7.1 - EL BIAR - TELEMLY - La ROBERTSAU - Les TAGARINS

VI - Les témoignages - Grande Poste les manifestants  

3 -  GOLA-MALATERRE Michèle : un piège bien organisé pour échappatoire impossible
 

Nous habitions à El Biar dans le quartier le plus éloigné, vers l’ouest, exactement au carrefour des routes qui allaient vers la forêt de la Bouzareah, vers Cherchell et une autre vers Bâb el Oued, dans une cité HLM pour P.N. militaires : l’ARMAF. Notre bâtiment dominait une caserne de CRS. Et de la fenêtre de la chambre, je voyais ces policiers faire des acrobaties en moto, pyramide, slalom.

Par curiosité et non par sympathie, vous vous en doutez, nous avons même une nuit été visités et fouillés avec brutalité ; ils cherchaient des armes ! Eux étaient armés, bien sûr – très énervés et ont arrêté deux voisins, que nous n’avons plus revus depuis.

Il y avait bien sûr dans ma commode un revolver. Mais j’étais à l’époque jeune et j’avais une jolie chemise de nuit légère en nylon bleu. Le CRS a eu une bouffée de chaleur. Il a refermé le tiroir sans le fouiller, distrait par la bretelle qui glissait sur mon épaule. Mon mari était blême.

Les activités de la caserne étaient un baromètre des évènements. Nous devinions les actions en préparation. Quelques jours avant le 26, il y a eu plus que jamais de l’agitation, camions blindés plus nombreux, motards plus nombreux. Il allait se passer quelque chose.

Le 26 je décide de descendre au rendez-vous  « des ravitailleurs » du blocus de Ba el Oued pour apporter des vivres. Mon mari refuse fermement. Je le traite de lâche et je lui demande de me conduire en ville, chez mes parents. Il avait raison de ne pas vouloir y aller, il était à la territoriale, avait fait les barricades à la fac, il avait d’autres informations que moi. Le piège pour lui était évident.

Nous partons avec la Dauphine vers le centre d’El Biar puis vers Alger … lorsqu’au carrefour où se rejoignent les deux boulevards, dont j’ai oublié les noms, nous apercevons des hommes armés, nombreux et très agités. Il me redit : « c’est un piège, j’en étais sûr ». Il m’explique que ces hommes ont des armes de guerre, qu’ils ne sont pas en tenue réglementaire, qu’il ne voit pas d’officier français, qu’ils semblent être en opération et non en protection. En effet, ils dirigent les voitures, si nombreuses, vers le bas de la ville. Impossible de tourner sur place, impossible de partir à droite vers Kouba. Ces Arabes armés, qui sont-ils ? Ils encadrent les voitures qui descendent vers la ville et donnent des ordres sans aucune courtoisie ! en arabe –« vite, circulez ».

« Tu vois, c’est un piège, j’avais raison une fois de plus ». Alors, par chance, nous étions dans la file de droite, les voitures descendaient sur deux files, aucune ne remontait vers El Biar, ni vers Kouba, comme une nasse pour poissons, ce filet qui empêche tout retour en arrière – un piège bien organisé.

Notre chance, ce fut d’être au niveau d’un petit chemin qui débouchait sur le boulevard. Il remontait vers El Biar par un vallon que nous évitions depuis des années, réputé dangereux. A toute allure, la voiture s’engouffre et nous remontons.

Mais ce n’est pas terminé ! C’est un quartier arabe et nous sommes entourés par des femmes et des enfants, des you you et nous voyons pour la première fois des drapeaux FLN partout. La voiture ne peut plus avancer, nous sommes cernés, ni reculer. « C’est de ta faute, me dit-il » !

Je retrouve, en écrivant, la terreur, la certitude de vivre un drame ce jour-là, la fin … et surtout le piège refermé. J’assume cette responsabilité. « Chira … Chira … ! C’est ma maîtresse, elle est gentille «  Une de mes élèves me reconnait. C’est Nabila qui m’apporte des fleurs d’ail à l’école de la Bouzareah. « Chira » la sage en arabe, celle qui sait, la vieille. Je suis vieille aujourd’hui et je retrouve Nabila.

La horde hostile s’ouvre avec respect, la voiture peut avancer pour passer par un autre chemin. Il est trop tard pour aller à la manifestation (en ce moment c’est le drame devant la Grande Poste). Nous remontons à la maison. Nous saurons le soir, par téléphone …

La suite ma chère amie, c’est l’Histoire de France, la grande ; il faut se battre pour que nos arrières petits-enfants, sachent la vérité, la seule : Historique, Politique et Humaine et sachent que des hommes ont été sacrifiés, ont été massacrés, le terme du jour est : dommages collatéraux pour l’ambition des traitres à la Patrie dont nous savons les noms.

L’enfer est pour eux si Dieu le veut

Pour nos martyrs nous réclamons le respect de la mémoire.

En écrivant ces mots je réalise que j’avais occulté cet épisode de ma vie. Le voile noir avait recouvert ma mémoire et les sentiments contradictoires qui sont les miens.

Mais j’ai, et je comprends pourquoi aujourd’hui, voulu tout lire sur le 26 mars, c’est pourquoi j’ai acheté votre livre samedi, le seul livre bien sûr.

Je n’ai pas pu assister à la manifestation du 26 mars 1962, pourtant quelque chose de moi y était, j’en ai la certitude. J’ai lu tous les documents possibles pour comprendre.

Il fallait que je vous lise et vous rencontre pour comprendre. Merci d’avoir eu le courage de l’écrire.

Je vous embrasse très sincèrement.

Michèle GOLA-MALATERRE

Voie Aurélienne
Quartier de la Pinède
13 250 Cornillon-Confoux

04 90 55 90 32

03

El Biar

Interdiction de rebrousser chemin. Seule obligation, continuer à descendre
En bleu l'itinéraire suivi par Michèle en partant d'EL Biar.
Le point rouge,
où  a été stoppée Michèle, indique le carrefour où se rejoignent le boulevard  GALLIENI et l'Avenue Franklin ROOSEVELT, vers la rue MICHELET et la Grande Poste.
En vert le petit chemin des Glycines, seule issue pour remonter vers El Biar.
 

 

 

 

Retour Sommaire

Informations supplémentaires