11.9 - Jean-Pierre Richarté à propos du documentaire de Christophe Weber et rencontres avec Simone Gautier 2008 - 2012

1 - Témoignage écrit de Jean-Pierre Richarté, préparatoire à l’interview réalisée par Christophe Weber pour son documentaire - 2007

"Une émission sur la fusillade de la rue d’Isly va être diffusée, fort tardivement, à la Télé. Le journaliste Christophe Weber est venu m’interviewer. Je n’ai pas vu le montage et je ne sais quel sera la forme prise par cette émission. J’ai donc jugé nécessaire et voulu dire par écrit mon sentiment sur cette journée du 26 mars 1962 pour que chacun puisse avoir l’information complète et surtout mon analyse personnelle pour avoir été présent ce jour là.

Vous pouvez enregistrer et diffuser le message, prévenir vos amis ou ceux que cela intéresse, même s’il est très dur de faire remonter à la surface de tels évènements. Il est aussi important pour moi de pouvoir enfin me libérer d’un tel poids. Je n’ai rien à me reprocher mais je porte toujours au fond de ma conscience une part de responsabilité en me disant que si je n’avais pas installé un barrage avec mes camions, la manifestation aurait pu s’écouler par la rue Lelluch et ne pas se trouver rue d’Isly comme le souhaitait le Gouvernement et ceux qui avaient préparé l’embuscade."

Remarques préliminaires.
Avec le temps qui passe, quand j’y pense en analysant les évènements que j’ai vécus, je suis de plus en plus persuadé que cette fusillade de la rue d’Isly était voulue par le Gouvernement. Un témoignage à chaud n’aurait pas pris le même sens. Ma mémoire est devenue sélective : je me souviens très bien de certaines choses et d’autres sont plus floues. Depuis, pour oublier, je n’ai jamais voulu lire tout ce qui a été écrit à ce sujet. Je ne peux aujourd’hui m’empêcher de replacer cet évènement dramatique dans le contexte de l’époque pour le comprendre.
Je n’ai jamais souhaité parler de ces évènements trop lourds à porter mais aujourd’hui, 45 ans après, il me parait important de laisser une trace pour mes enfants et petits-enfants et très modestement un témoignage pour l’Histoire. Jeune aspirant, dès ma sortie de l’école d’Officiers de Cherchell, j’ai choisi d’être affecté en décembre 1961 au 4ème Régiment de tirailleurs, 2ème compagnie (Capitaine DUCRETET), comme chef de la 3ème section.
A cette époque le 4ème RT est un Régiment à deux états-majors tactiques (EMT) plus une compagnie d’appui (CA) et une compagnie de commandement et service (CCS) soit au total 10 compagnies.

En 1962, ce régiment est basé à Djelfa puis à BERROUAGHIA. Il est commandé par le colonel GOUBARD, dont le PC est à BERROUAGHIA au sud de Médéa. Ces compagnies sont éparpillées sur le terrain loin les unes des autres et du PC. Leurs zones d’action sont principalement les Monts des Ouleds Nails et le Massif de l’Ouarsenis. C’est un régiment de réserve générale prêt à être embarqué pour des missions urgentes. Il est composé à majorité de jeunes musulmans assez frustres et analphabètes, au vocabulaire français limité, mais des soldats dévoués et compétents sur le terrain bien que sans aucune formation, entraînement ou dispositions au maintien de l’ordre en zone urbaine, comme c’est d’ailleurs mon cas. Six mois de formation c’est court, trop court pour faire un officier apte à tout.

Après le 26 mars, l’EMT1-4RT sera replié à COURBET MARINE avec pour mission d’assurer la garde de ROCHER NOIR et, en particulier, d’Abderrahmane FARRES, chargé de l’exécutif provisoire du gouvernement de l’Algérie indépendante et qu’on avait sorti de prison à cette fin, quelques jours auparavant. L’exécutif provisoire avait été mis en place dès le cessez-le-feu du 19 mars 1962. Il comprenait quelques Français acquis à l’indépendance de l’Algérie et plusieurs membres du FLN.

Mars 1962
Le 19 mars à l’annonce du cessez-le-feu entre la France et les rebelles algériens, l’EMT1 est sur le terrain en mission de « pacification ». L’ALN armée du FLN est vaincue. Les accords d’Evian viennent de mettre fin au conflit. Les Français de métropole, indifférents à notre sort, ne voient qu’une chose : les jeunes soldats appelés vont pouvoir rentrés chez eux. Les Pieds-noirs, Français tout autant qu’eux, vont être abandonnés par la politique du Général De Gaulle qui ne souhaitais d’ailleurs pas leur retour en métropole.

