5.34 - Deux petites filles en robe rouge

VI - Les témoignages - Grande Poste Les familles, les amis, les journaux

1 - Témoignage du docteur André Fourrier
2 - Témoignage du professeur Lebon

1 - Témoignage du docteur André Fourrier
Professeur Emérite
Doyen honoraire de la Faculté de médecine de Lille le 22 2 1993.

Mademoiselle,

J'ai bien reçu votre lettre du 15 courant. Malheureusement je ne puis vous être d'une grande utilité. Au moment de la fusillade j'étais à l'hôpital d'El Ketar et les morts et les blessés ont tous été évacués à Mustapha.
Vous aurez de grandes difficultés pour avoir une notion valable sur ce rapport d'autopsie et ce dossier disparu.

"J'étais alors professeur à la Faculté de médecine d'Alger et habitais au 90 de la rue Michelet.
Le 26 mars, dans le début de l'après-midi, je descendais vers la Grande Poste pour assister à la manifestation prévue quant à la hauteur de la pâtisserie "Princière" j'ai entendu la fusillade; j'ai donc rebroussé chemin pour me rendre à l'hôpital de Mustapha, me doutant qu'il y allait avoir à s'employer là-bas. En effet, l'après-midi s'est passé à recevoir et soigner les nombreux blessés qui arrivaient. Dans la soirée je suis allé à la Morgue de l'hôpital où étaient entassés les cadavres des victimes : j'ai notamment encore le souvenir très vif de deux très jeunes filles, des sœurs, qui avaient été tuées à " bout touchant" comme on dit en médecine légale.

Révolté par ce spectacle, j'ai alors téléphoné à un ami en lui demandant de rassembler dans les hôtels le plus possible de journalistes et de les emmener à l'hôpital; il en est venu un certain nombre, français et étrangers et je puis citer deux de leurs réactions :

1) un journaliste allemand (je ne me rappelle malheureusement plus quel était son journal) m'a dit:
" j'espère qu'après cela les journaux français ne parleront plus d'Oradour sur Glane."

2) deux journalistes français du "Monde" : l'un n'a pas pu supporter le spectacle et est sorti pour vomir; j'ai demandé à l'autre si son journal relaterait ce qu'il venait de voir, "Non" m'a-t-il répondu, "ça ne passera pas à la rédaction".

J'ajoute que j'ai vu arriver le cadavre de l'un de mes élèves et ami, le docteur Massonnat qui avait été tué de très près lui aussi alors qu'il portait secours à un ou une blessé. On l'a enterré presque clandestinement (lui et bien d'autres) au cimetière d'Hussein-Dey, le surlendemain matin si mes souvenirs sont bons : pas d'autorités naturellement, un prêtre ou quelques parents ou amis ; mais à ce moment est passé sur la voie proche, le train spécial qui conduisait , chaque jour, au Rocher Noir les fonctionnaires du Gouvernement Général. Il a ralenti, et, en passant, a scandé avec sa sirène les cinq notes de l'Algérie française". Outre le chagrin de cette matinée, c'est le plus émouvant hommage à ces morts du 26 mars que j'ai entendu et j'en remercie dans mon cœur ce mécanicien anonyme qui leur disait ainsi, adieu.


2 - Témoignage du professeur Paul LEBON

Au moment de la fusillade du 26 mars 62, je dirigeais à Mustapha le service d'ORL.

En ce qui concerne le corps médical, nous avons collabé toute une série d'observations dont je ne sais ce qu'elles sont devenues. Le grand public (dans la mesure où il peut y être intéressé - ce qui m'étonnerait !! ...) devrait avoir accès aux archives. Une nouvelle loi vient de prescrire les délais de trente ans pour en ajouter soixante-dix de plus (cent ans ... la péremption de la prétendue histoire!)

Toujours est-il que lors du 26 mars j'étais chez un ami, le docteur A..., chirurgien-dentiste, en face des Facultés. Voyant de l'armée prendre position dans son immeuble de même qu'aux alentours, je me rendis alors dans mon service, subodorant ce qui allait se passer, mais pas avec une telle ampleur, détermination et cruauté.

Et c'est à Mustapha que nous vîmes arriver les victimes et les blessés.

Outre le docteur Massonnat, camarade d'internat, je me souviens fort bien d'avoir vu parmi les cadavres  deux petites filles de huit ou dix ans, en robes rouges, que j'avais opérées quelque temps auparavant à la clinique des Orangers, leurs parents faisant partie des CFA, dont j'étais également médecin spécialistes. Aujourd'hui, je ne me souviens plus de leur nom.

En ce qui concerne les blessés, j'ai eu dans mon service quatre blessés graves : deux sapeurs-pompiers en tenue dont un fut opéré de blessures cervico-faciales avec extraction impossible d'une balle logée dans le rachis cervical - l'autre de blessures identiques avec ablation d'une balle logée dans le sinus maxillaire. Sapeurs-pompiers qui nous expliquèrent avoir été mitraillés après qu'on les eut laissé passer. Deux autres blessés graves avec plaies de la tête, au cou, lésions jugulaires et carotidiennes qui s'en sont tirés.

...

Ces observations furent adjointes à de nombreuses autres victimes, émanant des différents services-collabées. Je ne sais ce qu'elles sont devenues.

Les témoignages dès lors parus sont un fait indéniable, mais ceux fournis dans ces observations médicales corroborent par les interrogatoires des blessés ce que tout le monde sait mais renforcent les témoignages par leur rigueur scientifique les observations n'ayant pu être inventées (ou imaginées). Voilà ce que je puis vous dire.

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