2.1 - Pieds-noirs victimes d'enlèvements : les disparus question occultée - ces archives qui contredisent l'histoire officielle

VII - Après le 19 mars le mensonge d'Evian - Les disparus civils : Témoignages - Commémorations - Homélies - Pétition internationale

5 - LE DRAME DES DISPARUS EN ALGERIE - Extraits du rapport officiel de la Commission Internationale de Recherche Historique sur les événements d’Algérie 1963

 

Un Français d’Oran, Monsieur M…, a été enlevé près de Charron en août 1962. Ses ravisseurs avaient laissé dans sa voiture la photographie de deux d’entre eux, les « djounoud » (membres des groupes armés FLN, Boualem et Kasiche.

De nombreuses femmes ont été enlevées uniquement pour la prostitution. Certaines ont été livrées aux maisons closes, telle Madame V… enlevée à Alger le 14 juin 1962, retrouvée dans une maison close de Belcourt, rendue à sa famille le 9 janvier 1963 et considérée maintenant comme folle incurable.

D’autres ont été attribuées à des officier de l’ALN comme Mademoiselle P… institutrice à Inkermann ; d’autres, enfin, ont été vendues à des trafiquants internationaux et acheminées vers le Maroc ou le Congo ex-belge, peut-être même, pour certaines, vers l’Amérique du Sud.

La plupart de ces malheureuses sont irrécupérables, certaines ont été tatouées, voire mutilées ; beaucoup ont eu des enfants nés des œuvres de leurs geôliers.

Les rares femmes, comme Madame V… actuellement à Nîmes, sont devenues folles ou demeurent prostrées. L’une d’elles, femme d’un officier français dont on doit taire le nom, la famille ignorant heureusement tout, mère de trois enfants, s’est donné la mort le lendemain de sa libération d’une maison close de la Bocca Schanoun à Orléansville.

Le trafic des femmes se poursuit en Algérie à l’heure actuelle comme on peut le constater à la lecture du témoignage joint d’une jeune infirmière lyonnaise.

Enfin des techniciens ou réputés tels ont été enlevés pour servir soit dans des unités de l’ALN, soit comme main d’œuvre bon marché chez les fellahs du bled. D’autres ont été employés sur des chantiers de déminage, notamment à la frontière tunisienne ; d’autres dans des mines comme celles de Miliana dans laquelle le jeune soldat A… , enlevé le 21 juillet 1962 à Maison-Carrée et évadé au printemps 1963, a travaillé plusieurs mois durant, d’autres, enfin, sur des chantiers de routes comme celle d’Afflou à Laghouat.

La plupart des personnes enlevées sont mortes comme sont morts la quasi-totalité des Français enlevés à Oran dans la seule journée du 5 juillet 1962. Cette tragique journée a été marquée par des massacres en pleine rue, sous les yeux des militaires français auxquels leur chef, le général Katz, avait interdit toute intervention.

On ne saura jamais le nombre exact des morts de cette journée, comme on ne connaîtra jamais le nombre de personnes enlevées dans les rues, les cafés, les restaurants, les hôtels même, et dirigées vers le commissariat central de police ou les maisons closes des quartiers périphériques, torturées, violées – même les jeunes gens – égorgées, éventrées, enfin incinérées, pour la plupart, dans les chaufferies des bains maures. Des estimations de source officielle donnaient, peu après cette journée, les chiffres de 91 morts et de 500 disparus. Les chiffres réels sont, certainement, très supérieurs.

A une dizaine d’exceptions près, aucune trace des disparus n’a été trouvée. Les charniers découverts au quartier du Petit Lac contiennent les corps de victimes abattues au cours des semaines précédentes, notamment celles de la tristement célèbre « banque du sang » du docteur Larribère, ancien député communiste d’Oran, dans laquelle des malheureux et des malheureuses étaient vidés de leur sang pour permettre des transfusions aux fellaghas blessés. Tous les renseignements sur cette scandaleuse ignominie, dont les auteurs sont, maintenant, libres et chargés d’honneurs, ont été recueillis par la gendarmerie nationale d’Oran. Ils sont irréfutables.

Si on ne reverra jamais la presque totalité des personnes enlevées à Oran le 5 juillet 1962, il y a relativement peu de chances de retrouver les autres disparus. La plupart sont morts, soit aussitôt après leur capture, soit sous les coups, les mauvais traitements, les tortures, dans les jours qui ont suivi, soit tout simplement de misère physiologique.

En certains lieux, notamment près de Teniet-el-Haad, ou bien encore aux environs de Nelsonbourg ou de Berrouaghia, dans l’Algérois, près de Misserghin ou de Perregaux en Oranie, on trouve encore des témoignages atroces : ossements humains dont on ne sait s’ils sont ceux de musulmans ou de chrétiens, squelettes attachés par ce qui fut des poignets et des chevilles à des branches d’arbres, et certains sentiers des djebels, certaines pistes tracées dans des massifs boisés, sont jalonnés de débris de vêtements laissés par des colonnes d’hommes réduits à l’esclavage.