Dès 1961, le gouvernement avait changé de politique, ce n’est plus le « je vous ai compris » de 1958 mais l’autodétermination du peuple algérien autrement dit les musulmans. L’armée française est épurée des officiers « Algérie française », nommés en métropole, en RFA ou poussés à la retraite. Leurs remplaçants obéissent aux ordres sans état d’âme, perquisitionnent chez les Pieds-noirs qu’on arrête et emprisonne. La Police et l’Administration subissent aussi une épuration qui ne dit pas son nom. Dans le même temps l’OAS qui s’est développée subit une répression féroce. Les Français attachés à l’Algérie française sont torturés et remplacent dans les prisons les terroristes du FLN libérés. L’armistice de 1962 s’appliquera aux terroristes du FLN mais pas aux Français d’Algérie. De Gaulle souhaitait briser les Pieds-noirs pour laisser le champ libre au FLN : c’est la raison d’être du 26 mars. La collusion entre le26 mars et le pouvoir politique est alors totale. Le Gouvernement et le général De Gaulle sont déterminés à désengager les troupes en Algérie au plus tôt qu’el qu’en soit le prix à payer : les libertés ordinaires des Français d’Algérie sont supprimées, la censure de la presse devient monnaie courante ; nos droits civiques sont bafoués : nous ne sommes pas autorisés à voter pour les accords d’Evian, ni même écouter la Marseillaise ou de chanter « les Africains ». Mettre les mains dans ses poches est formellement interdit. Les perquisitions chez les Pieds-noirs sont fréquentes et se passent souvent avec violence envers eux.

Le premier signe de compréhension que le pouvoir avait changé de camp était un ordre de mission d’accompagnement de gendarmes mobiles lors de perquisitions dans les habitations civiles. Le premier exemple en a été la perquisition de la maison en ville des propriétaires de l’exploitation où notre compagnie était logée. Par la suite, la compagnie assurait le blocus des villages pendant que les gendarmes perquisitionnaient les habitations. Les ordres que je recevais n’appelaient pas de commentaires de ma part et je n’avais droit à aucune explication. Je tenais mes informations par les pieds-noirs eux-mêmes quand je pouvais les approcher ou par les gendarmes mobiles eux-mêmes pendant qu’ils perquisitionnaient. C’est ainsi que j’ai participé, entre autres, au bouclage d’un village près de BEN CHICAO où les gendarmes mobiles fouillaient les maisons à la recherche des armes qui venaient d’être dérobées par l’OAS au magasin d’armement du Centre d’instruction de BOGHAR. Je voulais bien lutter contre les terroristes du FLN mais pas mes compatriotes qui s’armaient pour leur survie. J’ai rendu mon barrage totalement inefficace et changé à ce moment-là ma façon d’obéir.

Ben-Chicao Vue generale

Carte Ben-Chicao

Encadré en vert Ben Chicao entre Médéa et Berrouaghia

Au régiment, aucune information n’était diffusée à mon échelon : rien sur les discussions à Evian et rien sur la conduite militaire à tenir. Mon Capitaine devait bien savoir mais il se gardait bien d’informer le jeune aspirant Pied-noir. Il nous arrivait de prendre nos repas ensemble au PC de la Compagnie. Le Capitaine mangeait le nez dans son assiette sans parler avec ses officiers.

Le 26 mars 1962
Les autres Algérois aux alentours de Bab el Oued, à l’appel pacifique de l’OAS, ont décidé d’aider les habitants du quartier en leur apportant vivres et médicaments. Ils avaient aussi l’espoir de desserrer l’étau militaire. Mais pour contrer cette manifestation pacifique de solidarité envers les assiégés du ghetto de Bâb el Oued, le 4 RT reçoit l’ordre de barrer la route à ces braves gens : femmes avec leurs enfants, hommes, vieillards tout un peuple derrière le drapeau français et parmi eux des musulmans.

Ma 3ème section avec celle du Lieutenant LATOURNERIE, remplace une unité d’infanterie de marine composée de métropolitains et habituée au maintien de l’ordre à Alger. Des CRS étaient en réserve à l’arrière pour intervenir en cas de besoin. Les ordres oraux pour ma section sont de barrer la rue Lelluch, derrière la Grande Poste et d’en interdire le franchissement. Mes hommes sont fatigués et sales. Nous manquons tous de sommeil. Ce bouclage en ville ne nous réjouit pas. D’autant plus que les Algérois, qui vont manifester, découvrent que ces soldats sont presque tous des musulmans et pour certains croient qu’il s’agit du FLN qui s’installe.
L’ambiance n’est pas bonne : nous nous sommes déjà fait tirer dessus dans Bab el Oued et les réflexions des Pieds-noirs à notre égard sont hostiles et désagréables. Dès notre arrivée rue Lelluch on barre la route avec nos véhicules  et on déploie des barbelés trouvés sur place, conformément aux ordres reçus. J’obéis !

