3.4 - Masseube 30 juin 2012 : Colloque " La transmission de la mémoire des Pieds-Noirs"

XII - 50 ans après - Hommages - Commémorations - Colloques

Colloque " La transmission de la mémoire des Pieds-Noirs"

Le colloque du Cercle algérianiste du Gers s'est déroulé sur trois journées. Environ 300 personnes y ont participé.

L’objectif poursuivi était de se centrer sur la transmission générationnelle en permettant des échanges entre des porteurs de mémoire et leurs héritiers, enrichis par l'approche avisée d'historiens experts.

Même si les thèmes abordés furent très divers, et même si plus de temps eut été nécessaire, la médiation d'interventions structurées, de temps de commémoration et de convivialité ont permis de poser des réflexions sur ce que l'on peut retenir de l'histoire de l'Algérie française, du vécu des porteurs de mémoire et leurs enseignements pour l'avenir. Plusieurs ateliers en petits groupes ont aidé aux échanges.
Le thème central fut introduit le 30 juin par deux intervenants, à savoir la question des violences politiques. Jean Monneret a mis en évidence la nature particulière d'une cause qui s'appuie sur le terrorisme et dont il a défini précisément les contours. Paul Dumouchel nous a interpellés sur la différence entre violence ordinaire et violence politique, mettant en évidence que pour toute violence politique et particulièrement celle de la lutte subversive algérienne:

1 - La question de la légitimité était et est toujours centrale.
2 - La violence politique se joue toujours à trois. Dans toute violence politique, à un moment apparaissent ceux qui vont faire les frais de cette      violence. C'est la notion de « traître », la troisième force, les Pieds-Noirs et les Harkis.
3 - Les méthodes de contrôle des populations sont l'enjeu principal de là violence politique.
4 - Les réfugiés en sont une conséquence.

1 - La question de la légitimité était, est toujours centrale

• L'importance de la qualification des victimes.

Jean Monneret a insisté sur cette « soif de légitimité », des terroristes et sur leur volonté d'être assimilés à des résistants….. Mais pour les terroristes, n'est-il pas fondamental d'entretenir une confusion entre terroriste et tyrannicide ? Pour ne pas passer pour des « salops », les terroristes se définissent comme « combattants de la liberté », et leurs victimes ne sont plus des civils mais des coupables, « Occupants » ou « Colons » dans le cas de l'Algérie.

Le travail de justification, une réécriture tendancieuse.
Toujours dans le but de légitimation, les terroristes réécrivent l'enchaînement des événements. Le FLN, par exemple, redéfinit les causalités des attentats, quitte à défier la chronologie, pour les justifier notamment par une soi-disant riposte à I'OAS. L’historien Daniel Lefeuvre condamne ces « tripatouillages » qui travestissent la vérité et recréent une chronologie plus arrangeante pour la thèse à démontrer... Il est clair que l'enjeu plus que le combat lui-même, est dans la lecture qu'en feront, a posteriori les tiers.Le travail sur les mémoires consiste à effacer l'innocence des victimes, voire les victimes elles-mêmes pour ne parler que des objectifs « nobles » d'une Cause et cacher le caractère ignoble des moyens utilisés.
Pour les victimes et leurs héritiers le travail est forcément inverse.

• Le travail de reconnaissance ou l'indifférence des tiers
La violence politique est légitimée parce que se reconnaissent en elle d'autres que ceux qui l'ont commise, nous apprend Paul Dumouchel.
« Dans le cas de la violence politique, il y aura toujours quelqu'un pour trouver que les actes sont d'une certaine manière justifiés, ou sinon qu'ils sont du moins compréhensibles et en partie excusables ». Le refus de l'innocence des victimes ou la question des dégâts collatéraux est l'autre versant de la violence politique. Dans le cas de l'Algérie, on pense bien évidemment au « Manifeste des 121 » qui volontairement ont écarté de sa rédaction la question des victimes du FLN, européennes ou musulmanes, tout en légitimant ces crimes. On évoquera également cette main invisible du « Sens de l'Histoire », ou de la « nécessaire » décolonisation, qui permet aussi de justifier l'indifférence des métropolitains aux souffrances des populations « rapatriées »...

La troisième force et la radicalisation du conflit.
Les limites amis ennemis se durcissent et se déplacent. Comme tous les observateurs avisés l'ont compris, dans les violences politiques les premières victimes, les plus importantes aussi, sont « les tièdes », « les indécis ».
*Antoine Argoud constatait que les premières victimes de son secteur d'intervention étaient les Musulmans favorables à la France ou les Européens les plus proches des musulmans. I1 y a une dynamique de polarisation syncrétique de la violence politique, si l'on n'est pas pour, on est nécessairement contre. Chacun doit choisir son camp. La simplification facilite la légitimation. La liberté de penser est bien sûr compromise. L'idéologie (mythe raté) et la bienpensance font florès. Les solidarités organiques (familiale, clanique) remplacent petit à petit, celles de l'État.
*Les prébendes et la corruption comme l'a souligné Jean Jolly dans son panorama « décolonisation crimes sans châtiments », s'installent et s'incrustent… S'il existait des inégalités sociales, ce sont aujourd'hui des abîmes sociaux qui séparent une nomenklatura de l'ensemble de la population. Le « Sens de l'Histoire », a accouché d'un cauchemar pour les populations concernées.

