1.1 - Jusqu'en 1830 - L'histoire oubliée des Blancs réduits en esclavage "Esclaves chrétiens - Maîtres musulmans"de R.C. DAVIS

III - Histoire et récits - Jusqu'en 1830

"Christian Slaves Muslim Masters" : Robert C. Davis
"Esclaves chrétiens - Maîtres musulmans"
White Slavery in the Mediterranean,  the Barbary Coast, and Italy
- 2003 - Jacqueline Chambon

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Robert C. Davis

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Présentation de l'éditeur

Sujet politiquement incorrect, sous-estimé par Fernand Braudel et par nombre d'historiens, l'esclavage blanc pratiqué par ceux que l'on nommait alors les Barbaresques a bel et bien existé sur une grande échelle et constitué une véritable traite qui fit, durant près de trois siècles, plus d'un million de victimes. Qui étaient-elles ? Comment se les procurait-on ? Comment fonctionnaient les marchés d'Alger, Tunis et Tripoli, les trois villes qui formaient le noyau dur de la Barbarie ? Quelle forme prenait l'asservissement, tant physique que moral, de ces hommes et de ces femmes originaires de toute l'Europe, et principalement d'Italie, d'Espagne et de France ? Quelle était leur vie dans les bagnes et sur les galères ? Comment l'Église catholique et les États européens tentèrent-ils de les racheter ? Dans cet ouvrage, fruit de dix années de recherches, et qui s'appuie sur de très nombreuses sources et une abondante documentation, Robert C. Davis bat en brèche l'idée élaborée au XIXe siècle et encore dominante d'un esclavage fondé avant tout sur des critères raciaux.

Biographie de l'auteur

Spécialiste de l'Italie de la Renaissance, Robert C. Davis est professeur d'histoire à l'université de Columbus (Ohio). Il poursuit actuellement ses recherches sur l'esclavage en Méditerranée.

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... Robert C. Davis remarque que les historiens américains ont étudié tous les aspects de l'esclavage des Africains par les Blancs mais ont largement ignoré l'esclavage des Blancs par les Nord-Africains. "Christian Slaves, Muslim Masters" (Esclaves chrétiens, maîtres musulmans) est un récit soigneusement documenté et clairement écrit de ce que le professeur Davis nomme "l'autre esclavage", qui s'épanouit durant approximativement la même période que le trafic transatlantique et qui dévasta des centaines de communautés  côtières européennes. Dans la pensée des Blancs d'aujourd'hui, l'esclavage ne joue pas du tout le rôle central qu'il joue chez les Noirs, mais pas parce qu'il fut un problème de courte durée ou sans importance. L'histoire de l'esclavage méditerranéen est, en fait, aussi sombre que les descriptions les plus tendancieuses de l'esclavage américain. ...

Un Commerce en gros

La côte barbaresque qui s'étend du Maroc à la Libye moderne, fut le foyer d'une industrie florissante de rapt d'êtres humains depuis 1500 jusqu'à 1800 environ. Les grandes capitales esclavagistes étaient Salé au Maroc, Tunis, Alger et Tripoli et pendant la plus grande partie de cette période les marines européennes étaient trop faibles pour opposer plus qu'une résistance symbolique.

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Le trafic transatlantique des Noirs était strictement commercial mais pour les Arabes, les souvenirs des Croisades et la fureur d'être expulsés d'Espagne en 1492 semblent avoir motivé une campagne de rapt chrétiens, ressemblant presque à un  djihad....


III - Histoire et récits - Jusqu'en 1830

Certains furent rendus à leur famille contre une rançon, certains furent utilisés pour le travail forcé en Afrique du Nord et les moins chanceux moururent à la tâche comme esclaves sur les galères.

Ce qui est frappant concernant les raids esclavagistes barbaresques est leur ampleur et leur portée. Les pirates kidnappaient la plupart de leurs esclaves en interceptant des bateaux  mais ils organisaient aussi d'énormes assauts amphibies qui dépeuplèrent pratiquement des parties de la côte italienne..... C'est seulement vers 1700 que les Italiens purent empêcher les raids terrestres spectaculaires, bien que la piraterie sur les mers continuât sans obstacles.

Certains pirates arabes étaient d'habiles navigateurs de haute mer et terrorisèrent les chrétiens jusqu'à une distance de 1600 kms. Un raid  spectaculaire jusqu'en Islande en 1627 rapporta près de 400 captifs. Nous pensons que l'Angleterre était une redoutable puissance  maritime dès l'époque de Francis Drake mais pendant tout le 17ème siècle les pirates arabes opérèrent librement dans les eaux britanniques, pénétrant même dans l'estuaire de la Tamise pour faire des prises et des raids sur villes côtières. En seulement trois ans, de 1606 à 1609, la marine britannique reconnut avoir perdu pas moins de 466 navires marchands britanniques et écossais du fait des corsaires algériens....