Mais les premiers manifestants sont en vue : drapeaux bleu, blanc, rouge en tête, ils chantent « c’est nous les Africains ». Je décide d’aller à leur devant, seul, pour leur dire que nous avons ordre de leur interdire le passage. J’ajoute que je suis Pied-noir comme eux et que si je le pouvais je serai à leur côté. De mon propre chef, et avec sympathie, ne comprenant pas très bien la raison du barrage  et des ordres reçus, j’en laisse passer par petits groupes à cause de l’étroitesse du passage entre les véhicules qui barraient la rue. Le débit n’est pas assez important : les manifestants s’entassent derrière. Ils finissent par prendre la direction de la rue d’Isly et se trouvent face à d’autres barrages. La foule des manifestants que l’on avait canalisée jusque là, se trouve bloquée, par ces barrages à l’endroit, me semble-t-il voulu.

Pour moi, aujourd’hui avec le recul, la préméditation ne fait aucun doute. Qui donc avait intérêt à canaliser cette foule jusque là, à la positionner pour qu’on puisse lui tirer dessus ? Qui a donné l’ordre de faire tirer sur une foule pacifique de compatriotes dont le seul désir était de témoigner sa solidarité au ghetto de Bab el Oued ?

En effet, les tirailleurs sont à leur place avec leurs armes en bandoulière : ils observent en silence. La manifestation était bon enfant et s’écoulait lentement vers la Grande Poste quand tout à coup on entend des coups de feu. L’enquête officielle conclura à des tirs de provocation sur les tirailleurs et dans la foule. Dans nos deux sections, chacun s’abrite comme il le peut dans les encoignures de portes ou halls d’immeubles, mais dans ma section, aucun tirailleur ne tire, même si le Lieutenant LATOURNERIE et moi-même crions « halte au feu ». C’est inutile car les balles qui claquent et ricochent en sifflant ne proviennent pas de nos hommes. Mais les échos ne facilitent pas la localisation et l’origine des coups de feu : on a l’impression que ça tire de tous les côtés.

La fusillade cesse rapidement même si on entend encore quelques coups de feu isolés ; les tirailleurs et moi-même sommes sous le choc. Nous ne sommes pas habitués aux coups de feu en ville et on n’imagine même pas ce qui s’est passé de l’autre coté de la Grande Poste. Avec le Lieutenant LATOURNERIE, on fait chacun le tour de nos tirailleurs pour les voir de près et pour aussi recueillir des informations. Le Médecin-aspirant ATTALI du Régiment vient vers moi et me demande de l’escorter auprès des blessés. Ce que je fais en l’amenant devant la Grand Poste. Des hommes et des femmes sont au sol et ne bougent plus, il y a du sang, des blessés sont secourus par leurs compatriotes. Certains refusent catégoriquement de se laisser soigner par notre médecin militaire. Je ne reste pas et rejoins rapidement mes tirailleurs. On rembarque rapidement dans nos véhicules. Tout s’est passé très vite et je ne dispose pas de plus d’informations que ce que j’ai vu et entendu.

Le commandement nous demande alors de rejoindre un nouveau cantonnement près de la côte : COURBET MARINE à 70 kilomètres environ à l’est d’Alger. Là, entre nous, on parlera des tirs mais les langues sont difficiles à délier. L’atrocité de ces évènements fait qu’on en parle peu et chacun garde au fond de soi les images de cette journée. Qui a tiré le premier, de la foule ou des tireurs embusqués dans les maisons ou sur les toits ? Qui étaient ces tireurs ? Barbouzes ? Agents spéciaux ? OAS ? Quelques tirailleurs d’une section voisine, devant la Poste pris sous le feu, ont riposté par reflexe comme on le leur a appris et comme ils savent le faire. Certains, au jugé, d’autres sur des tireurs qui font feu dans leur direction. Un tireur est abattu rue Lelluch. Ce sont les tirs de son fusil-mitrailleur qui résonnaient bien dans notre rue. On apprendra plus tard que ce tireur était de type « asiatique » et la Police l’a rapidement fait disparaître. Dans la foule des manifestants, certains – mais qui sont-ils ? – sont armés. Parmi les tirailleurs, on relèvera une dizaine de blessés. Chez les civils c’est beaucoup plus grave : on parle d’environ une centaine d morts et de 200 blessés.

