5.25 - MAZARD Guy 28 ans

VI - Les témoignages - Grande Poste Les familles, les amis, les journaux

1 - Témoignage d'Annie MAZARD sa sœur,
2 - Témoignage de Marie-Louise SEBERRAS sa cousine germaine
3 - Témoignage de Pierre EZEMAR son cousin germain.
4 - Témoignages des journalistes - le Journal d'Alger du 28 mars 1962

 
1 - Témoignage d'Annie Mazard sa sœur

Ce 26 mars, mon père et mon frère aîné Guy sont allés rejoindre la manifestation rue d’Isly. Ma mère et moi sommes parties plus tard. Arrivées rue Michelet, nous avons brusquement entendu les sirènes des ambulances, des coups de klaxons. Nous avons pensé qu’il s’était passé quelque chose, une bombe peut-être ? Très anxieuse je décidai ma mère à revenir à la maison. Je l’entends encore me dire : « Tu t’inquiètes pour rien ! ».

Arrivées devant notre immeuble, nous avons vu mon père au bout de la rue. Il titubait comme un homme saoul. Il pouvait à peine parler et il a fini par arriver à nous dire « Ils nous ont tiré dessus et Guy, Guy, Guy est mort ! ». Mon frère avait reçu une rafale de mitrailleuse sous les yeux de son père. Et puis une ambulance l’avait emporté.

Grâce à un ami, l’intendant de l’hôpital Mustapha, nous avons pu ramener Guy à la maison, clandestinement. Nous l’avons fait passer comme blessé, en l’installant à l’arrière de la voiture de mon père et nous avons pu sortir de l’hôpital.

Avant de l’emmener nous l’avons veillé, toute la nuit et toute la nuit j’ai pu entendre les parents, les familles des victimes, hurler, supplier, devant l’hôpital pour qu’on leur rende leurs morts. C’étaient des cris de douleur, des cris affreux, des hurlements de bêtes qui vont mourir, des hurlements de mort.

Le lendemain, nous avons décidé d’enterrer Guy au cimetière d’El Halia. Nous sommes partis clandestinement de la maison avec le corbillard. Nous avions peur qu’on nous arrête et qu’on nous le reprenne. Nous devions éviter les barrages. Nous l’avons enterré avec précipitation. Et puis, à partir de cet instant, pour moi, c’est le trou noir.

Sur la photo que vous avez montrée dans le dossier de presse des « Folles de Mars », parue dans Paris Match, mon père se trouve sur le trottoir en bas des marches de la Grande Poste, en clair, en train de se relever. Guy est plus bas, gisant.

Nous avons appris, plus tard, que nous avions été des privilégiés. On nous a dit que deux familles seulement ont eu la possibilité d’emporter leur mort. Depuis ce jour-là, mon père n’a plus rien dit, il n’en a plus jamais parlé, jamais, à personne.

Mon frère avait 29 ans, il était marié et avait une petite fille de 3 ans

Annie MAZARD - 23 Allée Maurice Sarraut - Toulouse

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