9.2 - Jean-Marie HERNANDEZ : mon commando a reçu l’odre de ne pas participer

VI - Les témoignages - Grande Poste ceux de l'O.A.S.

Après 18 mois d’armée, la tournure que prenaient les évènements, la trahison évidente du gouvernement français dans la poigne de ce vieux général rancunier, me poussa à trouver autrement le moyen de remplir mon devoir. Non pas celui de militaire français aveuglément « aux ordres », mais celui de résistant qui refuse la trahison et l’abandon. J’étais bien jeune et je n’avais pas encore lu Albert Camus qui avait dit : « Entre ma mère et la justice, je choisis ma mère ».

Entre les ordres que l’armée française, en voie de désertion, pouvait me donner et la terre où j’étais né comme mes parents et mes grands parents avant moi, ma famille et mes amis, je n’ai pas hésité très longtemps malgré les conséquences fâcheuses que cela pouvait avoir. J’ai déserté. J’ai fait partie d’un commando O.A.S, seule armée qui défendait mes valeurs. Je ne me suis jamais considéré comme un hors la loi, mais comme un résistant. Pour moi, c’est l’État Français qui venait de déserter et qui, par la trahison dont était victime ce peuple dont je faisais partie et l’abandon d’un territoire qui ne nous appartenait pas moins qu’aux Arabes venus le coloniser par le feu et le sang en soumettant les Berbères (qui en sont les véritables autochtones, venus d’Europe en des temps immémoriaux), me forçait à prendre position entre l’obéissance aveugle et le devoir. J’ai choisi, et ne tire aucun orgueil de ce choix. Le jour où eu lieu la fusillade de la Grand Poste d’Alger, mon commando, comme tous les autres, a reçu l’ordre de ne pas participer à la manifestation prévue. Il est bien facile de comprendre que les responsables de l’O.A.S ne désiraient pas voir les membres des commandos se faire prendre dans une rafle. Il n’y avait donc, contrairement à ce que certains ont soutenu, aucun membre de l’O.A.S mêlé de près ou de loin à cette manifestation. En tout cas, il est évident qu’aucun combattant de cette organisation n’aurait eu la stupide idée de provoquer par un tir, les soldats qui tenaient les barrages. D’autres s’en sont chargés. Le but de cette manifestation est bien connu et d’autres que moi en ont parlé longuement : il s’agissait de forcer l’armée (aux ordres, bien entendu) à lever le siège de Bab el Oued. Depuis cet évènement tragique, il est facile, en rassemblant les divers témoignages, de se convaincre que cette fusillade ne fut pas un accident. En effet, jamais certains personnels, qui n’avaient jamais rempli de mission de maintien de l’ordre, n’auraient dû se trouver sur ces barrages et encore moins des arabes ; on prétend en effet que certains d’entre eux disaient : « Aujourd’hui, on va tuer des Français ». Il suffisait qu’il en eût que cinq ou six, intégrés dans les rangs des militaires pour déclencher le carnage.

Chose étrange, qui vient peut-être à l’appui de cela : alors que je me trouvais encore dans l’armée, (dans une compagnie du Génie à Retour de la Chasse sur la Route de Fort de l’Eau), peu avant que j’en prenne congé, nous vîmes arriver des militaires arabes en treillis qui prirent place dans la chambrée où je me trouvais. Ces militaires possédaient certaines particularités. Tout d’abord, ils ne portaient sur leurs treillis neufs aucun signe d’appartenance à l’armée, ils ne se rendaient jamais aux rassemblements qui avaient lieu chaque matin, ils ne saluaient aucun officier quand ils se promenaient dans la cours. La promenade et les messes basses au fond du bâtiment semblaient être leurs seules activités. Bien entendu, ils ne remplissaient aucune tâche. Que faisaient-ils là ? Mystère. S’agissait-il de prévoir la mise en place de la future ALN ? Même les sous officiers avec lesquels nous entretenions des relations cordiales n’en savaient rien. Aujourd’hui, on peut être certain que tout ceci a été voulu par le pouvoir, afin de créer une rupture définitive entre le peuple français d’Algérie et l’Armée Française (dont « on » se méfiait peut-être un peu du côté de l’Elysée). Il était facile à Paris de savoir qu’une grande manifestation aurait lieu ce jour là, il y avait assez de gens des R.G, mêlés à la population Algéroise depuis des années et il n’était pas moins facile d’organiser ce piège mortel. De Gaulle a bien montré de quoi il était capable par la suite en laissant massacrer 1500 Oranais sans oublier les Harkis qui comprirent ce jour là qu’il ne fait pas bon être fidèle à la France et ceux qui ont réussi à sauver leur vie, ont pu constater par la suite, que les partisans de l’indépendance et ceux du F.L.N étaient beaucoup mieux reçus sur le sol français qu’ils ne l’avaient été eux-mêmes. Voilà, Madame, tout ce que je peux dire sur ce sujet particulier, même s’il peut sembler paradoxal que mon témoignage ne concerne que mon absence sur les lieux de la fusillade, et celle de tous ceux qui avaient, sans aucun doute, reçu le même ordre que moi. Cet événement restera une tâche sombre et sanglante (il en eut bien d’autres) dans l’Histoire de France, encore faudra t-il que nous puissions en écrire quelques pages. La chose me paraît possible mais nous ne devons pas attendre que d’autres le fassent pour nous. Dans ce but, il me semble absolument nécessaire d’écrire un ouvrage qui recueillerait le plus grand nombre de témoignages objectifs possibles, tant sur le massacre de la Grand Poste que sur celui, encore plus important, en nombre de victimes, qui eut lieu à Oran et ailleurs, sans oublier les harkis et, sans oublier non plus les Français d’Algérie qui furent internés arbitrairement, jetés dans des camps de concentration, comme mon père et beaucoup de ses amis, dont certains connurent cette torture dont les médias ont tant parlé mais qui, selon leurs dires, ne concernait que les seuls partisans du FLN. C’est sans doute, pour nous, le seul moyen de faire paraître devant le tribunal de l’Histoire, de Gaulle et ses sbires.

Avec le temps, beaucoup ne se sentent plus concernés, je n’en fais pas partie.

Je vous prie d’agréer Madame l’expression de toute ma sympathie,

Jean-Marie Hernandez
Le Presbytère
Bellegarde-du-Razès (Aude)


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