Quelques jours après, une commission d’enquête est constituée et les gendarmes sont venus interroger les tirailleurs, sous-officiers et officiers. Je n’ai jamais été entendu. Il est vrai que ma section n’a pas tiré une seule cartouche. Le ministre des Armées Pierre MESSMER est venu voir le régiment. Je n’ai pas été convoqué pour le rencontrer. Pied-noir, Officier de réserve et non d’active, favorable à l’Algérie française, j’ai souvent été tenu à l’écart. Jeune aspirant, frais émoulu de l’Ecole de CHERCHELL j’ai souvent souhaité parfaire ma trop courte instruction auprès de mes supérieurs mais cela n’a jamais été le cas. Certains camarades ont eu plus de chance auprès de leur commandant de compagnie.

Après le 26 mars, les journées sont consacrées à de l’instruction militaire et les nuits à des patrouilles et embuscades – avec armes enchaînées. En effet, nous avions reçu l’ordre d’enchaîner les armes des soldats pendant la nuit (chaînes et cadenas) pour éviter les désertions avec les armes. D’instinct, je n’enchaîne jamais les armes pendant les embuscades de nuit (contrairement aux instructions) et fais totalement confiance à mes tirailleurs dont, d’ailleurs, aucun n’a jamais trahi ma confiance. C’était une période étrange : les officiers prenaient leurs repas au mess, tous ensembles, mais personne ne parle des évènements que l’on vient de vivre car on ne les comprend pas et c’est douloureux de tout remuer. Quelques rares informations circulent entre nous, concernant notamment les mouvements de foule. C’est, à ce moment là, que j’ai pris l’habitude, toutes les nuits où c’était possible et pendant le couvre-feu, en évitant de me faire repérer, d’aller seul, chercher des informations civiles chez une jeune correspondante de l’OAS de COURBET MARINE. J’y allais aussi quand c’était possible, dans la journée pour rencontrer d’autres Pieds-noirs au café du village. C’est lors d’une de ces occasions que j’avais pu voir les tracts de l’OAS et son appel à la manifestation « pacifique et sans armes » pour aider nos compatriotes assiégés dans Bab el Oued.

Le Régiment est dissous fin mai et rapatrié à BOGHAR pour les formalités : restitution des paquetages, matériels et armements. J’ai convoyé, seul, pour les restituer à l’Etablissement du Matériel, avec les chauffeurs, deux GMC bourrés d’armements à travers les Gorges de la CHIFFA. Les autorités proposent aux tirailleurs et à leurs cadres d’entrer dans les « forces locales » au service du FLN mais sans succès à ma connaissance. Certains tirailleurs choisissent de partir à la retraite avec un pécule, d’autres de rester dans l’armée en Algérie ou en métropole. Je suis moi-même affecté au Centre d’Instruction du 126 RI à Brive la Gaillarde et détaché un temps au camp militaire de la Courtine pour assurer une formation à des Harkis et à leur famille.

2 Octobre 2007
Jean-Pierre RICHARTE

 

05


2 - Entretiens avec Simone Gautier - 28 octobre 2008

** "Pourquoi les ambulances étaient-elles déjà là, et aussi les pompiers, sur le Plateau des Glières, bouclé comme une nasse ?

J.P. Richarté :

Dans un régiment il y a toujours un service de santé.
Le Médecin-aspirant ATTALI, pied-noir aussi, devait être au PC de l'EMT comme c'est la règle. Il est dépêché par le Commandant de l'EMT là où on besoin de lui. Son rôle est de prendre en charge les blessés, il dispose d'infirmiers pour l'aider. Il a aussi à sa disposition un véhicule ambulance et des brancards.

Dès la fin de la fusillade, c'est lui-même qui est venu seul vers moi (nous étions de même grade et amis) pour me demander de l'escorter auprès des blessés. Il ne savait vraisemblablement pas et moi non plus qui était blessé, combien il y en avait et qui étaient-ils.

Je l'ai escorté seul, jusque devant la Grande Poste, où j'ai pu voir une partie du massacre. J'ai jugé qu'il ne courait pas de danger et je l'ai laissé sur place pour s'occuper des blessés, pour rejoindre au plus vite mes soldats que je ne pouvais laisser seuls trop longtemps, même si mon adjoint, un sergent-chef était avec eux.

Dans mon barrage, au début de la rue Lelluch, il n'y avait pas d'ambulance, mais seulement les camions qui avaient servi à nous transporter et entre lesquels on avait déployé des barbelés. On pouvait cependant traverser ce barrage en petits groupes.

Chaque soldat disposait de cartouches et de grenades, la plupart de modèles défensifs, appelées quadrillées. Nous avions tous notre dotation de combat, c'est-à-dire les armes et munitions pour affronter les rebelles.

