2.3 - Récit par le corps médical 1962 Mustapha - La tragédie du 26 mars 1962

IV - Date emblématique d'un massacre collectif de - Lundi 26 mars 1962 à Alger.

LA TRAGÉDIE

Prologue

Un quartier européen populaire d’Alger, Bab el Oued, est investi depuis plusieurs jours, à la suite d’une agression contre les forces de l’ordre. Ses 75.000 habitants sont séparés par un blocus rigoureux du reste du monde.

L’occupation est sévère : une motion des Doyens de facultés et de notables parle à juste titre de « répression aveugle ». La population d’Alger multiplie ses efforts et ses démarches pour leur venir en aide. Mais c’est en vain : les barrages s’opposent à l’entrée de qui que ce soit, à l’intérieur du périmètre interdit.

A tout le moins, les Algérois veulent-ils manifester leur sympathie aux assiégés. Dans cet esprit un mot d’ordre a été répandu : « A 15 heures groupons-nous au centre de la ville au plateau des Glières sans armes dans la discipline et dans le calme pour nous diriger ensemble vers Bab el Oued. La préfecture de police avertit les manifestants qu’ils seront dispersés le cas échéant avec toute la fermeté nécessaire.
Dès le début de l’après-midi, se mettent en marche, vers le lieu de ralliement des milliers d’hommes et de femmes. Il y a relativement peu de très jeunes gens et d’assez nombreuses personnes âgées. Certains, qui ont des parents à Bab el oued se sont naïvement munis pour eux de quelque ravitaillement. La plupart sont venu uniquement pour exprimer ce qu’ils considèrent comme un devoir élémentaire de solidarité. Toutes les classes sont représentées : directeurs de société, avocats, médecins, instituteurs, côte à côte avec ouvriers et employés de bureau. Tout Alger est là. Des anciens combattants autour de quelques drapeaux tricolores viennent en tête. L’un de ces drapeaux est tenu par un musulman. Cette foule est digne et absolument calme ; son silence est impressionnant ; si quelque cri, quelque slogan s’élève, il est aussitôt réprimé. Personne, bien entendu n’est armé. La manifestation n’a rien d’agressif ni même de passionné. Le long des rues qui mènent au plateau des Glières, des militaires sont postés sur les terrasses des immeubles. Pas de civils aux fenêtres qui sont pavoisées de drapeaux marqué d’un crêpe. Des barrages stricts s’opposent à la progression de la foule dans les voies principales, tout en la laissant passer de temps à autre, et sans l’empêcher de filtrer par les rues secondaires.

Le drame se noue

La foule rassemblée sur le Plateau des Glières, un peu avant 15 heures, est canalisée vers la rue d’Isly, qui reste pour elle la seule artère en direction de Bab el Oued. Toutes les autres lui sont interdites par des cordons de troupe. Un fort barrage motorisé bloque l’accès du boulevard Bugeaud. Il est constitué par des militaires européens et musulmans. Des hommes armés sont postés dans les premières rues latérales de la rue d’Isly, prêts à tronçonner la colonne. C’est un véritable piège car l’entrée de la rue d’Isly n’est pas verrouillée par un barrage continu. Il y a là une douzaine d’hommes qui laissent passer sur le trottoir ou même la chaussée. Une troupe étrange, en ce point crucial, vient de relever les fantassins qui jusque là y monter la garde. Elle est presque uniquement constituée de musulmans dont l’aspect inhabituel et farouche a frappé tous les passants : les témoignages sont unanimes. Le jeune officier européen qui les commande, manifestement, ne les a pas en main ; il est agité, parait inquiet. Ses hommes sont extrêmement nerveux, surexcités, hostiles et menaçants. Armés de mitraillettes, des bandes de cartouches autour de la poitrine, ils mettent en position, à côté d’un téléphone de campagne, un fusil mitrailleur sur le trottoir gauche, prêt à balayer, dans un sens la rue d’Isly et dans l’autre la placette de la Poste et le Plateau des Glières. Plus avant dans la rue d’’Isly, une autre section de musulmans est remontée de la première rue latérale (rue Chanzy), et s’est déployée en travers de la rue, à une vingtaine de mètres des premiers. D’autres éléments restent dans le long et dans le bas des premières rues latérales (rue Chanzy et rue Gueydon). Ainsi un tronçon de foule, engagé dans le début de la rue d’Isly, est cerné, sans issue possible. Les mitraillettes, approvisionnées, sont armées.

Le début de la fusillade

Il n’y a eu aucune provocation de la part des manifestants, aucune sommation de la part de l’armée. Un colonel de troupes musulmanes en retraite, parlant parfaitement l’arabe, arrive à ce moment à la hauteur de la première section de musulmans ; il entend avec stupeur deux de ces hommes échanger des paroles qui sont confirmées par plusieurs autres témoins :« Nous allons tirer sur des chrétiens …..On nous dit de tirer sur des chrétiens ». Épouvanté, il crie à ceux qui l’entourent : « sauvez-vous ! Ils vont tirer sur vous » ! . Et il n’a que le temps de se jeter à plat ventre, la tête derrière un arbre. Le lieutenant qui venait de se déplacer vers le téléphone de campagne, se retourne. Ses hommes tirent une première rafale à bout portant dans le dos des manifestants. Ils recommencent, quelques uns faisant demi -tour et tirant vers la Poste. Le F.M. entre en action, balayant la rue et la place. Le barrage du boulevard Bugeaud ouvre à son tour le feu de son fusil-mitrailleur. C’est le carnage …

