4.1 - Témoignages des enseignants

XII - 50 ans après - Témoignages

1 - "Saîd ?  professeur de l'enseignement secondaire. "Un enfant du bled né en 1959"- Exposition de Grenoble 2012 : L'exode

2 - - Jean-Pierre PISTER Professeur de chaire supérieure d'histoire -  Agrégé de l'Université - "Enseigner l'Algérie en khâgne"

3 - Danielle PISTER-LOPEZ, Agrégée de l'Université, Maître de Conférences honoraire, Université Paul VERLAINE à METZ. - Vice-Présidente Cercle Algérianiste (Champagne - Grand-Est)  "raconte sa guerre d'Algérie"

1 - Saîd ?  professeur de l'enseignement secondaire."Un enfant du bled né en 1959"- Exposition de Grenoble 2012  :L'exode

J'étais à Grenoble le dimanche 11 novembre 2012, dernier jour d'une émouvante et magnifique exposition sur le rapatriement de 1962, organisée par l'amicale des rapatriés. Dans cette ville très particulière qui compte une présence maghrébine importante les visites "en nombre " de familles algériennes étaient quotidiennes depuis le début des vacances scolaires de la Toussaint (plus de 150 tableaux exposés)."

"Un responsable de l'exposition, que je connais bien, m'a fait lire un texte écrit depuis quelques jours par un Algérien sur le livre d'or (et qu'il avait photocopié tant il en était touché).  Je dois vous avouer que j'en avais, moi aussi, les larmes aux yeux en lisant le texte (que j'ai conservé) et qui est le suivant" :

"Vous les Pieds Noirs que nous avons chassés de votre terre natale, nous avons vite compris que vous aimiez l'Algérie plus que nous, parce que vous  l'aviez "enfantée" dans la douleur et élevée avec courage et dans le sacrifice ...... Le peuple Algérien d'après 1962 n'arrivera jamais à faire quelque chose de ce pays, car pour la grande majorité ils l'ont trouvé comme un beau jouet laissé à des enfants gâtés ...... Le jouet est cassé depuis longtemps et les dirigeants qui ont accaparé le pouvoir ont été incapables de stimuler le peuple pour lui faire aimer son pays. Au contraire ils n'ont rien fait pour dissuader, retenir tous ceux qui l'ont fui. Ils ont même exigé plus de visas et de conditions d'accueil des pays étrangers. Ils ont passé leur temps et leur énergie à alimenter les rancunes et la haine envers vous les Pieds-Noirs et envers la France pour faire diversion de leur incompétence. Alors nous aussi nous sommes partis, ne voulant pas que nos enfants coulent avec ce bateau à la dérive.
Pardonnez-nous d'avoir découvert trop tard combien vous alliez nous manquer et surtout manquer à l'Algérie. Merci pour cette magnifique exposition qui montre à la ville de Grenoble, ce que nous avons été capables de faire ensemble dans ce pays jusqu'en 1962 "

Signature illisible, suivie de: "Enfant du bled né en 1959, professeur d'enseignement secondaire".

Reçu de plusieurs correspondants par internet. S.G.

0102


2 - Enseigner L'Algérie en khâgne - Jean-Pierre PISTER Professeur de chaire supérieure d'histoire,- Agrégé de l'Université

Enseigner l’Algérie en khâgne.

Pendant presque trente ans, j’ai eu le privilège d’enseigner l’histoire, au Lycée Henri Poincaré de Nancy, à des étudiants qui, à Bac+2 et Bac+3, préparaient les concours d’entrée aux Écoles Normales Supérieures, avec un programme changeant chaque année. A plusieurs reprises, l’Afrique du Nord et, notamment, l’Algérie ont constitué la matière de mon enseignement, ainsi, cette dernière année, dans le cadre de l’étude de « la Méditerranée de 1798 à 1956 ». J’ai pu ainsi mesurer la réaction de générations d’étudiants face à des sujets considérés, à tort ou à raison, comme sensibles : la colonisation française, le problème indigène, la minorité juive et l’antisémitisme en Afrique du Nord, le débarquement allié de novembre 1942, les « évènements » à partir de novembre 1954….