La vie sous le fouet

Les attaques terrestres pouvaient être très fructueuses mais elles étaient plus risquées que les prises en mer. Les navires étaient par conséquent la principale source d'esclaves blancs. A la différence de leurs victimes, les navires corsaires avaient deux moyens de propulsion : les esclaves des galères en plus des voiles. Cela signifiait qu'ils pouvaient avancer à la rame vers un bateau encalminé et l'attaquer quand ils voulaient....

Un navire marchand de bonne taille pouvait porter environ 20 marins en assez bonne santé pour durer quelques années dans les galères et les passagers étaient habituellement bons pour en tirer une rançon. Les nobles et les riches marchands étaient des prises attractives, de même que les Juifs, qui pouvaient généralement rapporter une forte rançon de la part de leurs coreligionnaires. Les hauts dignitaires du clergé étaient aussi précieux parce que le Vatican payait habituellement n'importe quel prix pour les tirer des mains des infidèles

Si les pirates étaient à court d'esclaves pour les galères ils pouvaient mettre certains de leurs captifs au travail immédiatement mais les prisonniers étaient généralement mis dans la cale pour le voyage de retour. Ils étaient entassés, pouvant à peine bouger dans la saleté, la puanteur et la vermine et beaucoup mouraient avant d'atteindre le port.

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Dès l'arrivée en Afrique du Nord c'était la tradition de faire défiler les chrétiens récemment capturés pour que les gens puissent se moquer d'eux et que les enfants puissent les couvrir d'ordures. Au marché des esclaves, les hommes étaient obligés de sautiller pour prouver qu'ils n'étaient pas boiteux et les acheteurs voulaient souvent les faire mettre nus pour voir s'ils étaient en bonne santé. Cela permettait aussi d'évaluer la valeur sexuelle des hommes comme des femmes ; les concubines blanches avaient une valeur élevée et toutes les capitales esclavagistes avaient un réseau homosexuel florissant. ... Il était aussi habituel de regarder les dents d'un captif pour voir s'il pourrait survivre à un dur régime d'esclave.

Le pacha ou le souverain de la région recevait un certain pourcentage d'esclaves comme une forme d'impôt sur le revenu. Ceux-ci étaient presque toujours des hommes et devenaient propriété du gouvernement plutôt que propriété privée. A la différence des esclaves privés qui embarquaient avec leur maître, ils vivaient dans les "bagnos" ou "bains" ainsi que les magasins d'esclaves du pacha  étaient appelés. Il était habituel de raser la tête et la barbe des esclaves publics  comme une humiliation supplémentaire, dans une période où la tête et la pilosité faciale étaient une part importante de l'identité masculine.

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La plupart des esclaves publics passaient le reste de leur vie comme esclaves sur les galères et il est difficile d'imaginer une existence plus misérable. Les hommes étaient en chaînés trois, quatre ou cinq par aviron, leurs chevilles enchaînées ensemble aussi. Les rameurs ne quittaient jamais leurs rames et quand on les laissait dormir  ils dormaient sur leur banc. Les esclaves pouvaient se pousser les uns les autres pour se soulager dans une ouverture de la coque mais ils étaient souvent trop épuisés ou découragés pour bouger et se souillaient là où ils étaient assis. Ils n'avaient aucune protection contre le brûlant soleil méditerranéen et leur maître écorchait leur dos déjà à vif avec l'instrument d'encouragement favori du conducteur d'esclaves, un pénis de bœuf allongé ou "nerf de bœuf". Il n'y avait aucun espoir d'évasion ou de secours ; le travail d'un esclave de galère était de se tuer à la tâche  ... et son maître le jeter par dessus bord au premier signe de maladie grave.

Quand la flotte pirate était au port, les esclaves des galères vivaient dans le bagne et faisaient tout le travail sale, dangereux ou épuisant que le pacha leur ordonnait de faire. C'était habituellement tailler et traîner des pierres, draguer le port, ou les ouvrages pénibles. Les esclaves se trouvant dans la flotte du sultan turc n'avaient même pas ce choix. Ils étaient souvent en mer pendant des mois d'affilée et restaient enchaînés à leurs rames même au port. Leurs bateaux étaient des prisons à vie.


III - Histoire et récits - Jusqu'en 1830

D'autres esclaves sur la côte barbaresques avaient des travaux plus variés. Souvent ils faisaient du travail de propriétaire ou agricole du genre que nous associons à l'esclavage en Amérique ... Quoiqu'ils fassent  à Tunis ou à Tripoli les esclaves portaient habituellement  un anneau de fer autour d'une cheville et étaient chargés d'une chaîne pesant 11 ou 14 kg.

Le professeur Davis remarque qu'il n'y avait aucun obstacle à la cruauté... Les esclaves n'étaient pas seulement des marchandises, ils étaient des infidèles et méritaient toutes les souffrances qu'un maître leur infligeait. ...

