population – l’instauration de ce climat de terreur ayant pour but avoué de précipiter le départ des Français, y compris après le 19 mars (cessez-le-feu) et le 5 juillet (indépendance). »

Documents parfois terribles à l’appui, Jean-Jacques Jordi révèle une “autre” guerre d’Algérie, où les “héros de l’indépendance” – tout du moins une partie d’entre eux – livrent la face obscure de leurs méthodes : enlèvements, viols, tortures, actes de barbarie… Jusqu’à ces « quarante Européens séquestrés » jusqu’à ce que mort s’ensuive pour servir de « donneurs de sang » aux combattants FLN !

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Ces faits, démontre l’ouvrage, étaient connus, et même soutenus, par les dirigeants algériens de l’époque.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, écrit-il, « il n’y eut aucune poursuite judiciaire de la part de la justice algérienne contre ceux qui s’étaient rendus coupables d’exactions ou de meurtres ».

Mais les archives secrètes n’épargnent pas non plus les autorités françaises et le rôle des “barbouzes” envoyés sur place : oui, des Français ont torturé d’autres Français ; oui, des listes de militants supposés de l’OAS ont été transmises aux insurgés ; oui, des ordres ont été donnés afin de ne pas intervenir, condamnant à mort des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants…

Au-delà de la passivité, une véritable complicité. Comment qualifier autrement l’attitude – révélée par un rapport – de ces gendarmes mobiles rendant à ses bourreaux FLN un ressortissant français « torturé à l’électricité et battu » qui était parvenu à s’enfuir et à se réfugier dans leur cantonnement ?

« Que la raison d’État – des deux côtés de la Méditerranée – l’ait emporté sur quelques milliers de vie, cela n’est pas propre à la guerre d’Algérie, au moins faut-il le reconnaître », écrit Jean-Jacques Jordi. Pas plus que les événements ne le furent, la repentance ne peut pas, et ne doit pas, être à sens unique. Cinquante ans après, le moment est sans doute venu pour l’Algérie, comme pour la France, de reconnaître ce que fut – aussi – ce conflit : le martyre des Pieds-noirs et des harkis. Nicolas Sarkozy s’y était engagé en 2007 à Toulon lors de sa campagne électorale. Osera-t-il, à l’occasion des cérémonies du cinquantenaire, braver le “politiquement correct”, aujourd’hui clairement désavoué, et tenir sa promesse ?

Arnaud Folch

 

Après l'indépendance de l'Algérie, de nombreux pieds-noirs ont été victimes d'enlèvement. Une question longtemps occultée par les deux États.

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Valeurs Actuelles du Jeudi 03 Novembre 2011

 


VII - Après le 19 mars le mensonge d'Evian - Les disparus civils : Témoignages - Commémorations - Homélies - Pétition internationale

3 - "Un silence d’État - Les disparus civils européens d'Algérie" Par Jean-Jacques JORDI - Parution 2011 -  Extraits source Valeurs actuelles 3910 novembre 2011 par Arnaud Folch

Ces vérités occultées révélées par les archives
Documents

Durant quatre ans, Jean-Jacques Jordi a pu "fouiller" les archives secrètes de la guerre d'Algérie. Les résultats de son enquête sont stupéfiants.

Extraits.

TORTURE : LE FLN AUSSI

« La torture n'est pas une "spécialité" de l'armée française : elle a été largement utilisée par le FLN et l'ALN» : c'est ce qui ressort de « la quasi-totalité des archives consultées » par l'auteur. Parmi d'autres, le général Gravil, chef du 2eme bureau, évoque les « cas tragiques de ces ressortissants impunément torturés, assassinés, contre tous les termes, tant sur le fond que sur la forme, des accords d'Évian ».

Un rapport relate le calvaire de Roland Planté, garde champêtre à El Rahel (département d'Oran) : « le 20 juin 1962, à 6 heures du matin, quatre hommes du FLN se présentent à son domicile, le ligotent et le jettent dans une voiture. Il est amené au douar Amadoueh, où il reste une journée entière, un sac sur la tête et les mains ligotés par du fil de fer. [Le lendemain], il est cravaché par la population musulmane qui l'amène dans une autre mechta à quelques centaines de mètres où il est alors plus violemment frappé. [Le surlendemain], il est frappé sans discontinuer par deux hommes et deux femmes dont une le brûle avec une cigarette.Il s'évanouit. »

 Libéré le 27 juillet dans un état « hagard » et « sérieusement ébranlé sur le plan de l'équilibre nerveux », le médecin militaire qui l'examine constate de « nombreux traumatismes sur son corps (tronc, bras et tête) avec fractures multiples des côtes, du sternum... »

« Le 8 septembre, rapporte un autre document, une dizaine d'Européens étaient libérés. [...] Toutes ces personnes ont été torturées, soit par électricité, soit par noyade, soit par introduction de corps étrangers dans l'anus. »

La découverte de dizaines de charniers confirme ces pratiques. L'un d'eux contient les corps de neuf Français qu'« il ne fut plus possible de reconnaître tant les personnes étaient affreusement mutilées » Parmi ces cadavres, « 2 ont été tués à l'arme blanche, les autres par balles et portent des traces de coups dus à un acharnement sur leur corps », constate le médecin-colonel.

Un rapport évoque aussi des « cadavres ensevelis par la population après avoir été déchiquetés ».

Le 9 mars 1962, à Eckmühl, « 16 personnes dont 3 femmes périssent carbonisées dans un garage où elles s'étaient réfugiées et qui est incendié par un commando FLN».

Ces tortures, que Jordi qualifie de « systématiques », vont durer longtemps après l'indépendance !

Le 30 janvier 1963, le consul général d'Alger attire encore l'attention du ministre algérien des Affaires étrangères, Mohamed Khemisti, sur l'existence de « locaux de torture dans une villa située chemin Laperlier, à El Biar, ainsi qu'au cinquième étage de la préfecture d'Alger » - d'où un Français, M. Bordier, s'est « suicidé en se jetant par la fenêtre, pour échapper à son supplice ».