Cette expérience m’inspire quelques réflexions rapides. Lorsqu’ils arrivent du secondaire, nos étudiants, baccalauréat en poche, ne savent généralement rien sur l’Afrique du Nord. Ils ont, tout au plus, une très vague idée de ce qu’a été la décolonisation, au sens le plus général et imprécis du terme. Ils sont incapables de localiser correctement les villes sur une carte. En classe de Terminale, les enseignants ont rarement le temps d’aller plus loin. Il est assez fréquent, dans les milieux pieds-noirs, de dénoncer les partis-pris, la subjectivité, la désinformation qui caractériseraient le travail des professeurs et le contenu des manuels. Ces reproches ne sont pas infondés ; mais c’est plus la superficialité et l’ignorance que le mensonge qu’il faut incriminer.

Il m’était donc loisible de repartir de zéro avec des étudiants triés sur le volet et dotés d’un minimum d’esprit critique. Mettre en valeur les aspects positifs de la colonisation, montrer la complexité du peuplement de l’Algérie, parler aussi bien du problème indigène que de la mise en valeur du pays par les européens : autant d’éléments que j’ai toujours intégrés dans mes cours sans aucune difficulté. Pour la seconde guerre mondiale, montrer ce qu’un film comme Indigènes recèle de contre-vérités et de caricatures ne suscite, dans l’auditoire, aucun murmure. Embrayer sur les années 1954-62 sans réciter le discours « politiquement correct » habituel ne déclenche pas le moindre début de contestation. Je ne me suis pas gêné pour parler des crimes du FLN et de la pratique systématique du terrorisme, dans le bled aussi bien qu’en milieu urbain. J’ai ainsi cité les attentats du Milk Bar et du Casino de la Corniche dont mes « khâgneux » n’avaient jamais entendu parler. J’ai insisté pour montrer qu’il était simpliste de tout ramener à la pratique de la torture du côté français.

J’ai évoqué, dans un silence absolu, la fusillade de la Rue d’Isly, les enlèvements du printemps et de l’été 1962, la « Saint-Barthélemy Oranaise » du 5 juillet, la tragédie des harkis. A contrario, je n’ai jamais fait l’impasse sur les insuffisances du système colonial, sur les écarts de niveau de vie entre les différentes communautés, sur les occasions ratées telles que le projet Blum-Violette de 1936, sur les réformes structurelles qu’on a trop tardé à engager, avant le plan de Constantine d’octobre 1958.

Mes étudiants m’ont été reconnaissants de leur tenir un discours inhabituel pour eux mais qu’ils étaient capables de recevoir.

Cette expérience, j’en suis conscient, n’a pas valeur d’exemple et je n’en ai aucun mérite. Je n’étais pas dans un collège « du 93 », j’avais, au contraire, un public idéal. Dans notre milieu pied-noir et algérianiste, la méfiance à l’égard des historiens et de l’Histoire est un sentiment largement partagé. C’est là, souvent, l’expression bien compréhensible de plaies mémorielles non cicatrisées et d’un travail de deuil incorrectement accompli. Il est, cependant, nécessaire de préciser que ce ne sont pas les historiens mais les politiques, les journalistes, les média qui « font » l’opinion. Une petite minorité d’historiens, toujours la même, est utilisée par ces mêmes média pour imposer à l’opinion publique une vérité « bétonnée ». C’est ainsi qu’a été porté au pinacle un groupuscule d’universitaires, parmi lesquels quelques ex-thuriféraires du FLN, qui se sont élevés contre la loi du 25 février 2005 relative à la colonisation et à sa mémoire. Or il faut savoir que cette minorité de donneurs de leçons n’est, en aucune façon, représentative de la communauté des historiens et des enseignants d’Histoire. Est-il malséant de le souligner ?

Jean-Pierre Pister

03


3 - Danielle PISTER-LOPEZ, Agrégée de l'Université, Maître de Conférences honoraire, Université Paul VERLAINE à METZ.
Vice-Présidente Cercle Algérianiste (Champagne - Grand-Est)  "raconte sa guerre d'Algérie"

4.1

Retour Sommaire

Informations supplémentaires