1.4 - Les rapts, les enlèvements : l'horreur ou l'histoire cachée des Disparus

VII - Après le 19 mars 1962 le mensonge d'Evian - Le 26 mars… Le 5 juillet… les massacres continuent

1 - "L’histoire cachée des Disparus" -  Le Point du 8 février 2002 par J.M. Decugis - Christophe Labbé - Olivia Decasens

2 - Les disparus de la guerre d'Algérie par Jean Faure - l'algérianiste n°152 de décembre 2015

 

1 - "L’histoire cachée des Disparus" -  Le Point du 8 février 2002 par J.M. Decugis - Christophe Labbé - Olivia Decasens

Plusieurs milliers d’ Européens ont été enlevés après le 19 mars 1962. Mais pour ne pas relancer le conflit, le gouvernement français a minimisé les faits. Militaires, instituteurs, ouvriers, femmes, enfants, vieillards … plusieurs milliers d’ Européens ont été enlevés après le cessez-le-feu par le FLN et les « combattants de la dernière heure ». Un drame occulté. Pourtant du 19 mars au 31 décembre 1962, ce sont officiellement 3019 Européens qui sont enlevés, dont près des deux tiers restent portés disparus. « En proportion, il y a eu dix fois plus de disparus en Algérie durant cette période qu’en Argentine dans les années 70 sous la dictature » fait remarquer Jean Monneret, un des rares historiens à avoir étudié le sujet.

Le FLN ne porte pas l’entière responsabilité de cette tragédie. Mais son implication est indéniable. Elle a d’ailleurs été revendiquée par certains de ses cadres. A l’époque, le rapt entre dans la stratégie du FLN contre l’OAS, qui multiplie les attentats aveugles contre les musulmans. Il permet en apparence de ne pas violer le cessez-le-feu conclu avec le gouvernement français. Et pour cause, la plupart du temps on ne retrouve pas les cadavres. « Le FLN a toujours prétendu qu’il enlevait des cadres et des militants de l’OAS », explique Jean Monneret. En réalité, c’est rarement le cas. « La stratégie élaborée par les chefs est une chose, l’application qu’en font les commandos en est une autre. Il était plus facile et moins dangereux pour eux, de s’en prendre aux voisins, aux passants attardés, aux personnes isolées », précise l’historien. En effet, la plupart des rapts ont lieu à la lisière des quartiers européens et musulmans, où l’armée française avait reçu instruction de ne plus patrouiller en application de l’accord du cessez-le-feu. Par ailleurs, les combattants de la 25ème heure, parmi lesquels de nombreux délinquants, en profitent pour piller les appartements vides, rançonner, violer et assassiner.

Odette Alonzo (73 ans) a perdu, le 16 juin dans la banlieue d’Oran, deux de ses frères, Michel et René. L’un lycéen, avait 17 ans, l’autre à peine 23. Quarante après, elle évoque les larmes aux yeux, leur disparition. « Un matin ils sont partis en 2 CV à Sahouria (département d’Oran) où plus aucun Européen ne vivait. Ma mère avait été la dernière à partir. » Les deux frères tenaient à récupérer quelques affaires. « On ne les a jamais retrouvé, ni eux, ni la voiture. Maman en est morte de chagrin.»

Le 5 juillet, plusieurs centaines d’ Européens sont enlevés à Oran. C’est la célébration de toute l’indépendance en Algérie. Mais, à Oran que l’OAS avait tenu dans la terreur pendant trois mois, les manifestations de liesse se transforment à la suite d’un banal incident en « folie collective et chasse à l’ Européen », selon les propres termes de Jean-Pierre Chevènement, qui était tout jeune chef de cabinet du préfet. « En sortant du port j’ai failli être enlevé par les ATO (auxiliaires temporaires occasionnels, milice de l’exécutif provisoire destiné à assurer la transition) qui ont arrêté ma voiture. L’un d’eux m’a appuyé le canon de son pistolet mitrailleur sur l’estomac. A un moment, il s’est intéressé à quelqu’un d’autre, j’en ai profité pour m’échapper ». Jacques Doménéghetty, le directeur de l’aérodrome civil d’Oran, n’a pas eu cette chance. Son fils, instituteur à la retraite, qui vit dans un petit village de l’Hérault, reste traumatisé par cette journée : « Mon père a disparu sur la route de l’aéroport alors qu’il avait en poche un laissez-passer signé par le bureau du FLN de Paris. Quelques jours plus tard, Jean-Pierre Chevènement, qui vient d’être chargé des relations avec l’Armée de libération nationale, rencontre Ben Bella et Boumediene pour tenter d’obtenir la libération des Européens enlevés. « J’étais avec le nouveau consul, Jean Herly. Nous n’avons pu obtenir la libération que d’une vingtaine d’entre eux, sans doute les seuls survivants».

A aucun moment la France n’a envisagé d’utiliser les forces armées pour faire cesser les rapts. Pis, les militaires, qui prennent l’initiative d’intervenir, se voient aussitôt déplacés. C’est le cas du général Rollet, chef de bataillon à Alger. Le 21 mai 1962, l’officier apprend que six européens ont été enlevés dans le quartier de Belcourt. Il ordonne aussitôt une intervention. Sa troupe parvient à sauver deux hommes et découvre dans une vigne un charnier avec huit corps d’Européens mutilés. Le lendemain elle déterre six nouveaux cadavres. Le 28 mai, huit autres encore. Le général fait un rapport. En retour, il reçoit l’ordre de quitter le secteur. Ses officiers seront consignés jusqu’au 6 août et la formation dissoute.

«NOUS DEMANDONS LA VÉRITE»

La position du gouvernement est délicate. « L’alternative était de reprendre l’offensive, au risque de faire le jeu de l’OAS, ou bien de minimiser l’importance des rapts. C’est cette seconde voie qui fut choisie, explique Jean Monneret. D’ailleurs les déclarations du général De Gaulle sont éclairantes. Témoin, celle du 18 juillet 1962 en conseil des ministres : »Pour la France, à part quelques enlèvements, les choses se passent à peu près convenablement. » A cette date on compte déjà officiellement 1.257 rapts …

On ne s’intéressera officiellement au sort des disparus que huit mois après l’indépendance … Au printemps 1963, le Comité international de la Croix Rouge (CICR) déclare avoir recensé 2.500 détenus dont 1.300 désirent trouver refuge en France. En juin un accord est conclu entre le C.I.C.R. et le gouvernement algérien, qui autorise la recherche des disparus européens et musulmans. 1.333 détenus seulement seront libérés, souvent après avoir été torturés. En 1965, l’ Association de défense des droits des Français d’Algérie (ADDFA) envoie trois émissaires en Algérie, qui travaillent en partenariat avec le Secours catholique. Tous sont revenus en disant qu’il n’y avait pas de survivant.

Quarante ans plus tard, la France est rattrapée par son histoire. « Nous ne cherchons pas la compassion, nous demandons la vérité », affirme Colette Grattier, 63 ans, dont le mari, Georges Santerre, a disparu le 14 juin 1962 à Ameur el Aïn (Alger). Le mois prochain, une plainte contre X pour « crime contre l’humanité et complicité de crime contre l’humanité » doit être déposée devant le tribunal de Grand Instance de Paris par des familles de disparus et l’association Jeune Pied-noir.

Par Jean-Michel Décugis - Christophe Labbé - Olivia Decasens

LE POINT 8 février 2002 - SOCIÉTÉ / GUERRE D’ ALGERIE

Transmis par Jean-Marie SARRE - Gironde

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