Plusieurs documents vont jusqu'à relater le cas de personnes enlevées pour « donner leur sang » - jusqu'à la mort.

Un rapport parle de la découverte des corps de « 40 Européens séquestrés, jouant le rôle de donneurs de sang pour les combattants FLN ». Le 21 avril 1962, des gendarmes d'Oran en patrouille découvrent « quatre Européens entièrement dévêtus, la peau collée aux os et complètement vidés de leur sang. Ces personnes n'ont pas été égorgées, mais vidées de leur sang de manière chirurgicale ». Cette collecte de sang se déroule parfois avec la complicité de "médecins français", acquis à l'indépendance. Aucun ne sera inquiété après leur retour en France.

* L'adjudant Gagnaire et le sergent Torres du 21°RT, portés déserteurs à compter du 20 mai 1962 se trouveraient à Belcourt - Bd Bru dans un hôpital FLN "jouant le rôle de donneurs de sang"  - SECRET-CONFIDENTIEL

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Une note de la direction des armées révèle la présence, dans un centre de détention du FLN, d'une quarantaine d'Européens séquestrés jouant le rôle de donneurs de sang".

TRAVAUX FORCES ET CAMPS À L'ÉTRANGER

Des centaines de Français détenus ont été envoyés dans des « camps de travail » du FLN. Ils sont souvent « inscrits sous des noms d'emprunt » afin de « déjouer les démarches faites par les commissions de contrôle et par la Croix-Rouge ». Un rapport militaire chiffre à 200 le nombre de prisonniers « occupés à des travaux pénibles dans un camp au sud de Cherchell ». Le fils et la belle-fille de Maurice Penniello, prisonniers dans le camp de Tendara, « sont employés à la construction d'un hôpital pour les blessés du FLN ».

Avant l'indépendance, plusieurs « camps de détention » étaient installés au Maroc et Tunisie - avec la complicité des deux États. « Certaines des personnes enlevées sont prisonnières [...] dans les camps de l'ALN au Maroc ou en Tunisie », écrit Christian Fouchet, le haut-commissaire de la République française.

LES BORDELS DU FLN

De nombreux document évoquent des « viols d'Européennes », notamment après le "cessez-le-feu".

À partir du 19 mars, sont cités des « dépôts de plainte quotidiens sur tout le territoire de l'Algérie et plus précisément dans les villes ». Les violeurs sont le plus souvent laissés en liberté : « au soir du 13 septembre 1962, dans Alger centre, trois Européennes sont violées, portent plainte, désignent leurs violeurs qui ne sont pas inquiétés », expose un rapport. Le 8 novembre 1962, Amar Oucheur, accusé de viol et de tentative d’assassinat sur une Française à la fin octobre, est « remis en-liberté sans suivi judiciaire ».

Concernant le sort des femmes enlevées, nombre d'entre elles sont « livrées à la prostitution » ou « réduites en esclavage dans le Sud ».

Preuve de l'importance de ce phénomène : en janvier 1963, le ministre algérien de l'Intérieur ordonne le recensement des Françaises "placées" dans les bordels militaires de campagne (BMC) algériens !

Dans un courrier classé « secret », le colonel de Reals, attaché militaire auprès de l'ambassade de France, demande des informations à un officier d'état-major : « D'après des renseignements récents [13 septembre], mademoiselle Claude Perez, institutrice à Inkermann, enlevée le 23 avril 1962par le FLN [...] est en ce moment dans un "centre de repos" du FLN, situé au bord de la mer, près de Ténès. Elle est détenue là avec deux autres captives enlevées à Dilian et à Orléansville. » L'auteur cite aussi le cas de « Mme Valadier, enlevée à Alger le 14 juin 1962 par le FLN, et retenue dans une maison close de la basse casbah. » Parvenue à s'enfuir et à rentrer en France, elle sera hospitalisée en neurologie à Nîmes en 1963. Son témoignage, cité à l'époque par plusieurs associations de rapatriés, ne sera jamais reconnu par la France. Il était pourtant vrai !

Dans un courrier classé « secret », le colonel de Reals, attaché militaire auprès de l'ambassade de France, demande des informations à un officier d'état-major : « D'après des renseignements récents [13 septembre], mademoiselle Claude Perez, institutrice à Inkermann, enlevée le 23 avril 1962par le FLN [...] est en ce moment dans un "centre de repos" du FLN, situé au bord de la mer, près de Ténès. Elle est détenue là avec deux autres captives enlevées à Dilian et à Orléansville. » L'auteur cite aussi le cas de « Mme Valadier, enlevée à Alger le 14 juin 1962 par le FLN, et retenue dans une maison close de la basse casbah. » Parvenue à s'enfuir et à rentrer en France, elle sera hospitaliséeen neurologie à Nîmes en 1963. Son témoignage, cité à l'époque par plusieurs associations de rapatriés, ne sera jamais reconnu par la France. Il était pourtant vrai !

* Mademoiselle Claude Perez enlevée le 23 avril 1932, institutrice à Inkermann - SECRET-CONFIDENTIEL

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Chargées de la lutte secrète anti-OAS en Algérie, les barbouzes de la Mission C (école de police d'Hussein-Dey), ont "fourni" aux services d'Azzedine (l'un des chefs du FLN) des listes d'Européens à enlever et des listes de voitures, suspectes appartenant à des gens à enlever".

Il s'agit d'une note secrète des services français de renseignement en date du 28 mai 1962. Précision donnée par Jean-Claude Rosso août 2016

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* C'est la mission "C" qui a fait enlever Mr. Mourot du Monoprix de Belcourt et son adjoint par le FLN

 

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Azzedine - Archives BEO

 

AVEC LA CAUTION DU POUVOIR ALGÉRIEN

Militaires, policiers et proches du pouvoir FLN sont directement impliqués dans nombre d'exactions. Le 12 juillet 1962,1a gendarmerie d'Harrach rédige une note indiquant clairement que des « interrogatoires au moyen de la torture sont menés par le lieutenant Saïd, qui appartient à la Commission mixte » - créée dans le cadre des accords d'Évian pour "gérer" la transition !