Nous sommes arrivés directement à Alger en interrompant une opération contre le FLN dans l'Ouarsenis.

Il est très facile de savoir si les soldats ont tiré ou pas. Il suffit de contrôler si leur dotation est complète. Mes tirailleurs n'ont pas tiré une seule cartouche. Je l'affirme à nouveau et cela doit pouvoir se contrôler en retrouvant les documents d'enquête des gendarmes.

Dans ma mémoire les soldats du Lieutenant La Tournerie ont tiré un millier de cartouches environ, il pourra vous le confirmer lui-même. Et confirmer mes dires par la même occasion.

Quelques jours plus tard le 4ème RT a été affecté à la protection de Rocher Noir et d’Abderrahmane Fares. Pour l’occasion, nous avions reçu l’ordre d’enchainer les armes et de monter la garde avec des bâtons. Certains officiers se sont exécutés, pas moi.

On aurait donc pu désarmer tous les tirailleurs et leur donner un morceau de bois à la place. On aurait pu aussi tout simplement les priver de cartouches … ce qu’on n’a pas fait parce que ce n’était pas le but recherché.

 

Tous mes remerciements à Jean-Pierre Richarté d'avoir bien voulu me répondre.

Je note :" Le médecin comme c'est la règle disposait d'une ambulance ....
Or dès les premières photos on voit les morts emportés par
les camions militaires - ces camions qui ont amené les soldats au Plateau des Glières -  et par des ambulances civiles de la Croix rouge ...  Elles étaient donc déjà là !  Pourquoi et sur ordre de qui ?

D'autre part et contrairement aux autres témoignages des militaires, Jean-Pierre Richarté dit bien que chaque soldat disposait de cartouches et de grenades - dotation de combat ....

Simone Gautier


** Comment fonctionne la circulation des ordres ?  29 octobre 2008

J.P. Richarté :

"Le Général reçoit ses ordres du Chef d’Etat-Major, qui lui obéit au Ministre des Armées ou au Président de la République qui est, je le rappelle, Chef des Armées. C’est De Gaulle en mars 1962. Et il en est encore ainsi aujourd’hui.

Les Capitaines Ducrettet, Techer, Gillet, commandant leur compagnie, ne peuvent être partout à la fois, surtout si leurs quatre sections de combat sont éparpillées sur le terrain. En principe, ils choisissent eux-mêmes l’emplacement de leur PC, soit en position centrale, soit un endroit d’où on peut dominer le terrain, soit en fonction de la mission ou même des liaisons radio. Chacun fait son choix, je le rappelle en fonction de sa mission, de ses moyens et du dispositif qu’il a choisi d’adopter.

 

Mon chef, le Capitaine DUCRETTET commandait la 2ème compagnie.

Le Lieutenant Latournerie commandait la 1ère section avec un regard sur la 2ème section. Il était aussi adjoint au Commandant de Compagnie et le remplaçait en cas de besoin.

Je commandais la 3ème section avec un regard sur la 4ème, commandée par un sergent-chef dont je crois me souvenir qu’il était analphabète.

Ce 26 mars le Lieutenant Latournerie était, contrairement à toutes nos opérations précédentes, sur le même barrage, rue Lelluch, que moi. Je ne me souviens pas si sa 1ère section était aussi rue Lelluch. Lui pourra vous le dire.

Un lieutenant ou sous-lieutenant ou aspirant est à même de commander une ou deux sections voir plus. Dans notre compagnie nous étions seulement trois officiers : le capitaine, le lieutenant et moi. Il fallait bien répartir les commandements et le capitaine l’articulait à sa façon. Le Capitaine commandant la compagnie et les deux autres officiers avaient en charge les quatre sections.

J’imagine que le Capitaine était au PC avec deux sections de réserve et deux autres sections rue Lelluch. J’ai toujours pensé que le Lieutenant Latournerie était sur le même barrage que moi pour me surveiller. Mon barrage était placé au début de la rue Lelluch face à la manifestation, c’était le dernier barrage, sur le côté de la Poste avant la rue d’Isly.

Le lieutenant Ouchène était aux ordres du capitaine Techer, 6ème compagnie mais il est fort possible qu’il ait été placé temporairement sous les ordres du capitaine Gilet.

Je souhaite rencontrer le capitaine Techer pour en parler avec lui mais je ne sais encore comment m’y prendre.

Le lieutenant Ouchène est décédé il y a une dizaine d’années. Je l’ai appris en lisant Paris-Match. Il aurait quitté l’armée peu de temps après (en 1964 ?). Il aurait souffert de problèmes psychologiques qu’il n’a jamais pu surmonter.

J’ai essayé é d’être concis. Le temps me manque toujours pour entrer davantage dans les détails."

