7.3 - Plateau des Glières - Grande Poste

VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

4 - EZEMAR Pierre - la foule grossit, nous avons du mal à avancer 

Guy MAZARD était mon frère ou du moins je le considérais comme tel. Lui aussi était très près de moi. J’étais le cousin germain, fils unique à qui des frères et des sœurs manquaient beaucoup. Il était mon aîné de 4 ans, mais peu importait, nous étions très complices, toujours dans la bonne humeur et vivant séparément nous n’avions pas le temps de nous disputer. Nous nous retrouvions très souvent pour des sorties, des virées et surtout l’été pour des parties de pêche Mémorables

Nous partagions le même amour de notre mer Méditerranée, bénie des dieux, sous ce ciel d’Algérie, de notre pays natal et de notre ville ALGER, la plus belle du monde ! Nous étions libérés de nos obligations militaires. Nous avions tous les deux effectué une trentaine de mois de service en Algérie. Nous assistions impuissants depuis mai 58, alors que la guerre était gagnée, à la dégradation de la situation voulue politiquement et par tous les moyens. Le chef de la France,en avait décidé ainsi, reniant ses engagements et voulant donner l’indépendance à nos départements français d’Algérie, quoiqu’il arrive et même en bombardant le quartier populaire de Bâb el Oued qu’on avait coupé du reste d’Alger.

Une manifestation pacifique avait été décidée pour porter secours aux braves habitants de Bâb-el-Oued, littéralement assiégés et coupés de tout ravitaillement. Rendez-vous avait été donné aux manifestants, ce lundi 26 mars 1962 à 14 heures devant la Grande Poste. Guy et moi avions convenu de nous retrouver avant 14 heures au carrefour de la rue Monge et de la rue Michelet à 200 mètres de la Grande Poste. J’avais également donné rendez-vous à un ami, Jean DANIELE. A deux heures Guy est là, mais pas de Jean. Guy ayant rencontré d’autres amis me laisse attendre Jean et il continue d’avancer vers la Grande Poste. Vers deux heures quinze je vois arriver Jean retardé par des barrages et nous nous dirigeons vers la Grande Poste. Mais durant ce quart d’heure la foule a grossi énormément et nous avons du mal à avancer. Tant pis, nous sommes là, dans la foule, faisant nombre et témoignant de notre solidarité. La foule grossit de plus en plus, nous nous serrons les coudes tout en discutant. Il n’est plus possible de progresser. Tout à coup, à trois heures moins dix, la fusillade éclate, les balles sifflent de tous côtés, les gens s’enfuient, se couchent sur le sol, se mettent à l’abri derrière les arbres, les voitures, les entrées d’immeubles. Je perds Jean de vue. Je suis dans l’entrée d’un immeuble, près du « Coq Hardi ». La fusillade n’en finit pas, cinq minutes, dix, un quart d’heure puis s’arrête et c’est le tour des sirènes de police d’abord, puis des ambulances. J’attends que cela se calme un peu, je jette un coup d’œil dans la rue. Les gens refluent vers le haut de la rue Michelet. Je leur emboite le pas et m’arrête de temps en temps pour avoir des informations, savoir ce qu’il s’est passé. « Ils ont tiré, il y a beaucoup de morts et de blessés ».

Comprenant tout de suite la gravité de la situation, je décide de prévenir ma mère qui doit s’inquiéter car le téléphone arabe a du fonctionner. « Ah mon fils Guy a été blessé, passe rue Courbet pour avoir des nouvelles, je n’arrive pas à les joindre. Je suis encore loin de la rue Courbet et je remonte lentement la rue Michelet parmi des gens tous timides ou apeurés ou furieux. J’arrive à la hauteur de la rue Hoche et m’y engage, à l’écart de la foule pour descendre vers la rue Courbet. Il doit être seize heures trente ou dix sept heures.. Arrivé à vingt mètres de la place Hoche, je vois arriver vers moi un de mes meilleurs amis, René CAPO, en pleurs ; il me serre dans ses bras et m’annonce l’affreuse nouvelle : « Ton cousin est mort, je viens de chez lui ». Je réalise instantanément que ses larmes et mes miennes ont une double signification. Je viens de perdre mon cher cousin et mon cher pays.

Fait à Aucanville,(31), 39 chemin des Bourdettes, le 29 avril 2007
Pierre EZEMAR né le 5 octobre 1937 à Alger.

P.S. Les expressions soulignées  en gras sont de leur auteur, le président de la République de l'époque

 

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Photo Paris Match - les marches de la Grande Poste où devait se trouver Guy Mazard.

 

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