Le 22 janvier 1963, le général de Brebisson avertit l'ambassadeur de France en Algérie de « brutalités exercées contre les Français arrêtés par la police algérienne ». Il joint à sa correspondance plusieurs dizaines de témoignages.

En vain. Selon les documents, « aucune des plaintes déposées après juillet 1962 par des Européens à l’encontre de musulmans pour des occupations d'appartements, vols, pillages, viols, enlèvements et meurtres n'ont eu de suivi, quand bien même les auteurs de ces crimes étaient identifiés ».

C'est notamment le cas de « deux tortionnaires identifiés d'un certain Giuseppe Vaiasicca soumis à l'électricité le 19 septembre 1962 » : deux inspecteurs de la sécurité algérienne faisant office de... gardes du corps d'Ahmed ben Bella, nouveau président du gouvernement algérien ! »

RENDU À SES BOURREAUX !

Le 11 mai à Belcourt, des Européens sont témoins d'un enlèvement, raconte une note. Aussitôt, le sous-officier se présente à l'officier responsable du secteur pour demander son intervention. Il obtient pour toute réponse : « On en a fini avec le FLN. Nous luttons maintenant contre l'OAS.

Oubliez donc ce que vous venez d'apprendre et de voir. » Histoire édifiante révélée par une autre archive : en 1962, figure parmi les libérés d'un camp de détention un certain Christian Bayonnas, mécanicien auto, que les autorités françaises connaissent bien. Après avoir été « torturé à l'électricité et battu », il était en effet parvenu à s'enfuir et à se « réfugier dans le cantonnement des gendarmes mobiles », où il pensait être en sécurité.

Mais les inspecteurs algériens le récupèrent sans que les gendarmes s'y opposent ! Ramené à la villa Leperlier, il sera à nouveau battu pendant plusieurs heures.

BARBOUZES ET MISSION C

Envoyés en Algérie jusqu'à la fin avril 1962 pour affronter l'OAS, les barbouzes (autour de 300) vont commettre de nombreuses exactions dans la plus totale impunité. « Ses membres sont payés secrètement sur les fonds de la Délégation générale du gouvernement en Algérie par l'intermédiaire d'une société fictive, résume une note. Les barbouzes ne sont pas des fonctionnaires de police ni des militaires et leur mode de recrutement s'apparente à celui d'agents de service d'ordre ou de sécurité. »

Selon un document du commandement des forces armées en Algérie du 29 mai 1962, ceux-ci « effectueraient leurs actions en collaboration étroite avec des responsables FLN. Il est utile de signaler à cet effet qu'un nommé Lemarchand, connu pour diriger certains groupes communément désignés sous l'appellation de "barbouzes", effectue de fréquents voyages entre l'Algérie et la métropole sous une fausse identité ».

Au-dessus et encore plus mystérieuse que les barbouzes : la Mission C - pour "choc". En décembre 1961, de Gaulle lui-même a approuvé la constitution de cette dernière.

Le gouvernement et le haut-commissaire de la République en Algérie, Christian Fouchet, sont au courant de leurs activités : « la Mission C, écrit celui-ci dans un courrier adressé à Louis Joxe, ministre chargé des Affaires algériennes, accomplit pleinement sa mission ».

Plusieurs rapports se montrent cependant accablants pour ses méthodes. En janvier 1962, le chef de la Mission C, Michel Hacq, directeur de la police judiciaire, « remet notamment à Bitterlin [l'un des patrons des barbouzes] la liste des membres (noms et pseudonymes, âges et adresses) de l'OAS afin que ce dernier la transmette au FLN par l'intermédiaire de Smàil Madani ».

D'une manière générale, après les accords d'Évian, « un rapprochement s'opère entre la Mission C et le FLN, prioritairement sur Alger et Oran.

Hacq et Lacoste entrent en étroite relation avec Si Azzedine, chef de la zone autonome d'Alger qu'ils rencontrent pour la première fois le 19 mars [...]. Si Azzedine reçoit plusieurs listes de membres de l'OAS.

Le marché est clair, révèle une note militaire : les commandos d’Azzedine peuvent se servir de cette liste pour leurs actions contre l'OAS et ils peuvent "bénéficier" d'une certaine impunité d'autant que les buts du FLN et de la Mission C se rejoignent».

FRANÇAIS TORTURÉS PAR DES FRANÇAIS

Les barbouzes et la Mission C procèdent directement à des « enlèvements et à actes de torture ». L'une de ses trois « branches » est clairement constituée d'« une équipe de choc chargée des interrogatoires en utilisant tous les moyens, y compris la torture ». « La mission qu'effectuent, de novembre à décembre 1961, les membres de la Croix-Rouge [CICR] porte aussi sur les sévices infligés aux Européens activistes (suspects d'appartenir à l'OAS) par les éléments de la Mission Cet par ceux qu'on a appelé les barbouzes, révèle un rapport. Ainsi, le CICR entre en possession d'un rapport de l'hôpital de Mustapha, qui reçoit les Européens passés par la caserne des Tagarins, où se trouve la Mission C. Le rapport fait état de "fracture de la boîte crânienne, de lésions anorectales consécutives à un empalement, de fractures de la colonne vertébrale, d'hématuries, de contusions multiples" et autres sévices graves que les médecins de l'hôpital observent parfois avec un retard de 15 à 24 jours ».

Le 15 novembre 1961, un autre médecin-chef rédige une note sur quatre des personnes hospitalisées après "interrogatoire" par les barbouzes - MM. Ziano, Falcone, Sintes et Tur : « M. Ziano, hospitalisé à la sortie de son séjour aux Tagarins, est une vraie loque humaine, le corps couvert d'ecchymoses avec, aux poignets et aux chevilles, les traces profondes qui l'attachent à son lit. Il a été interrogé tous les soirs du 2 au 28 octobre... Je n'ai pas relevé de fracture chez lui, mais l'examen rectoscopique a révélé des lésions importantes de l'anus et du rectum (l'examen a été effectué par la professeur Claude) par corps étrangers plus ou moins électrifiés introduits par sadisme. J'ai eu à radiographier aussi : Falcone, fracture du crâne plus lésions rectales-; Sintès fracture de la première vertèbre lombaire [...]-; Tur fracture des trois vertèbres DXII [...].

