7.3 - Plateau des Glières - Grande Poste

VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants

3 - CAVAILLE Alain : cette mitrailleuse sur le toit du G.G., N-NE, c'était bien pour prendre tout le secteur en enfilade

Je veux ici témoigner de ce que j’ai pu observer dans la matinée du 26 mars 1962.

Nous avions été avertis qu’une manifestation de « soutien moral » devait avoir lieu en tout début d’après-midi. Bien entendu, nous nous préparions à y participer, quand mon père m’appela. Il me passa ses jumelles (des Zeiss à fort grossissement) et me dit de bien regarder la partie nord du toit.

Nous habitions au 1 bis de la rue Michelet, au troisième étage. De là, il y avait une vue bien dégagée vers le Gouvernement Général – le « G.G. ». Pour mon père qui avait fait toute la guerre, il sautait aux yeux et même aux yeux de n’importe qui, comme moi, qu’un groupe de soldats s’affairait autour d’une mitrailleuse de gros calibre, vraisemblablement une 12/7 car elle était plus grosse qu’FM 24/29. Mon père était Lieutenant de cavalerie et avait servi en Tunisie et ensuite au débarquement de Provence puis en Alsace jusqu’ à Noël 1944 où il fut gravement blessé. Il n’était pas du genre à fanfaronner, mais plutôt à se taire. Mais cette fois il me dit : « Ils sont en train de préparer un coup. N’y allez pas ».

C’est pour cela que je vous ai demandé certaines photos, pour bien vérifier les angles de tir, principalement de la rue Charles Péguy, au début de la rue d’Isly donc la Grande Poste et même au-delà. Cette mitrailleuse sur le toit du GG, côté N – NE, c’était bien pour prendre en enfilade tout le secteur.

Malheureusement, mon jeune frère céda aux pressions d’un camarade et prit sur lui de descendre. Un moment plus tard, alors qu’il se trouvait au débouché de la rue Charles Péguy et déjà engagé sur la place, les tirs commencèrent. Je me trouvais au 19 boulevard Baudin, chez mon oncle Pierre Cavaillé lorsque ma mère, complètement affolée, m’appela pour me dire : « François est parti, il faut le ramener ! ». Je suis parti en courant, en empruntant la rue Jean Rameau puis les escaliers montant rue Charras et depuis la boulangerie Trollet, j’ai enfilé la rue Charles Péguy vers la Grande Poste. J’avais 20 ans et mon frère 15, et à cet âge-là, n’importe quel garçon devenait très vite fou.

Je revois cette scène comme un film au ralenti. Ca tirait de toutes parts mais je ne pouvais encore déterminer d’où cela venait. Les gens s’enfuyaient de partout, la plupart refluant vers la rue Michelet, donc en sens inverse de moi. J’ai bien vu quelques personnes à terre. Je vis, comme dans une sorte de rêve, un homme atteint en pleine tête, qui explosa. J’ai compris lorsque j’ai vu cette scène qu’il devait s’agir d’une arme de gros calibre. Des gens hurlaient à mon intention essayant de me faire comprendre qu’il fallait me planquer. Moi j’étais totalement hystérique. Je voyais bien que les gens tombaient comme des mouches, mais il fallait que j’y aille. De fait, totalement fou, je continuais d’avancer et je me souviens que je hurlais : « une arme, donnez-moi une arme », ce qui était le fait d’une véritable débilité mentale ! Arrivé tout au bout de la rue Charles Péguy, je ne pouvais que voir qu’il se trouvait des tas de gens à terre, partout, et entendre une fusillade nourrie. Je gueulais et pleurais en même temps car je savais que mon frère était quelque part dans ce merdier.

A partir de là, un homme qui a eu la présence d’esprit, et surtout le courage de sortir de son abri, courut vers moi pour m’attraper et me forcer à entrer dans un hall d’immeuble, sans doute le dernier côté sud. Je n’ai plus rien vu. Personnellement je n’ai pas fait attention à des soldats. Je ne voyais qu’une sorte de « champ de bataille » avec de la fumée, des gens qui couraient et beaucoup de gens à terre.

Quant à mon frère, c’est mon cousin Emmanuel Ricci qui est venu le chercher. François avait 15 ans et « Manou » réussit à le convaincre de se mêler à la manifestation. Ce n’est qu’après que j’ai pu avoir en détails ce qu’il avait fait. Il en ressort qu’il se trouva séparé de notre cousin et qu’il était alors près de l’arrêt du tram. Il me dit, comme pour moi, finalement, c’est un homme qui l’a fait se coucher par terre contre la bordure d’un trottoir. Beaucoup de gens s’abritaient ainsi, et bien sûr, ce n’était pas une protection très efficace. Du reste, il raconta que cet homme avait pris une balle à sa place. Blessé ou mort, il n’en sait rien.

