7.4 - Jonction Les Glières - Rue d'Isly

VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

3 - DESSAIGNE Francine : j’affirme que d’autres ont tiré, les gardes mobiles, ils avaient des ordres 

Témoignage de Madame Francine DESSAIGNE
Samedi 28 mars 1992
Pèlerinage à Lourdes de l’association « Souvenir du 26 mars 1962

Parce que j’étais avec eux et que j’en suis sortie indemne, depuis trente ans, je témoigne pour ceux qui ne le peuvent plus.

Je dis que nous n’étions pas une foule agressive, pas même excitée. Nous exprimions, dans le calme et le silence, notre solidarité avec Bab el oued et notre désespoir. Les photographies le prouvent.

Sur la place de la Poste, devant nous, le barrage venait de s’ouvrir sur la rue d’Isly. Un collègue de mon mari a dit : « maintenant que faisons-nous ? ». Nous n’avons pas eu le temps de lui répondre.

Quand le tir a commencé, nous étions donc peu nombreux sur cette immense place et nous avons fui, quelques mètres, en tournant le dos aux soldats puis nous nous sommes jetés à terre. Les photographies le prouvent.

Les soldats ont tiré sur nous, dans le dos et à terre, pendant douze minutes. C’est long, douze minutes, dans le sang des autres, dans les cris des autres. C’est long pour justifier un affolement des soldats. Je DIS que c’est criminel de mettre face à une foule, même calme et sans armes, des troupes non entraînées à ce genre de contact.
Je le dis, mais, J'AFFIRME, que d’autres ont tiré et, en particulier des gardes mobiles. Ils avaient des ordres.

Quelques jours après, le Député d’Alger, Philippe Marçais, a demandé aux victimes de venir témoigner pour constituer un dossier de « Plainte contre X ».

En 1962, a paru un « Livre Blanc » composé d’extraits de nos témoignages. Il a été SAISI, une réédition a paru l’an dernier.

Je dois ajouter que j’ai demandé à connaître ce qu’il était advenu de cette plainte. On m’a répondu que les dossiers concernant les DOCUMENTS JUDICIAIRES RELATIFS aux évènements d’Algérie avaient été remis AUX ARCHIVES NATIONALES, et qu’ils étaient couverts par une CLAUSE CENTENAIRE.

Ce n’est donc pas nous, les témoins, qui pourront connaître qui, en haut lieu, a donné les ordres.

53

Témoignage de Madame Francine DESSAIGNE
Écrivain historienne
Coauteur du livre « Crime sans assassins » avec Madame Marie- Jeanne REY
Auteur du livre « Top Secret » et de « Le livre blanc – Alger le 26 mars 1962 » le livre interdit

Lourdes 21-22 mars 1998  -  4ème pèlerinage de l’Association

Pour la quatrième fois, nous voici réunis dans ces lieux où chaque pierre, chaque arbre, chaque caillou des chemins sont chargés de ferveur. Créer ces pèlerinages, fut une merveilleuse idée qui porte haut le souvenir de nos compagnons massacrés, il y a trente six ans, au cœur d’Alger. Par notre nombre et notre calme, nous voulions dire notre solidarité avec les habitants de Bab-el-Oued enfermés depuis trois jours dans un blocus inhumain.

C’est aussi notre manière d’exprimer notre besoin de vérité et de justice.

Grâce à des documents, nous savons aujourd’hui que, depuis décembre 1961, par décision gouvernementale, les soldats « amenés dans les villes pour y assurer le maintien de l’ordre », pourraient faire usage de leurs armes « en cas d’insurrection ». que les soldats qui n’auraient pas tiré sur nous étaient consignés dans leurs casernes par le commandement local, tandis qu’il plaçait face à nous, des tirailleurs fourbus, juste arrivés de leur djebel, en proie à la panique, dans cette grande ville où ils étaient plongés pour la première fois.

Le chef de l’État, le chef du Gouvernement, le général qui ont placé là ceux dont ils étaient certains qu’ils tireraient sur « l’insurrection » que nous n’étions pas, sont morts. Espérons que commence le temps des historiens lucides et impartiaux pour lesquels nous n’avons jamais cessé de témoigner depuis trente six ans.

Pour la quatrième fois, nous voici réunis par le souvenir de nos morts, comme nous nous retrouvons, depuis tant d’années dans une église de notre ville ; nos morts du 26 mars 1962 à Alger, mais aussi tous les autres, abandonnés maintenant en terre étrangère ou perdus en chemin depuis notre retour.  

Je pense là à Monseigneur Lacaste qui conduisait notre premier pèlerinage et à mon amie Marie-Jeanne REY qui s’est tant battu contre l’oubli.

Nos rangs s’amenuisent. Cela rend plus impérieux encore notre devoir d’unir nos forces pour transmettre nos souvenirs, douloureux et fiers, comme un flambeau

21

 

Informations supplémentaires