Ces fractures du rachis s'expliquent par les coups donnés dans la position dite de l'estrapade supplice qui consiste à pousser brusquement une personne dans le vide, sans qu'elle touche le sol, les mains liées derrière le dos avec une corde qui soutient tout le poids du corps].

Dans le service du Dr Salasc, sur 30 OAS hospitalisés, 15 ont été torturés et en présentent les traces. »

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C'est après le "cessez-le-feu" du 19 mars 1962 que les enlèvements de masse de Français par le FLN ont pris le plus d'ampleur.
Dans une note du 22 mars adressée au haut-commissaire de la République, il est fait état d'actes "en progression constante".
"Sous prétexte d'une lutte anti-OAS, poursuit-elle, ces enlèvements visent toutes les catégories de la population européenne."

Couvrant ces pratiques, le gouvernement français s'oppose aux visites du CICR « dans les camps où les Européens sont arrêtés pour activités subversives ». « Je serais, pour ma part, hostile à une intervention quelconque de la Croix-Rouge internationale dans tout ce qui concerne les arrestations et détentions d'Européens », écrit le 2 avril 1962 Louis Joxe dans un télégramme « très secret».

ENLÈVEMENTS DE MASSE

Le premier document retrouvé concernant les "enlèvements" perpétrés par le FLN date du 15 décembre 1957.

Intitulée « Note au sujet des personnes enlevées par les rebelles algériens », elle émane de l’état-major mixte et est remise « de la main à la main », est-il précisé, au colonel Magny.

Le but recherché par les ravisseurs y est ainsi résumé : « affermir par la terreur l'emprise du FLN ». « L'enlèvement de civils devait devenir une volonté de pression sur les familles touchées par le drame, ajoute Jordi. Quand bien même les personnes avaient été tuées, il fallait faire en sorte qu'on ne puisse les retrouver. »

La plupart des personnes enlevées seront néanmoins découvertes assassinées.

Hommes, femmes et enfants sont concernés, ainsi des «jeunes Jean-Paul Morio (15 ans), Jean Aimeras (Mans) et Gilbert Bousquet (15 ans), enlevés alors qu'ils faisaient du vélo »et dont « les cadavres seront retrouvés quelques jours plus tard dans un puits ».

Les autorités françaises fermeront souvent les yeux sur ces enlèvements. Le 13 mai 1962 à Alger, « 5 fidaynes [sic !] armés s'emparent de l'employé du cinéma le Rex qui se débat ». Une patrouille des forces de l'ordre intervient : l'employé est relâché, « mais les cinq musulmans ont pu repartir sans ennuis » ! Quant à l'employé du Rex, il sera enlevé le lendemain dans les mêmes conditions. Au même moment, « à la hauteur du Monoprix de Belcourt, Félix Croce est enlevé par un groupe de musulmans sous les yeux d'une patrouille militaire des forces de l'ordre.

Des civils européens, témoins de l'enlèvement, prennent à partie la patrouille en raison de son attitude passive. Le chef de patrouille répond alors "qu'en exécution des instructions reçues, il lui était impossible de s'opposer à de tels faits" ».

Félix Croce sera au nombre des cinq Européens fusillés par le FLN le lendemain rue Albert-de- Mun.

Des dizaines de documents en témoignent : les autorités françaises savent avec précision où se trouvent les principaux lieux de séquestration, mais n'interviennent presque jamais : « Nous sommes impuissants, nous n'y pouvons rien, nous avons reçu l'ordre de les laisser faire », regrette un militaire dans une note.

La vague d'enlèvements - plusieurs dizaines de milliers au total -atteint son point culminant après le "cessez-le-feu" et l'indépendance : « en deux mois et demi, du 19 mars à la fin mai 1962, écrit Jordi, il y a eu plus d'enlevés et de disparus qu'entre novembre 1954 et le 18 mars 1962. » À partir d'avril, « les enlèvements d'Européens par le FLN sont quasi systématiques », ajoute un rapport.

Extraits d'une directive interne du FLN saisie par le renseignement militaire : « désormais, les enlèvements ne seront plus effectués sur des individus mais sur des familles entières ».

Il reste aujourd'hui près de 4 000 disparus dont les corps n'ont jamais été retrouvés. 

*Grezet Hervé né né le 22 septembre 1943  - A Bourkika -  Commission mixte de cessezle-feu de Blida le 21 mai 1962 - Mobiles ignorés

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Les autorités françaises connaissaient les noms des disparus : une fiche de renseignement-voir ci-dessus  et la plupart des lieux de détention - voir ci-dessous

- La villa Bellevue au Ravin de la Femme sauvage
- Collège technique de garçons du Ruisseau
- Fort Sidi ?
- L'ex-clinique du docteur Valence avenue Laquières à Saint Eugène
- Centre pénitentière de Maison Carrée
- Une cabane porcherie derrière l'église de Chéragas

 

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Dans ce dernier document, portant sur la région du Grand Alger, il est aussi révélé plusieurs cas de tortures.

