4.7 - Les Français d'Algérie témoignent en Espagne


2 - Jo TORROJA témoigne lors de la commémoration du cinquantenaire 1962 - 2012 les 5 et 6 octobre 2012 à Alicante dans le cadre de Mémoires d'un exode.

Oran 28 juin 1962

Je ne sais combien de fois j'ai regardé ces deux bateaux espagnols, qui depuis avant-hier ont mouillé au large d'Oran. Le consulat de ce pays nous a promis que nous pourrions embarquer; seule manque l'autorisation d'entrer au port des autorités françaises, qui se refusent à l'accorder…. Pas d'ingérence étrangère dans l'évacuation.

… Et depuis la nouvelle de l'arrivée de ces deux bateaux, un flux de "réfugiés" a envahi le port, en voiture, en camion, avec des caisses, des boîtes, des "valises-ficelle" et même des meubles. Tous ces gens campent, s'entraident, s'organisent pour une longue attente. Cela commence à créer un problème aux autorités.

Quant à nous, depuis notre balcon, nous surveillons les deux navires. Pour le moment "ça" ne bouge pas.

29 juin

La masse des campeurs augmente sans cesse. Cela vient maintenant d l'intérieur des terres. Le consulat d'Espagne ne garantit l'embarquement qu'à ses seuls ressortissants, qui sont déjà près de quatre mille sur le terre-plein du port.

Les autorités françaises s'obstinent dans leur attitude négative. Depuis les navires des barques à moteur sont venues à terre faire l'approvisionnement. Ces deux  bateaux n'étaient venus que pour 24 heures. Ils sont là depuis trois jours maintenant. Cela commence à s'éterniser.

Enfin, à 18 heures, on nous confirme que les bateaux entreront demain. … Paris a cédé. Alors commencé le plus triste. Mais je ne veux pas en parler. A quoi bon … Après tout ce temps la blessure reste.

30 juin

6 heures du matin. La "Dauphine-Gordini", chargée au maximum, valises, boîtes, femmes et enfants, porte-bébé du dernier qui prend bien de la place; peut-être seulement tout ce que nos mains pourront porter, car on ne sait pas encore si on nous laissera prendre la voiture. Il a fallu laisser tant de choses …

Moteur en route … Le grand exode commence

Au port les bateaux accostent. Ce sont des "type-ferry". La foule commence à s'agiter. On empaquète, on plie, on attache, ça va, ça vient, ça crie, ça discute, ça piaille, ça bouge de partout. Le dernier casse-croûte. Certains sont là depuis 4 jours …

La longue procession des voitures commence à avancer vers les barrières déjà si encombrées. Ultime délicate attention : les autorités ont voulu nous faire passer une dernière fois à la fouille (!!!). Nos sympathiques CRS sont toujours là, toujours aussi avenants, gentils, attentionnés, aux petits soins pour nous vider toute la voiture. Même le porte-bébé y passe. Tout ça avec le sourire; ça fouille à pleines mains dans nos pauvres affaires, ça regarde sous la voiture. Tout le monde y a droit. C'est un des grands mystères du départ. Que peuvent-ils bien chercher ?

13 heures

Les bateaux sont bourrés. Tout le monde a pu y entrer; cela parait incroyable … Nous sommes tous restés sur le pont. Les derniers regards, les dernières photos, le dernier adieu. Les premiers pleurs.

… Les CRS veulent monter à bord. Le capitaine du bateau et les autorités consulaires s'y opposent. Les affreux insistent. Mais non rien à faire, le maître du bord est têtu, … il ne veut rien entendre, il clame que son bateau est territoire espagnol …Il semblerait que des gens appartenant à une certaine "Organisation" sont à bord …

Enfin, après maintes palabres et contacts radio, les passerelles sont retirées…   Les bateaux s'éloignent peu à peu des quais. Sur ceux-ci peu de monde, des forces de l'ordre surtout. … Moi aussi je m'en souviendrai toujours, ces hommes, ces femmes, ces enfants le regard fixé sur le boulevard "front de mer", sur la ville qui s'éloigne. Pas un mot, seulement ce regard qui veut tout prendre, tout saisir, emporter le maximum d'images …

La vie à bord s'organise; les marins sont aux petits soins … nous venons d'être pris en charge par deux navires de la Marine espagnole. Nous serons également  survolés par l'aviation militaire plusieurs fois et escortés jusqu'au port d'Alicante.

Exceptionnellement nous entrerons au port à 2 heures du matin. …

Les autorités alicantines ont fait merveille; la Croix Rouge à bord ne nous a pas laissé porter une valise; boissons, sandwiches, aide pécuniaire, que sais-je encore, mille attentions … Et cela malgré la ville en fête (fête de la Saint Jean, dernière nuit  de juin).

Inoubliable réception, qui nous mit du baume au cœur. Merci Alicante. Nous n'oublierons jamais.

Jo TORROJA

04

Feu d'artifice à Alicante octobre 2012

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