7.6 - Intersection avenue Pasteur – rue d’Isly

 

VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

2 - COOK Philippe : ... systématiquement achevés

Alger, le 28 mars 1962

Chers parents,

Je remercie Dieu d’être encore en vie après être passé au travers des horreurs et des massacres de la rue d’Isly le 26 mars. Je vous transcris ci-dessous le témoignage que j’ai donné concernant le massacre. « Je témoigne avoir vu le 26 mars 1962, entre 14 heures 40 et 15 heures un cortège de plusieurs milliers de personnes traverser sans difficultés ou résistance un barrage de tirailleurs musulmans et placé au carrefour des rues d’Isly et Pasteur.

Je témoigne que le cortège, hommes, femmes, enfants, sans armes ni hargne mais portant drapeau français n’a jamais eu un cri hostile envers le service d’ordre, ni proféré d’injures ou cris séditieux. Je témoigne que, la plus grande partie du cortège étant passé, j’ai vu un des tirailleurs, nerveux, armer son arme. Je témoigne que, pressentant le danger, je lui ai crié « arrêtes, arrêtes ! », mais trop tard. Je témoigne qu’immédiatement après qu’il ait lâché dans la foule sa première rafale, le massacre des manifestants, coincés dans cette rue où tous les magasins et immeubles avaient fermé leurs portes, a commencé dans un feu d’enfer. Je témoigne de l’intensité de la fusillade et de la façon systématique dont le massacre a été fait (dernier bilan provisoire : 79 morts – 150 blessés). Je témoigne avoir vu des blessés achevés à bout portant. Je témoigne avoir vu des blessés, qui profitant d’une accalmie, se traînaient pour chercher refuge et échapper à leurs assassins et être pris sous les feux croisés d’armes automatiques. Je témoigne avoir vu des sauveteurs être abattus froidement alors qu’ils sortaient de leurs abris pour porter secours aux innombrables blessés qui jonchaient la rue. Je témoigne avoir vu tomber à côté de moi, un homme le foie éclaté par une balle, alors que nous cherchions à accomplir le plus élémentaire des devoirs humains. Je témoigne avoir vu des reporters molestés dans l’exercice de leur fonctions, leurs appareils ouverts et les pellicules et films dévidés sur le trottoir.

Enfin après avoir vu ce que j’ai vu, j’ai la conviction que ce massacre a été préparé, voulu et systématique. Qu’il a été fait « impitoyablement et par tous les moyens » afin « de briser, corps et âmes la résistance française du peuple d’Alger »

Voilà, chers parents le témoignage que j’ai donné aux députés d’Alger mais la voix des témoins a déjà été et sera étouffée. J’ai vu d’autres choses horribles aussi…

J’ai vu ces tirailleurs dont on a la preuve maintenant que ce sont de vieilles recrues de l’ALN fraîchement incorporées, danser en hurlant et en mitraillant des blessés à terre, les décapitant à coups de mitraillette. J’ai vu des blessés ou des rescapés se glisser sous des voitures en stationnement et systématiquement poursuivis et achevés au pistolet mitrailleur. Mais j’ai vu aussi un soldat musulman rentrer dans le couloir, où on était réfugié, nous mettre en joue les doigts tremblants…nous avons cru que c’était la fin, mais un jeune musulman parmi nous lui a parlé, l’a calmé et a réussi à lui enlever le chargeur de sa mitraillette. Puis, à cause de la tension nerveuse, le jeune musulman a été pris d’une crise nerveuse et s’est accroché au col du soldat et le secouait en criant « mais nous sommes français et tu nous tire dessus !! ». J’ai vu des crânes éclatés par des coups tirés à bout portant. J’ai vu …et j’ai vu…..

Voilà comment on tue. Voilà on veut briser impitoyablement et par tous les moyens la résistance française en Algérie. Voilà les ordres de de Gaulle !!! Au moment de la fusillade, les gendarmes mobiles (du Forum) ont tiré à la mitrailleuse lourde sur la foule affolée qui courait sur la place de la Poste et la fusillade a éclaté aussi rue Michelet, place de l’Agha, toujours sur des foules bloquées par des barrages. Voilà, tous les moyens employés par de Gaulle. Je ne vous parle pas de la situation de Bâb el Oued : c’est le ghetto de Varsovie. Les blessés ne sont pas soignés, les morts ne peuvent pas être enterrés ni sortis des immeubles qui suffoquent dans la puanteur. Les provisions sont rares dans ce quartier pauvre. La répression a été sauvage, les appartements saccagés, pillés, les femmes maltraitées, une jeune fille a eu le crâne défoncé parce qu’elle résistait aux traitements que lui infligeaient les gendarmes mobiles. Tous les hommes de 15 ans à 70 ans sont déportés. Il y en a à la caserne d’Orléans, à Béni Messous, au camp du Lido, à Rouïba et maintenant on les déporte vers les camps de l’intérieur, à Paul Cazelles et d’autres coins. Notre société a perdu tous ses employés habitant Bâb el Oued. Autour de nous les gens tombent sous les balles du FLN ou des forces gaullistes ou bien ils sont arrêtés. Notre voisin père de deux petits enfants a été tué lundi. De Gaulle croit briser notre résistance mais elle est comme l’acier, plus on tape dessus, plus elle résiste.

De Gaulle nous prouvé que les manifestations pacifiques sont noyées dans le sang par ses mercenaires. Aussi nous engageons le combat et c’est un combat pour notre liberté, pour notre dignité, pour l’honneur de la France, cette France qui se roule dans la vase et dans l’indignité et dans l’inconscience aux pieds des dictateurs sanguinaires. Son réveil lui sera pénible mais il faudra bien qu’elle se reprenne un jour, qu’elle se remette debout. Je le souhaite du fond du cœur et j’y travaille. Je suis heureux d’avoir laissé partir Olivier et Christine en France. La place des enfants n’est pas ici en ce moment.

Affectueusement
Philippe Cook
P.S. Je voudrais que ces témoignages soient envoyés aux parents de France et de Suisse.

Je remercie Madame COOK de m’avoir communiqué la lettre que Philippe COOK, aujourd’hui décédé, a adressée à ses parents le 28 mars 1962. Philippe COOK était cadre à la Société B.P. d’Alger.
Simone GAUTIER

 

01

1 - Première zone de tir
2 - Deuxième zone de tir
3 - Troisième zone de tir
Barrage Boulevard BUGEAUD - Capitaine René Techer
Barrage Rue d'ISLY - Lieutenant Ouchène
Barrage Avenue Pasteur
Deuxième Barrage Rue d'ISLY - Lieutenant  Brossolet
Rue CHANZY - Lieutenant Saint -Gall de Pons / Capitaine Michel Gilet avec trois sections de renfort

02

La flêche indique le flux de la manifestation
Position des témoins au moment du déclanchement du tir (chiffres noirs en gras)
1 - André Jaudet
2 - Philippe Cook
3 - Armand Luxo
4 - Louis Rougè
5 - Jean-Jacques Braham
6 - Jacques Gitton
De 1 à 4 dans les cercles blancs - Premiers tirs
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Tous les petits points représentent les premières victimes civiles.

03

 

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