1.6 - Le 5 juillet à ORAN - Les témoignages

VII - Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - Le 26 mars… Le 5 juillet… les massacres continuent

13 - Discours témoignage de Madame Jocelyne Quessada aux Mobiles à Marseille le 5 juillet 2016

Cérémonie du souvenir des victimes du 5 juillet 1962

Chers amis

Nous voilà de nouveau rassemblés devant ce monument.

54 ans depuis cette horrible journée, où en est-on ? Nous avons eu quelques satisfactions venues de certaines municipalités. Il y a quelques mois, Julien Sanchez maire FN de Beaucaire a donné le nom du 5 juillet à une des rues de sa ville, le 1er juillet à Marignane, Eric Le Dissès le maire sans étiquette, en a fait autant pour un très beau rond- point et là, nous avons eu la joie d’assister à l’inauguration, grand moment d’émotion avec un nombre important de participants ; ce matin même,  Eric Diard maire LR de Sausset les pins a inauguré une plaque commémorative.

Ces petits gestes sont importants. Nous espérons qu’ils donneront des idées à d’autres maires. Avec ces mots gravés dans la pierre, les français seront peut-être curieux de savoir ce qu’il s’est passé ce jour-là. Comment accepter que ces évènements tragiques restent occultés ? Ni les gouvernements successifs ni les médias n’en parlent. Et pourtant depuis 54 ans, nous avons raconté, écrit, parlé, rencontré des journalistes, manifesté de très nombreuses fois. Nous ne sommes pas éternels ; beaucoup de ceux qui se sont battus à nos côtés ne sont plus là.

Le temps presse, il ne faut rien lâcher. 5 juillet 1962. La tristesse et la peur pèsent  sur la ville. Pourtant ce jour-là, dans ce matin lumineux et chaud, les oranais sont retournés à leurs occupations : travail, courses. N’avaient-ils pas entendu la veille encore, comme les soirs précédents, les voitures militaires qui les rassuraient « oranais, n’ayez pas peur, l’armée vous protège ».

Ils ont tellement envie d’y croire, comme ils avaient cru aux paroles du prestigieux général le 6 juin 1958, au Champ de manœuvre à Oran. Je me souviens, nous y étions depuis 6H du matin:  « La France est ici et elle y est pour toujours, vive Oran, ville que j’aime et que je salue, bonne, chère grande ville française ».

Et nous, les dizaines de milliers d’oranais ivres de joie et d’espoir, nous l’avons follement applaudi.Comment un général peut-il trahir ainsi la parole donnée ? Comment un général, qui plus estprésident de la république, peut-il être un tel parjure et abandonner ainsi ceux qu’il avait le devoir de protéger ? Comment un traitre pareil, des  décennies après, peut-il faire encore l’objet d’une telle vénération ?

Je l’accuse à tout le moins, de non-assistance à personnes en danger et probablement de complicité d’assassinats.J’étais à Oran ce jour-là et nous étions en ville. Il était 10H du matin. Nous avons été arrêtés devant le lycée Lamoricière par le défilé d’une foule hystérique et déjà hostile, tandis que dans le lycée qui servait de caserne, les militaires riaient et prenaient des photos.

On leur passait le nouveau drapeau algérien sous le nez et ils riaient toujours. Sur notre droite, sur le Boulevard Gallieni, des familles entières, assises sur le sol au milieu de leurs paquets, attendaient devant les compagnies d’aviation pour avoir des places pour fuir ce pays qui les avait vu naître.

Ne pouvant supporter ce spectacle, je suis rentrée chez moi en larmes et c’est probablement ce qui nous a sauvé la vie.Une heure après, la chasse à l’homme commençait avec toutes les horreurs que vous connaissez. Les autorités savaient. Katz, le boucher d’Oran, a survolé la ville et il a bien vu les cadavres partout, les files d’européens qu’on emmenait, il les a vus livrés à la vindicte populaire. Il a vu le sang coulant sous la porte du commissariat central, il a vu les cadavres amoncelés au petit lac.

Témoignage du pilote de l’hélicoptère:« Nous survolons la ville, partout des gens qui fuyaient et des cortèges les bras en l’air, escortés par des ATO ou des civils en armes. Nous avons survolé le petit lac, là aussi une foule compacte bras en l’air, des gens qu’on faisait entrer dans l’eau et qu’on abattait froidement. J’ai hurlé : mon général, on abat des gens, je vois l’eau qui devient rouge de sang.Le général m’a répondu : retour à la base ». Car de Paris, l’ordre était venu « n’intervenez pas ! »

Témoignage sous la foi du serment du colonel Fourcade qui a déclaré avoir assisté ce 5 juillet à un entretien téléphonique entre de Gaulle et Katz. Katz informe de Gaulle que dans toute la ville, a lieu un massacre au faciès blanc. De Gaulle donne l’ordre criminel « ne bougez pas ».

Honte à eux, je nomme de Gaulle, Joxe, Messmer, et bien sûr Katz récompensé d’une médaille supplémentaire à son retour en France. Honneur à ceux qui ont osé braver l’interdiction et ont réussi ainsi à sauver des dizaines de personnes : le lieutenant Khélif , le capitaine Courguenec, le vice-amiral Barthélémy commandant la base de Mers El Kébir qui a envoyé un détachement de fusillers marins pour évacuer les magistrats et le personnel du tribunal, des soldats du 8ème RIMA et du 5ème RI ont mis en fuite des civils musulmans.

A 17H, l’armée est enfin sortie et la ville s’est  calmée mais pas la douleur des familles qui ont cherché et espéré pendant des années, le retour de l’être cher.

Alors que l’on ne nous demande pas de  tourner la page, d’oublier. Même si nous le voulions, nous n’en avons pas le droit. Il y a eu à Oran plus de morts qu’à Oradour sur Glane. Ceux d’Oradour ne sont pas oubliés heureusement, pourquoi oublie-t-on ceux d’Oran ? Oh, nous connaissons la réponse.

Alors nous, continuons de nous souvenir, continuons de raconter, continuons d’exiger la vérité, ne cédons rien pour quelques médailles et autres petits avantages dont on nous gratifie avant chaque élection.Offrons à nos morts le linceul qu’ils n’ont pas eu.

Le vrai tombeau des morts est le cœur des vivants. Qu’ils restent à jamais dans nos cœurs !

Merci pour eux d’être là.

Jocelyne Quessada

 

Quessada 

 

le monument aux mobiles pc050029 

"Les Mobiles"  à Marseille

 

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