En revanche, l’un comme l’autre, nous eûmes l’impression que cette fusillade dura très longtemps, car même depuis le boulevard Baudin, donc avant le coup de fil de ma mère, on avait commencé à entendre des coups de feu et même les premières sirènes d’ambulance. Pour son cheminement, il ne l’a pas précisé, mais depuis le bis de la rue Michelet, juste en face de l’ « Automatic ». En tout cas, il était plus loin que je ne l’étais, puisqu’il était à l’arrêt du tram.

Etrangement, quand enfin je pus rentrer chez nous, il venait d’arriver. C’est son calme qui fut stupéfiant. Un gosse de 15 ans … alors que moi, je tremblais encore de tous mes membres, complètement traumatisé par la vision de ces gens qui s’abattaient autour de moi, de tout ce sang par terre …

Ce n’est pas mon aventure que je veux mettre en avant. Bien d’autres l’ont vécue et ne sont pas revenus. Mon témoignage signifie bel et bien qu’il s’agissait d’une embuscade bien préparée. Je suis prêt à témoigner sous serment.

Alain CAVALLE - 02 avril 2014

 

01

1 bis Rue Michelet à Alger

02

A droite Lycée Delacroix puis les Facultés.
A gauche au 1er étage Appartement André WAROT, au 3ème Appartement Maurice CAVAILLE et Maurice WAROT, au 4ème Appartment de Jacqueline Le Goff.

03

 Obervation des faits depuis cette fenêtre

04

 

05

En rouge, parcours d'Alain
En bleu, parcours de François
En vert Obervation

 06

En jaune, zone de tirs possibles pour une mitrailleuse installée sur la terrasse du Gouvernement Général (batiment N°3 sur le plan)
Au N° 10, La Grande Poste

07

 

Cérémonie du 26 mars 1962 commémorée à Saint SEURIN sur L'ISLE le 26 mars 2016.
Au moment de terminer, je suis allé faire deux gros gros baisers à Anne CAZAL et une fraternelle accolade avec Alain AVELIN, que j'aime beaucoup.
Bien entendu, impossible de prononcer une seule parole, donc je me suis sauvé immédiatement.
Chaque fois je m'en veux....mais dire QUOI ?
On a tout dit, et nous pensons et éprouvons TOUS les mêmes choses.
Pour revenir à vous, à votre site :

Mon frère m'a appris avant-hier qu'il avait vu également des soldats avec FM sur les toits des facultés et ceux du lycée Delacroix, prenant ainsi la rue Charles Péguy en enfilade.
Cela, je ne le savais pas, mais explique pourquoi j'avais vu un type à côté de moi se faire exploser la cervelle, car étant au débouché de la rue il ne pouvait être pris depuis le GG.


Dommage qu'à l'époque personne n'ait pu étudier la balistique des impacts et les calibres.
Ce qui est étrange, c'est que chacun de nous n'a retenu que des séquences très courtes, des flashes.
Impossible de faire un film. De plus, on se déplaçait. François me disait qu'il voyait les vitrines tomber sur les gens, mais c'est devant les premières marches de la poste que quelqu'un l'a poussé à terre et s'est couché à côté.


Est-ce qu'il a reflué du début d'Isly vers la poste ?....il ne s'en souvient pas.

Trois flashes : les vitrines, l'homme le jetant à terre, puis en se relevant, cet homme toujours à terre...paniqué, blessé, mort ???

Moi, arrivant de la boulangerie Trollet, je me vois courant à toutes jambes vers la poste en hurlant "une arme, donnez-moi une arme"...débile,

Second flash, un crâne qui explose à côté de moi, je cours, j'entends le bruit d'une grosse fusillade, comme si elle emplissait la rue, j'entends des gens hurler vers moi alors que je vais déboucher sur la place, enfin je me sens attrapé et emmené vers une entrée d'immeuble.


Ce que l'on retient surtout, c'est cet affolement partout, mais aussi ces victimes TOUT AUTOUR de la place.

Cela, à mon sens, démontre bien un encerclement prémédité, car si des tirs de mitraillettes ou de fusils étaient du simple fait de la troupe, celle-ci n'était pas AUTOUR des gens, sinon
plutôt au début d'Isly...elle n'aurait pu atteindre Charles Péguy et surtout faire un tel carnage....
Tout cela est trop loin, et il n'y aura jamais d'enquête !

 

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