5.25 - MAZARD Guy 28 ans

VI - Les témoignages - Grande Poste Les familles, les amis, les journaux

3 - Témoignage de Pierre EZEMAR son cousin germain.

Guy MAZARD était mon frère, ou du moins, je le considérais comme tel. En fait, lui aussi était très très près de moi. J’étais le cousin germain, fils unique, à qui des frères et des sœurs manquaient beaucoup. Il était mon aîné de 4 ans mais peu importait nous étions très complices, toujours dans la bonne humeur, vivant séparément, nous n’avions pas le temps de nous disputer. Nous nous retrouvions très souvent, au moins une fois par semaine pour des sorties, des virées et surtout, l’été, nous partions pour des sorties de pêche mémorables. Nous partagions le même amour de notre mer Méditerranée, bénie des Dieux, sous ce ciel d’Algérie, de notre pays natal et de notre ville Alger, la plus belle du monde …

Libérés de nos obligations militaires, nous avions effectué tous les deux une trentaine de mois de service en Algérie. Nous assistions impuissants, depuis mai 1958, alors que la guerre était gagnée, à la dégradation de la situation, voulue politiquement et par tous les moyens. Le chef de la France en avait décidé ainsi, reniant ses engagements et voulant donner l’indépendance à nos départements français d’Algérie, quoiqu’il arrive et même en bombardant le quartier populaire de Bab el Oued qu’on avait coupé du reste d’Alger.

Une manifestation pacifique avait été décidée pour porter secours aux pauvres habitants de Bab el Oued, littéralement assiégés et coupés de tout ravitaillement. Rendez-vous avait été donné aux manifestants ce lundi 26 mars 1962, à 14 heures, devant la Grande Poste. Guy et moi avions convenu de nous retrouver avant 14 heures au carrefour de la rue Monge et de la rue Michelet, à 200 mètres de la Grande Poste. J’avais également donné rendez-vous à un ami Jean Daniélé. A 2 heures, Guy est là mais pas de Jean. Guy, qui a rencontré d’autres amis, me laisse attendre Jean et il continue d’avancer vers la Grande Poste. Vers deux heures et quart, je vois arriver mon Jean, retardé par des barrages et nous nous dirigeons vers la Grande Poste. Mais dans ce quart d’heure la foule a grossi énormément et nous avons du mal à avancer. Tant pis, nous sommes là, dans la foule, faisant nombre et témoignant de notre solidarité. La foule grossit de plus en plus, nous nous serrons les coudes tout en discutant. Il n’est plus possible de progresser.

Tout à coup, à 3 heures moins 10, la fusillade éclate, les balles sifflent de tous côtés, les gens s’enfuient, se couchent, se mettent à l’abri derrière les arbres, les voitures, les entrées d’immeubles. J’ai perdu Jean de vue. Je suis dans une entrée d’immeuble, près du « Coq Hardi ». La fusillade n’en finit pas. Cinq minutes, dix, un quart d’heure, puis s’arrête et c’est le tour des sirènes, de police d’abord, puis d’ambulances. J’attends que cela se calme un peu, et je jette un coup d’œil dans la rue. Les gens refluent vers le haut de la rue Michelet. Je leur emboîte le pas et m’arrête de temps en temps pour avoir des informations, savoir ce qui s’est passé. « Ils ont tiré, il y a beaucoup de morts et de blessés ». Comprenant tout de suite la gravité de la situation, je décide de prévenir ma mère qui doit s’inquiéter car le téléphone arabe a dû bien fonctionné. Une vieille dame me propose de téléphoner de chez elle : « Maman, rassures-toi, tout va bien pour moi ». « Ah, mon fils, Guy a été blessé, passe rue Courbet pour avoir des nouvelles, je n’arrive pas à les joindre ! ».

Je suis encore loin de la rue Courbet et je remonte lentement le rue Michelet parmi des gens tous livides, apeurés ou furieux. J’arrive à la hauteur de la rue Hoche et m’y engage, à l’écart de la foule pour descendre vers la rue Courbet. Il doit être 26 heures 30 ou 17 heures. Arrivé à 20 mètres de la place Hoche, je vois arriver vers moi, un de mes meilleurs amis, René Capo, en pleurs. Il me serre dans ses bras et m’annonce l’affreuse nouvelle :"Ton cousin est mort, je viens de chez lui ". Je réalise instantanément que ses larmes et les miennes ont une double signification : Je viens de perdre mon cher cousin et mon cher pays.

Fait à Anceaumeville le 29 avril 2007
Pierre EZEMAR Né le 5 octobre 1937 à Alger.

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