2 - La violence politique ne se joue pas à deux mais à trois.
Jean Monneret définit deux phases dans la « guerre d'Algérie ». Une première phase jusqu'à 1958, où le combat contre les rebelles, appelés « fellaghas », est clair.
Puis, avec l'arrivée du général De Gaulle, une deuxième phase où un nouvel « adversaire » est stigmatisé, puis pourchassé et enfin combattu (Pieds-Noirs, Musulmans et métropolitains favorables au maintien de la présence française en Algérie). La volonté d'une épuration ethnique pour les uns, et celle du pouvoir français de faire disparaître ceux qui s'opposent à sa politique de « dégagement » conduiront dans la fin du conflit à concentrer les violences politiques sur cette dernière catégorie de personnes.
Il a fallu et il faut toujours noircir son action et surtout la faire disparaître en tant que victime, pour que les deux autres parties conservent l'estime et la justification de la leur comme l'explique Guy Pujante dans son dernier ouvrage Les Pieds-Noirs, ces parias de la République.

3 - La prise de contrôle des populations comme enjeu principal de la violence politique. Le recours à la violence politique a pour but la prise de contrôle des populations et de leur conscience. La prise en main des populations par « la confiance » et « la justice » est prépondérante. Dans le cas de l'Algérie, la palette de moyens utilisés: terreur, chantage, loi du silence, impôt révolutionnaire, châtiments (nez arrachés), enrôlements, etc. est conséquente. Ces moyens accompagnent la mise en place d'une organisation politico-administrative qui vise à supplanter le pouvoir en place. Une fois le nouvel État installé, cette organisation subsiste. Ces formes de dictatures qui ont suivi les indépendances, conséquences de ces prises en main des populations, ont toujours permis à la caste dirigeante de conserver leurs politiques des copains et de coquins en place, que seuls les observateurs étrangers imaginent pouvoir être changées par de simulacres d'élections.


4 - La question des réfugiés comme conséquence de la violence politique.
Les réfugiés sont l'incarnation d'une redéfinition de limites amies ennemies.
Le massacre d'Oran ou la question des disparus, ont considérablement contribué à bien faire comprendre aux populations concernées ces limites. Ces opérations n'ont rien de spontané mais furent savamment orchestrées. En Algérie, le nouveau ciment arabo-islamique s'est imposé pour définir la limite des amis. Les autres populations n'étaient pas ou plus chez elles. Peu importait l'antériorité des générations présentes sur cette terre. Il est d'ailleurs assez singulier de voir développer notamment par certaines personnes de confession juive, l'idée qu'il eut une erreur de « casting ». C'est oublier les pogroms de 1934 à Constantine. Cette notion s'est tellement imposée que certains représentants de l'église catholique iront même jusqu'à parler de « terre d'Islam ».

Avec le temps, et après cinquante ans de recul, il est évident que la question amis-ennemis n'était pas pour les « combattants de la liberté » une question politique mais la nécessité d’une épuration ethnique. L'analyse des massacres du 20 août 1955 de Roger Vétillard apporte en cela des éléments de preuves incontestables.

Pour Paul Dumouchel, « La violence prive les agents de la possibilité de choisir. Les victimes, mais aussi les autres qui sont appelés à se reconnaître dans la violence ne sont pas invités à participer au propos que la violence politique tient sur le monde. Ils y figurent uniquement sous la forme d'objets qu'il s'agit de manipuler, jamais comme personnes, c'est-à-dire jamais comme interlocuteurs égaux. Il y a, dans cette dimension performative de la violence une parenté conceptuelle certaine avec le mensonge qui lui aussi refuse à l'autre d'être un interlocuteur égal, le manipule, le réduit au statut d'objet. De plus, de même que la violence, le mensonge a une dimension performative essentielle. Lui aussi aide à transformer le monde. Soit de façon très locale, en manipulant le comportement de l'autre grâce à la fausse information qu'on lui transmet. Soit de façon plus globale, en particulier dans le domaine politique le mensonge très souvent consiste à nier systématiquement l'existence d'une situation ou d'un état de fait. La conséquence du mensonge est alors de hausser les enchères en forçant l'autre soit à un désaccord, mais qui semble injustifié et sans raison, soit à faire « comme si » il n'y avait rien ou rien eu, donc à consentir au mensonge et à faire en conséquence que ce qui fut, en un sens n'ait jamais été. Tout comme la violence le mensonge change le réel en refusant de reconnaître l'égal statut moral de l'autre ».

Il reste important de replacer les victimes au centre des réflexions et de lever le voile à partir d'elles sur la réalité historique.

Georges Belmonte

Extraits du Supplément du n°139 de L'Algérianiste.

01

02

"Qui répondrait en ce monde à la terrible obstination du crime si ce n'est l'obstination du témoignage?"
"Justice et haine" - Albert CAMUS
Inaugurée par Nicole GUIRAUD,victime du terrorisme FLN à Alger 30/09/1956.

03

 Retour Sommaire

Informations supplémentaires