Source : valeurs actuelles

 

 

Un silence d'État, les disparus civils européens de la guerre d'Algérie - Editions Soteca - 2011

08  09

Écrire scientifiquement sur les Disparus civils européens pendant la guerre d'Algérie, c'est lever le dernier tabou de la guerre d'Algérie. C'est dire ce que nous ne voulons pas entendre depuis près d'un demi-siècle : il y a eu beaucoup plus d'Européens enlevés et dont nous n'avons aujourd'hui aucune « trace » après les Accords d'Évian et après l'indépendance de l'Algérie qu'en « pleine guerre » ! C'est dire aussi que le FLN (Front de libération nationale) et l'ALN (Armée de libération nationale) ont été les principaux acteurs de ces « disparitions » et qu'à aucun moment, leurs dirigeants n'ont désavoué ces pratiques. Le but de faire partir les Français d'Algérie fut finalement atteint par la terreur instituée par le FLN. C'est dire enfin que le gouvernement français était parfaitement au courant des exactions perpétrées contre ses ressortissants sans intervenir autrement que par de vaines protestations. Par cette étude, le manichéisme issu de la guerre d'Algérie, entre les « bons » d'un côté et les «mauvais » de l'autre, n'a plus cours. L analyse de cet ouvrage permet de redonner une histoire à des personnes, à des familles qui en étaient privées. Approcher cette histoire était toute l'ambition de cette recherche novatrice

Voir également cet article Publications des historiens Jean-Jacques Jordi : "Un silence d'Etat - Les Disparus civils européens de la guerre d'Algérie " : ICI

Les disparus, "histoire d'un silence d’État", diffusé sur la chaine TV "Histoire"


VII - Après le 19 mars le mensonge d'Evian - Les disparus civils : Témoignages - Commémorations - Homélies - Pétition internationale

4 - Publication  Le Point.fr  du  25/01/2012  - "Les Pieds-noirs ont-ils été abandonnés par la France ?" Par François-Guillaume LORRAIN. 

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François-Guillaume LORRAIN

 

Au lendemain de l'interpellation des candidats à la présidentielle par l'association Jeune Pied Noir, la question épineuse, inconfortable, est à poser de nouveau. On peut d'ailleurs s'étonner du peu d'ouvrages consacrés au sujet, ces derniers se concentrant surtout sur le massacre d'Oran (5 juillet 1962) qui aurait fait 700 morts européens et une centaine de victimes musulmanes.

De l'indépendance de l'Algérie, en juillet 1962, à la fin 1962, 4 000 Européens ont été enlevés par des éléments algériens, plus ou moins proches du FLN. Le bilan des disparus divise : le Mémorial national des disparus en Algérie, inauguré en 2007 à Perpignan, mentionne 2 670 noms, mais l'historien Jean-Jacques Jordi, dans son dernier livre, Un silence d'État, qui décrit de nombreux cas de sévices, de tortures et de rapts, conteste ce chiffre, qu'il révise à la baisse, après consultation de différents fonds d'archives.

Une certitude : le gouvernement français était au courant des enlèvements. Comme le rappelle Jordi, dès le 17 juillet 1962, le général de Gaulle, en plein conseil des ministres, s'alarme de ces violences : "Si les enlèvements continuaient, il faudrait prendre des dispositions." Mais le gouvernement laisse filer et ne mène aucune enquête, préférant, au cours des mois qui suivent, mettre en place un cadre juridique pour dédommager les ayants droit des victimes civiles des événements d'Algérie. En août 1962, écrit Jordi, "l'armée française reçoit l'ordre de ne plus aller chercher les Français isolés ni de les protéger, comme le droit français les y autorise".

Les disparus gênent

Jeanneney, ambassadeur de France en Algérie, proteste très tôt auprès du gouvernement algérien, au nom des accords d' Évian, qui prévoient, entre autres, la liberté et la sécurité des Français sur le nouveau territoire algérien. En vain. En décembre, des rencontres franco-algériennes ont lieu à Paris. On évoque le sort des disparus. La France émet le principe d'une commission mixte franco-algérienne chargée des personnes disparues, mais l'Algérie botte en touche. Malgré de nombreux articles de presse, des membres du gouvernement français minimisent le bilan. Et la France laisse le soin au Comité international de la Croix-Rouge de mener l'enquête sur place en 1963. On en est aux prémices de la coopération avec l'État algérien : les disparus sont une gêne dans les relations entre les deux États. Le problème est donc évacué, même si le pape Paul VI s'émeut encore de la situation en 1965.

Longtemps, la question a été politisée : s'inquiéter des disparus, remuer le spectre de ce silence de l'État français, revenait à faire l'apologie de l'OAS, car, selon le F.L.N, les victimes européennes étaient toutes membres de l'organisation illégale, qui pratiquait elle-même une politique de terreur. Œil pour œil, dent pour dent. C'est en partie vrai. Mais la violence algérienne s'est abattue aussi à l'aveugle, sur des femmes, des enfants, des familles entières. Après les années 2000, l'État français a entrebâillé la porte sur cette question : il a créé la Mission interministérielle aux rapatriés (MIR), qui, après interpellation du ministère des Affaires étrangères et de ses archives, a permis en 2003 la diffusion du rapport de la Croix-Rouge, resté jusque-là secret, et la consultation des dossiers nominatifs des disparus. La Direction des archives du ministère a publié en 2004 une liste de 3 781 noms. Un nouveau rapport est remis à la MIR par le général Maurice Faivre. Une liste révisée de 2 230 personnes est établie. Liste officieuse. C'est dans la lignée de ce mouvement de reconnaissance que le Mémorial de Perpignan est inauguré. Mais les pieds-noirs, en 2012, veulent aller plus loin et demandent une prise de position officielle de l'État français, comme ce fut le cas en 1995 pour la politique de déportation des juifs français.

À lire : Jean-Jacques Jordi. Un silence d'État, les disparus civils européens de la guerre d'Algérie. Éditions Soteca.

Par François-Guillaume LORRAIN  ICI

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Selon la Croix Rouge - 1988

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A.S.F.E.D. : Association pour la Sauvegarde des Familles et des Enfants disparus. - Président Colonel de Blignières - Bordeaux


VII - Après le 19 mars le mensonge d'Evian - Les disparus civils : Témoignages - Commémorations - Homélies - Pétition internationale

5 - LE DRAME DES DISPARUS EN ALGERIE - Extraits du rapport officiel de la Commission Internationale de Recherche Historique sur les événements d’Algérie 1963

 

Un Français d’Oran, Monsieur M…, a été enlevé près de Charron en août 1962. Ses ravisseurs avaient laissé dans sa voiture la photographie de deux d’entre eux, les « djounoud » (membres des groupes armés FLN, Boualem et Kasiche.

