7.8 - Rue d'ISLY - Place BUGEAUD

VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

6 - RISGALLA Jean-Pierre - sur le visage des soldats une terreur manifeste

Libéré depuis peu de mes obligations militaires, j’avais assisté depuis la terrasse de l’appartement de mes parents, rue Bab-Azoun, aux combats de Bâb el Oued, d’où nous parvenaient distinctement les rafales de mitrailleuses, les explosions des grenades et autres coups de feu. J’avais vu les avions T6 de l’armée de l’air plonger sur le quartier et j’avais imaginé avec angoisse les drames qui devaient s’y dérouler …

Le matin du 26 mars, j’étais monté avec l’un de mes camarades vers la rue Michelet, où nous savions retrouver d’autres camarades pour avoir des nouvelles du quartier qui était bouclé et complètement isolé du monde extérieur. A la hauteur des Galeries de France, rue d’Isly, des tracts étaient punaisés sur le tronc des arbres. Signés « OAS »ils invitaient la population à se rendre, - sans armes -, à 15 heures sur le plateau des Glières pour aller en cortège jusqu’à Bab el Oued, porter le soutien de toute la ville européenne aux habitants assiégés.

Le tract précisait, par ailleurs, que seuls les drapeaux tricolores devaient être amenés. Rentré à la maison j’en fis part à mes parents et il fut décidé que maman m’accompagnerait à la manifestation, papa, tétraplégique, ne pouvant faire le déplacement.

A 14 heures, nous quittâmes donc notre immeuble du 8 rue Bab Azoun pour rejoindre la Grande Poste d’Alger.

Première surprise : l’extrémité de la rue était complètement obstruée par un barrage de chars « Shaffee » de la gendarmerie mobile, chenilles contre chenilles, canons tournés vers le square Bresson, des chars étaient même embossés sous les arcades.

Devant eux des réseaux de fil de fer barbelés. Mais on nous laissa passer sans aucun contrôle. Par contre des personnes venant du square et voulant entrer dans la rue Bâb Azoun étaient refoulées sans explications. Nous poursuivîmes donc notre marche sans explication, laissant sur notre gauche une unité de CRS au repos sous les arbres. Arrivés à la Grande Poste une foule déjà considérable nous empêcha d’aller plus loin que le début de la rue d’Isly et nous attendîmes devant l’immeuble du Crédit foncier que le cortège se forme.

Deuxième surprise : il y avait là, au bas de l’avenue Pasteur, une vingtaine de soldats en tenue de combat et casqués (casques lourds). Je remarquais que tous étaient musulmans et que les P.M. de certains étaient positionnés « à 45 ° ». Pour ceux qui connaissent le pistolet mitrailleur MAT 49, cette position signifie qu’ils sont armés et qu’il suffit de rabattre le chargeur verticalement pour déclencher le tir.

Je n’en dis rien pour ne pas effrayer ma mère et les deux camarades qui m’avaient rejoint et qui avaient remarqué, eux, que les toits des immeubles, qui nous entouraient, étaient occupés par des gendarmes mobiles. La tête du cortège s’ébranla alors, et les tirailleurs ne firent rien pour l’en empêcher. Mais les soldats portaient sur leur visage les marques d’une terreur manifeste.

Nous marchions sur le trottoir de gauche en direction de la place Bugeaud, quelques centaines de mètres plus loin. Au passage, j’avais remarqué un fusil-mitrailleur AA52, bande de cartouches engagée, entre les mains d’un soldat musulman qui nous fixait les yeux hagards …un hélicoptère survolait la rue d’Isly à hauteur des toits, en position fixe au dessus du carrefour Isly/Pasteur.

Alors que nous atteignions la place Bugeaud, (1) nous entendîmes la première rafale de fusil mitrailleur qui provenait de ce carrefour, derrière nous. Quelqu’un cria que c’était le bruit des pales de l’hélicoptère, mais reconnaissant bien le bruit caractéristique de l’AA52, je criais à mon tour à l’attention des gens qui étaient autour de moi : « couchez-vous ! On nous tire dessus ! »

A ce moment-là, d’autres tirs furent déclenchés de l’immeuble de la Xème région militaire qui se trouvait à gauche de la Place, derrière la statue du Maréchal Bugeaud. Cet immeuble était bien entendu occupé par des militaires qui n’avaient aucune raison d’ouvrir le feu, la foule n’ayant aucune attention pour eux. Mais des vitrines de magasins de vêtements s’écroulèrent sous l’impact des balles, et il y eut des blessés à proximité du Milk Bar et de la Brasserie Novelty, de l’autre côté de la place. Par ailleurs, les bruits d’une fusillade nourrie, nous parvenait toujours du carrefour Isly/Pasteur, avec quelques temps de pause …

Enfin un grand silence se fit et des cris commencèrent à nous parvenir.

Je demandais à maman de retourner auprès de papa pour le rassurer (il devait avoir les informations à la radio) et avec mes camarades nous retournâmes vers la Poste. Le spectacle qui nous attendaient était atroce … Des corps partout, d’énormes flaques de sang, de pitoyables débris d’une foule massacrée, chaussures, sacs à main, drapeaux … Un camion bâché des pompiers était arrivé et nous y chargeâmes des corps sans vie …

RISGALLA Jean-Pierre
5 avenue des Cévennes
30400 - Villeneuve les Avignon.

(1) Place Bugeaud - en raison de la statue du général Bugeaud qui se trouvait au milieu de la place d'Isly - Voir sur le plan

 Jusuqà BEO copie1

Trajet de Jean-Pierre Risgalla depuis le 8 rue Bab Azoun jusqu'à l'avenue Pasteur et retour jusqu'à la place Bugeaud

 

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Place Bugeaud (place d'Isly sur le plan) et la X° Région d'où sont partis les tirs
Plan source association ES'MMa

 

 

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