Cordialement

Jean-Pierre Richarté
Côtes des Oliviers
29 octobre 2008

Merci Colonel Richarté.
Que l’âme du lieutenant Ouchène repose en paix. Simone Gautier

Le donneur d’ordre n’est qu’un assassin en série. Qu'il croupisse en enfer pour tous les siècles des siècles, pour tous les siècles à venir ! Boursouflure de l'ego, vanité boueuse, outrecuidance inébranlable .... Qu'il soit maudit !

 

S. GAUTIER

 

 


3 - Interview réalisée par Simone Gautier après la réalisation du documentaire à Auradou (Lot et Garonne)
le 10 novembre 2012

Extraits :

Simone Gautier : « Le fait d’être interviewé par Christophe Weber et de revivre cela, est-ce que ça été difficile pour vous ? »

Jean-Pierre Richarté : « Au début oui, mais après non. »

Simone Gautier : « Vous aviez mis une chape de plomb ? »

Jean-Pierre Richarté : « J’avais mis la chape de plomb et puis on a libéré… si vous voulez avant l’arrivée de Weber, connaissant par habitude, (je ne connaissais pas Weber), mais par habitude je connaissais les journalistes, je sais comment ils tournent les choses, comment ils les arrangent, donc j’ai écrit ce que j’avais l’intention de dire à Weber, pour que soit clair et net, pour qu’il n’y ait pas d’erreur. Vous l’avez être vu mon témoignage ? »

Simone Gautier : « Oui bien sûr, je l’ai mis sur mon site. »

Simone GAUTIER : « J’ai essayé aussi de téléphoner à Monsieur Latournerie, il m’a très bien reçue au téléphone. »

Jean-Pierre Richarté : « Il est, je crois, sur Narbonne. »

Simone Gautier : « Oui c’est ça. Et puis après j’ai essayé de téléphoner à celui qui était sergent.»

Jean-Pierre Richarté : « Oui, qui était de la 5ème compagnie avec le lieutenant Ouchène, son nom me reviendra tout à l’heure. »

Simone Gautier : « Il a refusé de me parler, il a refusé. »

Jean-Pierre Richarté : « Un que vous devriez voir, moi je n’en ai jamais eu le courage d’aller le voir, c’est le capitaine Techer, supérieur hiérarchique d’Ouchène, il n’est pas très loin, il est dans le Gers. Weber a son adresse. »

Simone Gautier : « Alors oui, je crois que c’est Monsieur Latournerie qui m’a dit, en ce qui concerne le capitaine Techer, qu’il est en très mauvaise santé, il ne va pas bien du tout et les amis, ses amis ont fait comme un cordon sanitaire autour de lui, pour ne pas qu’il soit tourmenté ou troublé. »

Jean-Pierre Richarté : « Vous pouvez également prendre contact par Latournerie, avec le capitaine Ducretet. C’était notre commandant de compagnie et lui devait avoir beaucoup d’information. Moi, je me suis toujours posé la question de savoir s’il était présent ou pas, je ne l’ai pas vu, moi je ne l’ai pas vu sur les lieux. »

Simone Gautier : « Vous ne l’avez pas vu sur les lieux ?»

Jean-Pierre Richarté : « Moi je ne l’ai pas vu sur les lieux, certains ont dit qu’il y était, en général, il ne nous lâchait pas d’une semelle. »  Et là, il n’était pas avec nous, il n’était pas avec Latournerie, ni avec moi, où il était, j’en sais rien. Il nous fallait des ordres clairs ! Parce que nous, on n’a pas reçu d’ordres. Moi, le seul ordre que j’ai reçu, c’était de boucher la rue. »

Simone Gautier : « Vous étiez dans quelle rue ? »

Jean-Pierre Richarté : « J’étais dans la rue Lelluch, juste sur le côté de la poste. Quand vous êtes face à la Poste, vous descendez le côté à droite et j’étais juste à l’angle. »

Simone Gautier : « Et où se trouvait monsieur Latournerie ? »

Jean-Pierre Richarté : « Avec moi, il y avait deux sections, on était côte à côte. Une section, c’est quarante individus, quarante soldats. Moi j’avais quarante soldats sous mes ordres, Latournerie avait quarante soldats sous ses ordres. Moi j’étais sous-lieutenant, lui était lieutenant, il avait deux barrettes. Souvent, il avait autorité sur moi, parce qu’il avait un galon de plus que moi. »

Simone Gautier : « Ah d’accord, alors le commandant de compagnie, c’était qui ? »