De nombreuses femmes ont été enlevées uniquement pour la prostitution. Certaines ont été livrées aux maisons closes, telle Madame V… enlevée à Alger le 14 juin 1962, retrouvée dans une maison close de Belcourt, rendue à sa famille le 9 janvier 1963 et considérée maintenant comme folle incurable.

D’autres ont été attribuées à des officier de l’ALN comme Mademoiselle P… institutrice à Inkermann ; d’autres, enfin, ont été vendues à des trafiquants internationaux et acheminées vers le Maroc ou le Congo ex-belge, peut-être même, pour certaines, vers l’Amérique du Sud.

La plupart de ces malheureuses sont irrécupérables, certaines ont été tatouées, voire mutilées ; beaucoup ont eu des enfants nés des œuvres de leurs geôliers.

Les rares femmes, comme Madame V… actuellement à Nîmes, sont devenues folles ou demeurent prostrées. L’une d’elles, femme d’un officier français dont on doit taire le nom, la famille ignorant heureusement tout, mère de trois enfants, s’est donné la mort le lendemain de sa libération d’une maison close de la Bocca Schanoun à Orléansville.

Le trafic des femmes se poursuit en Algérie à l’heure actuelle comme on peut le constater à la lecture du témoignage joint d’une jeune infirmière lyonnaise.

Enfin des techniciens ou réputés tels ont été enlevés pour servir soit dans des unités de l’ALN, soit comme main d’œuvre bon marché chez les fellahs du bled. D’autres ont été employés sur des chantiers de déminage, notamment à la frontière tunisienne ; d’autres dans des mines comme celles de Miliana dans laquelle le jeune soldat A… , enlevé le 21 juillet 1962 à Maison-Carrée et évadé au printemps 1963, a travaillé plusieurs mois durant, d’autres, enfin, sur des chantiers de routes comme celle d’Afflou à Laghouat.

La plupart des personnes enlevées sont mortes comme sont morts la quasi-totalité des Français enlevés à Oran dans la seule journée du 5 juillet 1962. Cette tragique journée a été marquée par des massacres en pleine rue, sous les yeux des militaires français auxquels leur chef, le général Katz, avait interdit toute intervention.

On ne saura jamais le nombre exact des morts de cette journée, comme on ne connaîtra jamais le nombre de personnes enlevées dans les rues, les cafés, les restaurants, les hôtels même, et dirigées vers le commissariat central de police ou les maisons closes des quartiers périphériques, torturées, violées – même les jeunes gens – égorgées, éventrées, enfin incinérées, pour la plupart, dans les chaufferies des bains maures. Des estimations de source officielle donnaient, peu après cette journée, les chiffres de 91 morts et de 500 disparus. Les chiffres réels sont, certainement, très supérieurs.

A une dizaine d’exceptions près, aucune trace des disparus n’a été trouvée. Les charniers découverts au quartier du Petit Lac contiennent les corps de victimes abattues au cours des semaines précédentes, notamment celles de la tristement célèbre « banque du sang » du docteur Larribère, ancien député communiste d’Oran, dans laquelle des malheureux et des malheureuses étaient vidés de leur sang pour permettre des transfusions aux fellaghas blessés. Tous les renseignements sur cette scandaleuse ignominie, dont les auteurs sont, maintenant, libres et chargés d’honneurs, ont été recueillis par la gendarmerie nationale d’Oran. Ils sont irréfutables.

Si on ne reverra jamais la presque totalité des personnes enlevées à Oran le 5 juillet 1962, il y a relativement peu de chances de retrouver les autres disparus. La plupart sont morts, soit aussitôt après leur capture, soit sous les coups, les mauvais traitements, les tortures, dans les jours qui ont suivi, soit tout simplement de misère physiologique.

En certains lieux, notamment près de Teniet-el-Haad, ou bien encore aux environs de Nelsonbourg ou de Berrouaghia, dans l’Algérois, près de Misserghin ou de Perregaux en Oranie, on trouve encore des témoignages atroces : ossements humains dont on ne sait s’ils sont ceux de musulmans ou de chrétiens, squelettes attachés par ce qui fut des poignets et des chevilles à des branches d’arbres, et certains sentiers des djebels, certaines pistes tracées dans des massifs boisés, sont jalonnés de débris de vêtements laissés par des colonnes d’hommes réduits à l’esclavage.

Des témoignages précis ont, cependant, permis de conclure à la survie d’un certain nombre de captifs, principalement des techniciens. Des témoins dignes de foi ont vu, de leurs yeux, des Européens prisonniers, ainsi sur la piste d’Aflou à Laghouat, ainsi dans le djebel proche de Berrouaghia, ainsi près de Ténès, et dans les environs de Miliana.

Des éléments dissidents de l’armée algérienne ont reconnu détenir des Français, ils ont même donné des noms, de même qu’ils ont reconnu avoir exécuté tel ou tel de leurs prisonniers. Ces témoignages ont été portés à la connaissance du Gouvernement français et de ses services diplomatiques et consulaires.

N’ignorant rien de la situation faite à ses ressortissants, le gouvernement français s’est, d’abord, contenté de faire des représentations diplomatiques vouées à l’échec, le gouvernement algérien ne pouvant que nier la détention de citoyens français. Au surplus, il est de notoriété publique que l’autorité de M. Ben Bella de s’étend pas au-delà de sa capitale.

S’inclinant devant les dénégations du Gouvernement algérien, le Gouvernement français s’est alors adressé à la Croix Rouge Internationale. Moyennant une subvention – quinze millions d’anciens francs par mois – le Comité International de la Croix Rouge a opéré quatre mois durant en Algérie.

Ses quelques quarante représentations locales se sont attachées, principalement, à rechercher les morts et à les identifier, pas toujours heureusement, du reste, puisque, dans un cas très précis, la Croix Rouge a avisé le Gouvernement français pour information aux familles de la découverte et de l’identification de trois corps trouvés au Sud des Gorges de la Chiffa, et qui se sont révélés être ceux de trois autres disparus.

