2.2 - AMIECH Josette : les conséquences c’est que je tremble, j’ai peur du noir, du silence ...

VI - Les témoignages - Bâb el Oued - Les assiégés

J’avais 11 ans et demi et je vivais avec ma petite sœur chez ma mémé car nous étions orphelines. Nous étions séparées de ma sœur aînée. Nous habitions rue Soleillet au premier étage, au-dessus de la boulangerie Nadal. Ma mémé était notre tutrice légale et mon oncle était subrogé tuteur. Ma mémé se tuait toute la journée sur sa machine à coudre.

Une femme arabe, qui habitait d’abord, passage Martinetti, en face de chez nous jusqu’en 1960, venait s’occuper de nous. Nous l’aimions vraiment beaucoup. Quand nous sommes parties rue Soleillet, elle venait tous les jours, sachant le danger que cela représentait car ma mémé était sur sa machine à coudre du matin jusqu’au soir et ne pouvait pas s’occuper de nous. Ses fils faisaient partie du FLN et c’est pour cela que je me rends compte que ma mémé, comme beaucoup de Pieds-noirs, était inconsciente. Je sais que cela n’apporte rien à mon témoignage mais pour moi cela a de l’importance car j’ai beaucoup aimé cette femme. Je l’ai toujours appelée par son nom : Madame Abdelkader.

Nous étions chez nos voisins qui faisaient une surboum lorsque mon oncle est venu chercher ma cousine pour la ramener à la maison et ma petite sœur et moi sommes rentrées chez nous. Le bouclage de Bab el Oued commençait. Nous sommes restées tout un jour couchées par terre, dans le couloir, les persiennes fermées car ça mitraillait de partout et nous risquions une balle perdue... Les avions survolaient Bab el Oued et nous avons vécu vraiment une journée de terreur toutes les trois.

Je me souviens du jour où ils ont perquisitionnés les maisons. Ma mémé était couturière, et je me rends compte avec le recul, qu’elle avait pris des risques incroyables car elle avait caché des armes dans les armoires et elle avait rempli les vêtements d’épingles. Ce qui faisait que les militaires qui perquisitionnaient se piquaient. A un moment, ils ont trouvé les disques de Johnny Hallyday de ma grande sœur qui n’habitait pas avec nous. Lorsqu’ils les ont vu, c’est comme s’ils découvraient la France, et du coup, ils ont arrêté la perquisition. Fort heureusement pour nous car peu de temps avant ma mémé avait fait sauver des hommes de l’OAS qui étaient poursuivis par la cour intérieure.

Les gens n’avaient plus rien à manger et c’est là, je suppose que Monsieur Nadal, le boulanger en accord avec ma grand-mère a décidé de ravitailler le quartier. Nous avons donc rempli les paniers et les pains passaient par les balcons.

Je me souviens du jour où ils ont emmené les hommes de Bab el Oued. Mon oncle a été raflé comme les autres et il a été absent, je crois, durant trois semaines. Lorsqu’il est rentré il avait énormément maigri mais n’a jamais dit où il avait été ni ce qui lui était arrivé.

Les conséquences de la guerre d’Algérie c’est que je tremble, j’ai peur du silence, du noir. Dès que la nuit tombe, je m’enferme chez moi à double tour, je ne tourne jamais le dos et au moindre bruit je sursaute. En arrivant en France, ma grande sœur est venue vivre avec ma grand-mère mais ma petite sœur et moi, comme nous étions de religion juive, nous avons vécu dans un foyer juif qui s’appelait OSE. D’ailleurs Elie Wiesel y est allé aussi.

Mon témoignage peut vous paraître embrouillé mais j’étais jeune et déjà très traumatisée par la guerre car j’ai manqué perdre la vie plusieurs fois.

La première fois, alors que nous sortions de l’école, il a fallu se mettre à plat ventre car ça mitraillait partout. J’étais à l’école Franklin à l’époque, donc c’est après 1960. La deuxième fois, j’allais fermer les volets quand une stroungas, qui était sous une voiture, a explosé. Je me suis évanouie et c’est ma mémé qui est venue me tirer et qui a pris tous les éclats de verre. C’est ma mémé qui m’a dit qu’il y a eu une troisième fois, mais je ne m’en rappelle plus. Et puis je me souviens de la "nuit bleue" à Bab El Oued, c’était le 5 mars 1962. Il y a eu 130 bombes au plastic. Et puis cela m’a poursuivi à Paris. J’étais chaque fois sur les trajets des bombes mais je pense que là-haut il y a toujours eu quelqu’un pour veiller sur moi.

J’habite à Toulon à présent et j’essaie d’être de tous les combats, Dieu, merci, je suis toujours en vie.

Josette AMIECH  - Toulon

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Josette dite "Perlette"

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Josette Amiech au
premier rang, au centre, tient l'ardoise

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Perlette au premier rang deuxième en partant de la gauche


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Perlette deuxième rang en bas première à gauche

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Ci-dessus : Paris Match n°677 du 31 mars 1962 page 47

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En bleu : le bouclage de Bab el Oued
En rouge : la rue Soleillet

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Merci Simone,
je t'offre ce beau coeur Pied-Noir

Josette AMIECH - Mars 2014

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