Jean-Pierre Richarté : « C’était Ducretet.  En théorie c’était lui, en titre c’était lui, mais quand il n’était pas là, c’est Latournerie qui le remplaçait. Alors peut-être que Latournerie a des informations qu’il peut vous donner. »

Simone Gautier : « Oui d’accord, je reprendrai contact avec monsieur Latournerie. J’ai essayé de contacter aussi ce sergent, qui, lui, a tiré, puisqu’il le dit dans le film, simplement pour qu’il en parle, c’est tout ce que je lui demande, mais il ne veut pas non plus. »

Jean-Pierre Richarté : « Je pense que c’est difficile parce qu’on est culpabilisé, parce qu’on a cette impression et moi aussi au départ. J’ai pensé que la fusillade a éclaté, un peu par ma faute, dans la mesure où j’ai fait un barrage hermétique. Moi j’ai obéi aux ordres. Ce barrage n’était pas vraiment très hermétique, mais la foule qui arrivait sur 25 où 30 mètres de face, avait des passages entre les véhicules pour s’écouler un par un, les uns derrière les autres, ce n’était pas suffisant pour… Et j’ai été les voir. … Quand ils sont arrivés, ils étaient à 150 mètres ou 200 mètres, je suis allé au-devant de ceux qui étaient aux premiers rangs en leur disant « vous ne pouvez pas passer, j’ai reçu l’ordre de vous interdire le passage, donc vous ne passerez pas, je suis pied-noir comme vous et je serais dans la manifestation avec vous, si je le pouvais. » Cela s’est arrêté là. Ils ont voulu quand même passer, passer outre. Quelque uns sont passés entre les véhicules, mais ils ne pouvaient pas aller plus loin à cause des barbelés. Par contre, derrière mon barrage, il y avait une compagnie de CRS, qui elle n’aurait pas laissé passer. Donc même si la foule s’était engouffrée dans la rue Lelluch, 200 où 300 mètres ou 500 mètres plus loin, elle aurait été barrée par les CRS. »

Simone Gautier : « Parce qu’en fait, derrière la Grande Poste, (se rejoignent parallèlement) le boulevard Bugeaud qui est ici sur un côté de la Grande Poste, de l’autre côté il y a la rue Leluch et en bas il y a le boulevard Carnot. Vous, vous étiez à quel niveau ? »

Jean-Pierre Richarté : « Juste au début de la rue Lelluch, la manifestation est arrivée chez nous d’abord. »

Simone Gautier : « Voilà, c’est ça, donc elle a tourné en remontant ? » 

Jean-Pierre Richarté : « Elle a tourné à gauche, a longé la rue de la Poste et quand le début de la manifestation s’est trouvée à hauteur de la porte d’entrée de la Poste, rue d’Isly, la fusillade a eu lieu. Voilà. »

Simone Gautier : « Donc vous, vous n’avez pas vu ce qui s’est passé, vous avez entendu ?

Jean-Pierre Richarté : « Ah oui, nous, on a entendu, on n’a pas tiré, mes soldats n’ont pas tiré un seul coup de feu, ceux de Latournerie, je ne sais pas bien…Je ne sais pas bien, ils ont peut-être tiré quelques cartouches, je n’affirme rien. Je vous affirme moi, que mes soldats n’ont pas tiré une seule cartouche. »

Simone Gautier : « Ils étaient comment vos soldats, ils avaient peur, ils étaient inquiets, ils étaient excités ? »

Jean-Pierre Richarté : « Non, non, non, ils étaient dans les encoignures de portes, comme nous tous, on se protégeait.  Nous, on était pas fait pour faire du maintien de l’ordre. »

Simone Gautier : « Oui, c’est ce vous expliquez très bien dans le documentaire. » 

Jean-Pierre Richarté : « Donc quand on nous a demandé, on a essayé d’improviser, c’est le rôle des officiers d’improviser. Notre rôle c’était de remplir la mission et de faire en sorte que nos soldats ne souffrent pas de la manœuvre. D’ailleurs quand on a barré la rue à cette hauteur-là, mes soldats étaient tous le long de l’arrière de la Poste, ils étaient étalés 50 ou 60 mètres. Ils n’étaient pas en façade, en façade il n’y avait que moi et les camions qui étaient côte à côte et les barbelés devant les camions

Simone Gautier : « Il y avait des barbelés devant les camions ? »