La punition favorite était la bastonnade par laquelle un homme était mis sur le dos et ses chevilles attachées et suspendu par la taille pour être battu longuement sur la plante des pieds...la violence systématique transformait beaucoup d'hommes en automates. Les esclaves chrétiens étaient si abondants et si bon marché qu'il n'y avait aucun intérêt à s'en occuper; beaucoup de propriétaires les faisaient travailler jusqu'à la mort et achetaient des remplaçants......

Une manière d'alléger le poids de l'esclavage était de "prendre le turban" et de se convertir à l'islam. Cela exemptait un homme du service dans les galères, des ouvrages pénibles et de quelques autres brimades indignes du fils du prophète, mais ne le faisait pas sortir de leur condition d'esclave.

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Rançon et achat

Pour les esclaves l'évasion était impossible... le seul espoir était la rançon. Parfois la chance venait rapidement. Si un groupe de pirates avait déjà capturé tant d'hommes qu'il n'avait plus assez d'espace sous le pont, il pouvait ... revendre les captifs à leurs familles. C'était à un prix bien plus faible que celui du rançonnement de quelqu'un à partir d'Afrique du Nord mais c'était encore bien plus que des paysans pouvaient se le permettre. ...

La majorité des esclaves dépendaient dons de l'œuvre charitable des Trinitaires (fondée en Italie en 1193) et de celle des Mercedariens (fondée en Espagne en 1203). Ceux-ci étaient des ordres religieux établis pour libérer les Croisés détenus par les Musulmans, mais ils transférèrent leur œuvre au rachat des esclaves détenus par les Barbaresques, collectant l'argent spécifiquement dans ce but. ... Les deux ordres devinrent des négociateurs habiles.... Cependant il n'y avait jamais assez d'argent pour libérer beaucoup de captifs et Davis estime que pas plus de 3 ou 4 % étaient rançonnés en une seule année. ...  Les ordres religieux conservaient des comptes précis de leurs succès.

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Combien d'esclaves

Davis remarque que des recherches énormes ont été faites pour évaluer aussi exactement que possible le nombre de Noirs emmenés à travers l'Atlantique mais qu'il n'y a pas eu d'efforts semblables pour connaître l'ampleur de l'esclavage en Méditerranée. Il n'est pas facile d'obtenir un compte fiable - les Arabes eux-mêmes ne conservaient pas d'archives - mais au cours de dix années de recherches Davis a développé une méthode d'estimation.

Par exemple, les archives suggèrent que de 1580 à 1680 il y a eu une moyenne de 35.000 esclaves en pays barbaresque. Il y avait une perte régulière du fait des morts et des rachats, donc si la population restait constante, le taux de capture de nouveaux esclaves par les pirates devait égaler le taux d'usure. ...On sait que sur les près de 400 Islandais capturés en 1627, il ne restait plus que 70 survivants huit ans plus tard. En plus de la malnutrition, de la surpopulation, de l'excès de travail et des punitions brutales, les esclaves subissaient des épidémies de peste, qui éliminaient 20 ou 30% des esclaves blancs.

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III - Histoire et récits - Jusqu'en 1830

Davis estime que le taux de décès était d'environ 20% par an. Les esclaves n'avaient pas accès aux femmes, donc le remplacement se faisait exclusivement par captures. Sa conclusion est "qu'entre 1530 et 1780, il y eut certainement un million et peut-être bien jusqu'à un million et un quart de chrétiens européens blancs asservis par les musulmans de la côte barbaresque". Cela dépasse considérablement le chiffre généralement accepté de 800.000 Africains transportés dans les colonies d'Amérique du Nord et plus tard dans les Etats-Unis

Les puissances européennes furent incapables de mettre fin à ce trafic. Davis explique qu'à la fin des années 1700, elles contrôlaient mieux ce commerce mais qu'il y eut une reprise de l'esclavage des Blancs pendant le chaos des guerres napoléoniennes.

La navigation américaine ne fut pas exempte non plus de la prédation. C'est seulement en 1815, après deux guerres contre eux, que les marins américains furent débarrassés des pirates barbaresques. Ces guerres furent des opérations importantes pour la jeune république; une campagne est rappelée par les paroles " vers les rivages de Tripoli" dans l'hymne de la Marine.

Sur Wikipedia : la guerre de Tripoli (1801-1805) aussi appelée la première guerre barbaresque  fut la toute première guerre engagée par les Etats-Unis d'Amérique après leur indépendance et la première des deux guerres qu'ils menèrent contre les Etats du Maghreb, alors connus sous le nom d'états barbaresques, qu'était le Sultanat indépendant du Maroc, et les trois Régences d'Alger, de Tunis et de Tripoli, provinces mais dans les faits quasi indépendantes, de l'Empire ottoman.

Pourquoi y a t-il si peu d'intérêt pour l'esclavage en Méditerranée ...? Les schémas de victimisation si chers aux intellectuels requièrent de la méchanceté blanche, pas des souffrances blanches. ...

Quand les Français prirent Alger en 1830, il y avait encore 120 esclaves blancs dans le bagne.

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