Les représentations de la Croix Rouge, composées exclusivement et selon le règlement de cette organisation, de citoyens helvétiques, donc ne connaissant guère l’Algérie et ses habitants, n’ont pratiquement pas recherché les vivants. Un exemple suffira :

La mère d’un disparu d’Orléansville s’était rendue dans cette localité pour y rencontrer les délégués de la Croix Rouge ; ils n’étaient pas à leur bureau ; on la renvoya à la piscine en précisant qu’ils s’y trouvaient d’habitude ; en réponse à la question : « Avez-vous des nouvelles de mon petit ? », il lui fut répondu : « Mais Madame, ils sont tous morts… ». Et comme cette malheureuse mère insistait, demandant si les délégués avaient fait des recherches dans le bled et le djebel : « Vous voudriez que nous disparaissions à notre tour ou que nous soyons égorgés ? ».

La mission de la Croix Rouge Internationale était limitée aux seuls Européens. Tous les renseignements concernant les musulmans étaient systématiquement transmis au Croissant Rouge Algérien, donc à la police benbelliste. Des arrestations de familles de Harkis ont été opérées à la suite de telles transmissions.

Les protestations officielles n’ayant servi à rien, l’action de la Croix Rouge Internationale se révélant inefficace, voire dangereuse, le Gouvernement français eut alors recours aux bons offices d’initiatives privées. Des enquêteurs se sont rendus en Algérie sans aucun caractère officiel ; ils ont parcouru le pays, se sont aventurés dans les zones de dissidence, ont interrogés tous ceux qui connaissaient quelque chose, ils ont même mené de véritables négociations avec des responsables locaux.

Sur quelles bases ? A leur départ, le Gouvernement français, reconnaissant ses échecs, estimait qu’une seule solution restait possible : le rachat des captifs, tout comme au Moyen-Age les Trinitaires et les Mercédaires rachetaient aux Barbaresques les chrétiens prisonniers.

La Croix Rouge Internationale avait refusé de se prêter à une telle opération jugée contraire à ses principes. Les enquêteurs privés n’avaient pas d’autre moyen à leur disposition. Ce moyen même n’a pas suffi puisque, dans l’ensemble, les résultats ont été décevants. Les quelques libérations obtenues l’ont été par d’autres moyens.

Les enquêteurs privés sont rentrés riches de renseignements, certes, avec la conviction accrue de la survie de groupes de disparus, mais avec la tristesse de n’avoir pu mener à bien leur tâche.

Ils ont rencontré, sur le sol algérien, des unités de l’Armée française auxquelles il était formellement interdit de s’occuper, à quelque titre que ce soit, de la recherche des prisonniers !

L’existence de ces malheureux est constamment menacée et il est douteux qu’ils puissent affronter un nouvel hiver dans les conditions inhumaines qu’ils subissent.

Au cours d’une intervention au Sénat le 19 novembre 1963, le Sénateur Dailly a fourni les chiffres suivants 

Sur 2.111 enquêtes ouvertes par les services officiels :

  • 244 ont abouti à une constatation de décès
  • 500 ont abouti à une présomption de décès
  • 311 n’ont été suivies d’aucune conclusion
  • 88 personnes auraient été libérées
  • 968 personnes dont on ignore totalement le sort

 

 Il y aurait donc encore, en Algérie un millier d’hommes et de femmes vivants – ou plutôt morts-vivants – dont le nombre décroît évidemment chaque jour en raison des sévices auxquels ils sont soumis, et de l’inaction totale du Gouvernement français.

Le prince de Broglie, Président du Sénat, s’est borné à répondre : « Vous venez de nous dire que vous avez la conviction qu’il y a des Français vivants en Algérie ?... Je n’ai pas, moi, votre conviction. » (Journal Officiel pages 2571 à 2573)

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En d’autres termes, le Gouvernement français préfère considérer, une fois pour toutes, que tous les disparus sont morts, ce qui le dispense d’entreprendre aucun effort pour sauver ceux qui sont encore en vie.

Il va même jusqu’à interdire aux unités militaires françaises demeurées en Algérie de venir au secours de Français séquestrés et torturés !

Vous ne pouvez pas ignorer, non plus, le cas de cet ouvrier d’un grand constructeur d’automobiles français, employé à la succursale d’Oran. Enlevé en juillet 1962, enfermé vingt-neuf jours à l’usine de poissons de la S.A.P.S., presque sans boire et sans manger, il y subit d’horribles sévices et il vit abattre devant lui des dizaines de Français. On les enterrait dans la cour de l’usine, sous un tas de guano. Qui sait s’ils n’y sont pas encore ?

Quant à lui, on l’emmena dans une camionnette, les poignets liés de fil de fer, avec un autre détenu. Dans un sursaut imprévisible, il rompit le fil de fer. Ses poignets portent encore de profondes entailles. Plus loin, ils sautèrent en marche. Ils furent recueillis, épuisés, par une patrouille de gendarmerie qui les évacua vers la France. Aujourd’hui, cet homme est employé par la même marque d’automobiles dans la succursale d’une grande ville.

Croyez-vous que tous ceux qui attendent l’un des leurs ne savent pas cela ? Et lorsqu’il s’est évadé, où allait-il donc ? Combien d’autres ont pris le même chemin avant et après lui ? Comment voulez-vous que tous ceux qui attendent un fils, un père, un frère, et qui connaissent ce cas, n’y croient pas encore ?

Comment n’espéreraient-ils pas s’ils connaissaient les renseignements fournis par ce jeune ingénieur électricien, rentré en France il y a à peine un mois .Requis, voici trois mois seulement par les Autorités algériennes pour réparer une station hertzienne à la construction de laquelle il avait participé, arrivant au poste de police qui la garde, il s’étonna de voir, en contrebas, à 800 ou 900 mètres, vingt à vingt cinq hommes à moitié nus qui semblaient faire des mouvements de gymnastique entourés d’hommes en armes. Il demanda à la sentinelle algérienne : « Des nouvelles recrues, sans doute ? ». Mais la sentinelle lui répondit : « Adasrani … » (des chrétiens).