Jean-Pierre Richarté : « Oui, il y avait des barbelés devant les camions, qu’on a trouvé sur place, qui étaient là et qui avaient été laissés par pffffuf…., la mémoire me fait défaut, je ne sais pas si ce n’était pas des marsouins qui étaient là avant nous et qui eux, étaient habitués à faire du maintien de l’ordre, nous, ce n’était pas notre tasse de thé. Quand ça a tiré dans la ville, nous on n’était pas habitués aux échos, on entendait les coups de feu, on entendait les ricochés mais c’était très difficile de localiser les départs de coup et les attaques. On a eu zéro blessé chez nous, il n’y a pas eu, non plus de dégâts. Après de l’autre côté… les gens devant la poste …, moi j’ai vu les gens couchés parce que le médecin qui s’appelait Attali est venu me voir et m’a dit « j’ai besoin d’aller devant la Poste, tu me sers d’escorte.» Donc je l’ai escorté devant la poste, j’ai vu tous ces blessés qui baignaient dans leur sang, les gens étaient entassés les uns sur les autres, d’ailleurs sous leurs corps, au fur et à mesure qu’ils se levaient, il y avait d’autres gens couverts de sang mais qui n’étaient pas blessés, ils s’étaient couchés par terre pour se protéger et moi je suis pas resté longtemps parce que je ne voulais pas laisser mes hommes tous seuls, donc je suis resté cinq, six minutes peut-être, vous savez le temps passe vite, dans ces cas-là, vous voyez beaucoup de choses et je suis retourné auprès de mes hommes et après ça été fini, et après, on a plus parlé de cette histoire. »

Jean-Pierre Richarté : « Il y a eu une commission d’enquête, mais moi, on ne m’a jamais interrogé. Je pense que la commission d’enquête a dû s’arrêter au capitaine Ducretet, à la rigueur à Latournerie.

Simone Gautier : « Il est désigné comme étant plus loin quand même, dans une autre rue. »

Jean-Pierre Richarté : « C’est ce qu’on a dit mais moi je trouve bizarre qu’on ne l’ait pas vu. »

Simone Gautier : « Il y avait une raison pour laquelle il ne serait pas venu ? »

Jean-Pierre Richarté : « Ah je ne sais pas, je ne sais pas dire, c’était un ours. »

Simone Gautier : « C’est vrai qu’il est désagréable. »

Jean-Pierre Richarté : « Ducretet lui pourrait vous dire les ordres qu’il a reçus. »

Simone Gautier : « Je vais essayer. »

Jean-Pierre Richarté : Alors je vais quand même vous dire quelque chose que j’ai dite à Weber, à Christophe et qu’il n’a pas voulu retranscrire, dans l’armée quand un soldat fait une connerie, son supérieur immédiat est sanctionné tout de suite.

Simone Gautier : « Ah bon ? »

Jean-Pierre Richarté : « C’est la règle.  Cela a toujours été comme ça. »

Simone Gautier : « C’est le supérieur qui est sanctionné ? »

Jean-Pierre Richarté : « Toujours. »

Jean-Pierre Richarté : « Et la dernière histoire en date, c’est un sergent qui a martyrisé un noir en Côte d’Ivoire et c’est le général qui a démissionné

Simone Gautier : « Oh la …la. »

Jean-Pierre Richarté : « Qui a été sanctionné. Donc je dis que si la fusillade avait été involontaire, si ça avait été une bêtise du soldat, au moins le colonel, c’est-à-dire le colonel Goubard, aurait soit démissionné de lui-même, soit être démissionné par les pouvoirs publics or il n’a pas été démissionné, il a été nommé général et il s’est retrouvé à l’Ecole de Guerre. Il en partait lorsque j’y arrivais. Moi je suis arrivé je ne sais plus à quelle période en juillet je crois, non au mois d’août et lui est parti fin juin à la retraite. Donc on ne s’est pas parlé. »

Simone Gautier : « Et c’est le général Goubard qui a donné tous ses documents à Francine Dessaigne, qui s’en est servi pour écrire son livre « Un crime sans assassin. »

Jean-Pierre Richarté : « J’ai rencontré Francine Dessaigne à Paris avec Monsieur Tordjmann et elle a écrit une bêtise, elle a dit que j’avais été blessé, en fait je n’ai pas été blessé.

Simone Gautier : « Donc ce que je voulais vous faire préciser. Dans son documentaire, Christophe Weber parle d’une intime conviction, d’une instrumentalisation à la fois des tirailleurs et du public, qu’en pensez-vous ? »

Jean-Pierre Richarté : « C’est vrai, c’est vrai, moi je pense qu’il a raison et je le lui ai dit d’ailleurs, je lui ai dit que sur le moment je n’ai pas réalisé de la même façon, mais quand j’analyse tous les éléments, je me dis que c’était voulu. On ne draine pas à un endroit une population… »
…..

01

02

Interview de Jean-Pierre Richarté par Simone Gautier le 10/11/2012 à Auradou "Les Oliviers" dans le Lot et Garonne

 

 Retour Sommaire

Informations supplémentaires