Des témoignages précis ont, cependant, permis de conclure à la survie d’un certain nombre de captifs, principalement des techniciens. Des témoins dignes de foi ont vu, de leurs yeux, des Européens prisonniers, ainsi sur la piste d’Aflou à Laghouat, ainsi dans le djebel proche de Berrouaghia, ainsi près de Ténès, et dans les environs de Miliana.

Des éléments dissidents de l’armée algérienne ont reconnu détenir des Français, ils ont même donné des noms, de même qu’ils ont reconnu avoir exécuté tel ou tel de leurs prisonniers. Ces témoignages ont été portés à la connaissance du Gouvernement français et de ses services diplomatiques et consulaires.

N’ignorant rien de la situation faite à ses ressortissants, le gouvernement français s’est, d’abord, contenté de faire des représentations diplomatiques vouées à l’échec, le gouvernement algérien ne pouvant que nier la détention de citoyens français. Au surplus, il est de notoriété publique que l’autorité de M. Ben Bella de s’étend pas au-delà de sa capitale.

S’inclinant devant les dénégations du Gouvernement algérien, le Gouvernement français s’est alors adressé à la Croix Rouge Internationale. Moyennant une subvention – quinze millions d’anciens francs par mois – le Comité International de la Croix Rouge a opéré quatre mois durant en Algérie.

Ses quelques quarante représentations locales se sont attachées, principalement, à rechercher les morts et à les identifier, pas toujours heureusement, du reste, puisque, dans un cas très précis, la Croix Rouge a avisé le Gouvernement français pour information aux familles de la découverte et de l’identification de trois corps trouvés au Sud des Gorges de la Chiffa, et qui se sont révélés être ceux de trois autres disparus.

Les représentations de la Croix Rouge, composées exclusivement et selon le règlement de cette organisation, de citoyens helvétiques, donc ne connaissant guère l’Algérie et ses habitants, n’ont pratiquement pas recherché les vivants. Un exemple suffira :

La mère d’un disparu d’Orléansville s’était rendue dans cette localité pour y rencontrer les délégués de la Croix Rouge ; ils n’étaient pas à leur bureau ; on la renvoya à la piscine en précisant qu’ils s’y trouvaient d’habitude ; en réponse à la question : « Avez-vous des nouvelles de mon petit ? », il lui fut répondu : « Mais Madame, ils sont tous morts… ». Et comme cette malheureuse mère insistait, demandant si les délégués avaient fait des recherches dans le bled et le djebel : « Vous voudriez que nous disparaissions à notre tour ou que nous soyons égorgés ? ».

La mission de la Croix Rouge Internationale était limitée aux seuls Européens. Tous les renseignements concernant les musulmans étaient systématiquement transmis au Croissant Rouge Algérien, donc à la police benbelliste. Des arrestations de familles de Harkis ont été opérées à la suite de telles transmissions.

Les protestations officielles n’ayant servi à rien, l’action de la Croix Rouge Internationale se révélant inefficace, voire dangereuse, le Gouvernement français eut alors recours aux bons offices d’initiatives privées. Des enquêteurs se sont rendus en Algérie sans aucun caractère officiel ; ils ont parcouru le pays, se sont aventurés dans les zones de dissidence, ont interrogés tous ceux qui connaissaient quelque chose, ils ont même mené de véritables négociations avec des responsables locaux.

Sur quelles bases ? A leur départ, le Gouvernement français, reconnaissant ses échecs, estimait qu’une seule solution restait possible : le rachat des captifs, tout comme au Moyen-Age les Trinitaires et les Mercédaires rachetaient aux Barbaresques les chrétiens prisonniers.

La Croix Rouge Internationale avait refusé de se prêter à une telle opération jugée contraire à ses principes. Les enquêteurs privés n’avaient pas d’autre moyen à leur disposition. Ce moyen même n’a pas suffi puisque, dans l’ensemble, les résultats ont été décevants. Les quelques libérations obtenues l’ont été par d’autres moyens.

Les enquêteurs privés sont rentrés riches de renseignements, certes, avec la conviction accrue de la survie de groupes de disparus, mais avec la tristesse de n’avoir pu mener à bien leur tâche.

Ils ont rencontré, sur le sol algérien, des unités de l’Armée française auxquelles il était formellement interdit de s’occuper, à quelque titre que ce soit, de la recherche des prisonniers !

L’existence de ces malheureux est constamment menacée et il est douteux qu’ils puissent affronter un nouvel hiver dans les conditions inhumaines qu’ils subissent.

Au cours d’une intervention au Sénat le 19 novembre 1963, le Sénateur Dailly a fourni les chiffres suivants 

Sur 2.111 enquêtes ouvertes par les services officiels :

  • 244 ont abouti à une constatation de décès
  • 500 ont abouti à une présomption de décès
  • 311 n’ont été suivies d’aucune conclusion
  • 88 personnes auraient été libérées
  • 968 personnes dont on ignore totalement le sort

 

 Il y aurait donc encore, en Algérie un millier d’hommes et de femmes vivants – ou plutôt morts-vivants – dont le nombre décroît évidemment chaque jour en raison des sévices auxquels ils sont soumis, et de l’inaction totale du Gouvernement français.