L…, 20 ans, et F… 17 ans ½ sont des enfants du quartier populaire d’Alger, le Ruisseau. Le 4 mai 1962, donc trois mois après Evian, ils sont enlevés, subissant quarante et un jours de tortures effroyables à la villa Lung… On leur coupe le nez, les oreilles. On crève les yeux de l’un, on matraque l’autre ; il en a perdu l’usage de la parole. L’aveugle peut parler, celui qui voit ne parle plus…

Ils ont été libérés par un commando et remis aux services médicaux de l’armée française à l’hôpital Maillot. Les familles ont été prévenues par une femme de salle, laquelle les a, ensuite, prévenues de leur rapatriement en France.

La Croix Rouge française est avisée de leur rapatriement en France par la Croix Rouge Internationale. Ils sont partis pour Nancy. Le journal « Le Méridional » relate cette affaire. Voici seize mois qu’un père, une mère, gravissent le plus terrible calvaire : leur fils, Daniel F…, à cette époque âgé de 17 ans ½ avait été enlevé le 4 mai 1962 alors, qu’avec un camarade, il se rendait du Ruisseau au port d’Alger.

Demeurés à Alger durant plusieurs mois pour effectuer les recherches, M. et Mme F… ne pouvant plus tenir dans l’enfer algérien, devaient se résigner à regagner la France. Ils devaient bientôt apprendre que leur fils avait été libéré entre le 11 et le 13 juin.

En avril 1963, M. F… recevait une lettre de la Croix Rouge Internationale de Genève lui disant que Daniel était vivant. Grand blessé de la face, il avait été rapatrié à bord d’un avion sanitaire dirigé sur Nancy. La délégation de Marseille de la Croix Rouge française, avisée par le C.I.C.R. confirmait la nouvelle.

Immédiatement, M. F… se rendait à Nancy. Aucune trace de son fils dans aucun hôpital. A Lyon, à l’hôpital Edouard Herriot, il parcourait tous les pavillons. Là non plus, aucun résultat.

Les demandes de recherches faites officiellement devaient rester vaines (J.O page 2572)

M. de Broglie, Secrétaire d’Etat aux Affaires algériennes devait déclarer : « L’affaire, sans doute, est compliquée : il subsiste quelques points obscurs… Je fais actuellement poursuivre sur le territoire national des recherches extrêmement poussées… »

NDLR : A notre connaissance, M. et Mme F… n’ont jamais retrouvé leur fils…

Source : La lettre de VERITAS N° 140 - 141 - 142

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VII - Après le 19 mars le mensonge d'Evian - Les disparus civils : Témoignages - Commémorations - Homélies - Pétition internationale

6. Lettre ouverte d'Anne Cazal au Président de la République : " La France n'a plus aucun otage, avez-vous affirmé ...? "

 

 Fronton le 14 décembre 2014

 

ANNE CAZAL
Journaliste - Ecrivain
B.P. 28
31620 FRONTON

à                                                                                                         

                                                                                                                      

                                                                                                        Monsieur François HOLLANDE
                                                                                      Président de la République
                                                                                      Palais de l’Elysée
                                                                                      55 rue du Faubourg Saint Honoré
                                                                                      75008 PARIS

 

LETTRE OUVERTE

 

Monsieur le Président de la République,

« La France n’a plus aucun otage. » avez-vous affirmé, la main sur le cœur, lors de l’accueil réservé à Serge LAZAREVIC …

Vous avez poursuivi ainsi : "La France ne compte plus d'otage et elle ne doit plus compter d'otages. Ce qui suppose une grande vigilance, une grande protection de nos intérêts. Et je fais ici appel à toutes les entreprises et les administrations pour éviter ces drames. Que les Français prennent bien conscience que ces questions d'otages sont extrêmement douloureuses…

Oh ! Qu’en termes sommaires ces choses- là sont dites, Monsieur le Président de la République Française ! Plus aucun otage français… En êtes-vous certain ?

« La France n’a plus d’otage. ». Auriez-vous totalement effacé de votre mémoire la déclaration du Président de la République algérienne en 1971, lequel déclarait : « A Paris on semble ignorer que nous détenons un très grand nombre d’otages français. Quand il le faudra nous en communiquerons la liste à toute la presse et cela provoquera une émotion considérable en France. Alors, pour obtenir la libération de ces otages, il faudra y mettre le prix. » ?

Lorsque vous avez déclaré, aussi légèrement : « La France n’a plus aucun otage », étiez-vous soudain frappé d’amnésie, ou aviez-vous décidé de gommer de l’Histoire de France les 537 jeunes appelés, dits « prisonniers du FLN » et qui n’ont jamais été rendus au premier président-fondateur de la cinquième République, sans que celui-ci ne bronche ?

« La France n’a plus d’otage. » Ne vous est-il jamais venu à l’idée que quelques-uns de ces malheureux jeunes Français, qui avaient 20 ans à l’époque de la capitulation gaulliste, puissent encore survivre, esclaves dans quelques bouges, réduits à l’état de bêtes de somme, condamnés à tourner sans fin quelque noria dans le sud algérien ?...

« La France n’a plus d’otage. » Et ceux que la France gaulliste a si légèrement nommés « les disparus », dont vos Archives falsifiées ont réduit le nombre à 3018, mais qui furent éminemment plus nombreux, et ces Harkis, soldats français tous otages de cet ennemi vaincu, devant lequel la France a capitulé, qui furent décimés par centaines de milliers ?

Et ces jeunes fillettes, à peine nubiles, arrachées aux bras de leurs parents sur le quai des ports d’Oran ou d’Alger, pour assurer le repos des guerriers, sont-elles toutes mortes en esclavage ? N’en reste-il pas une seule de vivante « puisque la France n’a plus d’otage » ?…

Non, Monsieur le Président de la République Française, nous ne sommes pas « à un moment important », nous nous noyons en pleine amnésie !

                                                                                                             Anne CAZAL

 

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