La tuerie

Les manifestants cherchent d’abord à s’enfuir. Ceux qui avançaient paisiblement rue d’Isly essayent de se sauver par les rues latérales droites ; ils sont pris sous le feu du deuxième barrage et des musulmans embusqués dans des encoignures de portes ou de magasins ou postés au bas de ces rues, que leur tir prend en enfilade. D’autres courent chercher un refuge vers l’avenue Pasteur ou s’engouffrent dans des entrées d’immeubles, dans des boutiques. Ils y sont poursuivis, quelques uns sont achevés : un vieillard blessé, couché au fond d’une impasse, à gauche de la rue est achevé d’une rafale de mitraillette. Ceux qui ne s’étaient pas encore avancés jusqu’à la rue d’Isly, refluent vers la Poste mais sont pris sous les feux croisés des fusils mitrailleurs de la rue d’Isly et du barrage du boulevard Bugeaud. Bientôt tous sont couchés, vivants et morts, les uns contre les autres, et par endroits les uns sur les autres, comme un tapis dira un témoin, qui s’étant approché de sa fenêtre, regarde avec horreur la scène.

Mais les soldats sont déchaînés. Dans un état de frénésie sauvage, dans une furie de primitifs, ils tirent sans discontinuer, de tous côtés ; ils hurlent ; certains font des gestes obscènes ; d’autres militaires sont tués ou blessés par leur tir désordonné. Dès qu’un blessé ou un homme indemne se soulève pour demander grâce ou appeler au secours, ou venir en aide à un autre, il est abattu d’une rafale. Des blessés ont été achevés à bout portant ; une femme blessée qui essaye de se relever est abattue à moins d’un mètre ; un gradé qui a un visage d’européen , achève d’une balle de revolver dans la tête, à bout touchant, un homme d’une trentaine d’année, blessé aux reins, qui se traîne à plat ventre.

Cependant, d’autres officiers s’efforcent d’arrêter le massacre. De l’autre côté du Plateau des Glières, un capitaine s’avance stoïquement sous les balles, bras écartés, ordonnant de cesser le feu. Le lieutenant responsable de la section qui a ouvert le feu, atterré, s’est replié dans le vestibule de l’immeuble le plus proche. Il bredouille : »Ce n’est pas de ma faute … on m’avait donné des ordres … ». Stimulé par un civil, il tente enfin d’arrêter ses hommes : « Halte au feu ». Mais rien n’arrête ces forcenés. Ils tirent toujours, sur les ambulances qui commencent à arriver, sur des sauveteurs qui portent un blessé sur une civière et qui tombent. Plusieurs pompiers pris sous leur feu sont blessés.

Les fusillades simultanées

A distance de cet enfer, il y a aussi des blessés et des morts. Au moment précis où éclatait le feu nourri de la rue d’Isly, d’autres barrages s’étaient mis à tirer sur des façades d’immeubles et sur la foule. Au carrefour de l’Agha ce sont les CRS qui ont tiré vers le boulevard Baudin. L’armée a tiré place Lyautey depuis l’immeuble d’angle, dans l’axe de la rue Michelet et depuis les jardins de la Faculté, dans l’axe du boulevard saint Saens, ainsi que sur les maisons d’en face où une femme a été blessé dans sa chambre, un soldat tué sur un balcon. Une arme automatique a tiré de la Délégation générale vers le Plateau des Glières et en direction de la rue d’Isly. Des gens qui rentrent chez eux sont tirés par des soldats depuis les balcons. Après d’un kilomètre de là, dans une petite rue au-dessus du Télemly, un Européen rentre sa voiture au garage de sa villa. Un sergent musulman, à la tête d’une patrouille de 4 hommes, le fait descendre, lui commande de lever les bras en l’air et sans explication le tue d’une balle dans la poitrine.

Épilogue

La nuit tombe. A l’hôpital Mustapha et dans eux cliniques de la ville, on finit d’opérer les blessés : près de 200 ont été accueillis. A la morgue de Mustapha sont alignés près de 50 cadavres : des hommes, des femmes, des vieillards, des jeunes filles, partis de chez eux quelques heures plus tôt, avec gravité, avec tristesse, pour se réunir et porter le réconfort de leur sympathie à des concitoyens éprouvés.

Leurs corps ne devaient pas être rendus aux familles. Deux jours passent ; puis, avec une absoute collective, annoncée très discrètement, au dernier moment, en fin d’après-midi, ils ont été enlevés de nuit, clandestinement transportés, « à la sauvette », par des camions militaires, dans un dépositoire de banlieue, d’où ils ont été conduits le lendemain au cimetière.

Aucune autopsie. Cependant une enquête judiciaire a été, tardivement, ordonnée.

Alger 26 mars 1962
Témoignages recueillis par les médecins ayant assisté à la fusillade ou ayant soigné les blessés
A la mémoire de notre éminent confrère le Docteur Jean MASSONNAT,
Croix de Guerre 39-45
Tué le 26 mars 1962
Victime du devoir professionnel

LE CORPS MÉDICAL
Mars 1962

01

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