Le prince de Broglie, Président du Sénat, s’est borné à répondre : « Vous venez de nous dire que vous avez la conviction qu’il y a des Français vivants en Algérie ?... Je n’ai pas, moi, votre conviction. » (Journal Officiel pages 2571 à 2573)

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En d’autres termes, le Gouvernement français préfère considérer, une fois pour toutes, que tous les disparus sont morts, ce qui le dispense d’entreprendre aucun effort pour sauver ceux qui sont encore en vie.

Il va même jusqu’à interdire aux unités militaires françaises demeurées en Algérie de venir au secours de Français séquestrés et torturés !

Vous ne pouvez pas ignorer, non plus, le cas de cet ouvrier d’un grand constructeur d’automobiles français, employé à la succursale d’Oran. Enlevé en juillet 1962, enfermé vingt-neuf jours à l’usine de poissons de la S.A.P.S., presque sans boire et sans manger, il y subit d’horribles sévices et il vit abattre devant lui des dizaines de Français. On les enterrait dans la cour de l’usine, sous un tas de guano. Qui sait s’ils n’y sont pas encore ?

Quant à lui, on l’emmena dans une camionnette, les poignets liés de fil de fer, avec un autre détenu. Dans un sursaut imprévisible, il rompit le fil de fer. Ses poignets portent encore de profondes entailles. Plus loin, ils sautèrent en marche. Ils furent recueillis, épuisés, par une patrouille de gendarmerie qui les évacua vers la France. Aujourd’hui, cet homme est employé par la même marque d’automobiles dans la succursale d’une grande ville.

Croyez-vous que tous ceux qui attendent l’un des leurs ne savent pas cela ? Et lorsqu’il s’est évadé, où allait-il donc ? Combien d’autres ont pris le même chemin avant et après lui ? Comment voulez-vous que tous ceux qui attendent un fils, un père, un frère, et qui connaissent ce cas, n’y croient pas encore ?

Comment n’espéreraient-ils pas s’ils connaissaient les renseignements fournis par ce jeune ingénieur électricien, rentré en France il y a à peine un mois .Requis, voici trois mois seulement par les Autorités algériennes pour réparer une station hertzienne à la construction de laquelle il avait participé, arrivant au poste de police qui la garde, il s’étonna de voir, en contrebas, à 800 ou 900 mètres, vingt à vingt cinq hommes à moitié nus qui semblaient faire des mouvements de gymnastique entourés d’hommes en armes. Il demanda à la sentinelle algérienne : « Des nouvelles recrues, sans doute ? ». Mais la sentinelle lui répondit : « Adasrani … » (des chrétiens).

L…, 20 ans, et F… 17 ans ½ sont des enfants du quartier populaire d’Alger, le Ruisseau. Le 4 mai 1962, donc trois mois après Evian, ils sont enlevés, subissant quarante et un jours de tortures effroyables à la villa Lung… On leur coupe le nez, les oreilles. On crève les yeux de l’un, on matraque l’autre ; il en a perdu l’usage de la parole. L’aveugle peut parler, celui qui voit ne parle plus…

Ils ont été libérés par un commando et remis aux services médicaux de l’armée française à l’hôpital Maillot. Les familles ont été prévenues par une femme de salle, laquelle les a, ensuite, prévenues de leur rapatriement en France.

La Croix Rouge française est avisée de leur rapatriement en France par la Croix Rouge Internationale. Ils sont partis pour Nancy. Le journal « Le Méridional » relate cette affaire. Voici seize mois qu’un père, une mère, gravissent le plus terrible calvaire : leur fils, Daniel F…, à cette époque âgé de 17 ans ½ avait été enlevé le 4 mai 1962 alors, qu’avec un camarade, il se rendait du Ruisseau au port d’Alger.

Demeurés à Alger durant plusieurs mois pour effectuer les recherches, M. et Mme F… ne pouvant plus tenir dans l’enfer algérien, devaient se résigner à regagner la France. Ils devaient bientôt apprendre que leur fils avait été libéré entre le 11 et le 13 juin.

En avril 1963, M. F… recevait une lettre de la Croix Rouge Internationale de Genève lui disant que Daniel était vivant. Grand blessé de la face, il avait été rapatrié à bord d’un avion sanitaire dirigé sur Nancy. La délégation de Marseille de la Croix Rouge française, avisée par le C.I.C.R. confirmait la nouvelle.

Immédiatement, M. F… se rendait à Nancy. Aucune trace de son fils dans aucun hôpital. A Lyon, à l’hôpital Edouard Herriot, il parcourait tous les pavillons. Là non plus, aucun résultat.

Les demandes de recherches faites officiellement devaient rester vaines (J.O page 2572)

M. de Broglie, Secrétaire d’Etat aux Affaires algériennes devait déclarer : « L’affaire, sans doute, est compliquée : il subsiste quelques points obscurs… Je fais actuellement poursuivre sur le territoire national des recherches extrêmement poussées… »

NDLR : A notre connaissance, M. et Mme F… n’ont jamais retrouvé leur fils…

Source : La lettre de VERITAS N° 140 - 141 - 142

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