7.2 - Jean-Jacques Susini : Interviews

 

1 - Interview du 22 mai 2008 - N°1862 – Le Point - Propos recueillis par François Malye

Quand l’OAS négociait avec le FLN

Le docteur, Jean-Jacques Susini, 74 ans, a été le cerveau et l’un des quatre fondateurs de l’OAS. Deux fois condamné à mort par contumace – notamment pour avoir organisé l’attentat manqué du Mont Faron, à Toulon, en août 1964, contre le général De Gaulle – il tente , en mai 1962, la négociation de la dernière chance : malgré la guerre totale que se livrent OAS et FLN, il rencontre des émissaires de l’organisation algérienne.

LE POINT : Pourquoi cette tentative de négociation, et surtout, si tard, puisque les accords d’Evian sont signés et que l’exode des Européens d’Algérie est devenu inexorable.

JEAN-JACQUES SUSINI : Fin avril 1962, l’OAS avait perdu la partie. Nous n’avions plus aucune possibilité de remplir nos objectifs. Pour moi, il n’y avait plus qu’une solution, tenter la carte de la négociation avec le FLN. J’en parle à divers contacts et j’apprends qu’Abderrahmane Fares cherche à me voir. Lui aussi était à la recherche d’un accord. De Gaulle venait de le libérer de prison et il était devenu président de l’exécutif provisoire algérien. C’était un intellectuel moralement français et qui s’il avait une vision imposée de l’Algérie désirait en même temps la prospérité et le calme. Rendez-vous a été pris et une voiture est passée me chercher. Des fellaghas armés de mitraillettes, impassibles, corrects, polis. J’étais sans arme. La rencontre se fait à l’Alma dans une ferme, à trente kilomètres d’Alger. Je n’avais jamais vu Fares. Quand il est arrivé, nous nous sommes serré la main puis nous avons parlé des différentes revendications européennes. Nous sommes tombés d’accord sur tout ou presque. Et à la fin nous nous sommes même embrassés. Le 1er juin 1962, nous avons décidé de part et d’autre une trêve des attentats.

Q. - Pourquoi cet accord n’a-t-il pas été suivi d’effet ?

R. - A cause des dissensions au sein de l’OAS comme du FLN. Je savais quel était l’état des luttes au sein du FLN. D’un côté des hommes comme Fares, de l’autre les officiers de l’ALN, les anciens militaires qui avaient servi dans les rangs de l’armée française durant la Seconde Guerre mondiale, comme Ben Bella. C’était le camp des intransigeants. Nous en avons parlé avec Fares. Il m’a dit : »Ben Bella ? On va s’en débarrasser. » Nous nous sommes quittés et je suis rentré rendre compte à l’état-major de l’organisation.

Q. - Que s’est-il passé ?

R. - Certains membres étaient d’accord mais l’un d’entre nous, le colonel Godard, est entré dans une colère folle. Il voulait qu’on continue le combat jusqu’au bout, qu’on prenne le maquis et qu’on continue le terrorisme. Je suis sorti accablé devant un tel manque de réalisme. Plusieurs autres réunions ont encore eu lieu avec les nationalistes algériens, mais Fares a été remplacé par le docteur Chawki Mostefaï, le représentant officiel du FLN à Alger, un homme plus froid, plus politique. Le 15 juin, je le rencontre et nous tombons finalement d’accord sur une déclaration radiotélévisée que Mostefaï fait deux jours plus tard. L’OAS y est mention et reconnue comme porte parole des Européens, incités à ne pas désespérer. Nous avons également, par le biais de nos émissions pirates, fait une déclaration dans laquelle nous nous félicitions de l’accord et donnions l’ordre de suspendre les combats et les destructions.

Q. - Quelle aurait été cette nouvelle Algérie ?

R. - Nous reconnaissions le droit de l’Algérie à son indépendance et nous voulions une démocratie offrant des garanties à la minorité des Européens et à ceux des musulmans qui avaient combattu à leurs côtés. Il y aurait eu un président arabe et un vice président européen, des postes ministériels étant réservés aux Européens. Mais nous avions une exigence : que les frontières du Maroc et de la Tunisie soient fermées afin que les armées de l’ALN y stationnant ne pénètrent pas en Algérie, car dans ce cas, il n’y avait pas d’élections démocratiques possibles. Mais tout cela a finalement été refusé par l’aile dure du FLN, qui a même accusé ses négociateurs de traitrise.

Q. - Pourquoi une tentative d’entente si tardive ?

R. - Parce qu’avant, nous espérions un sursaut salvateur de l’armée française qui ne s’est pas produit.

Q. - Et après la répression du Constantinois en 1945, n’était-il pas possible de faire quelque chose ?

R.- Nous avons raté de multiples occasions, notamment à partir de 1945. En 1954, quand la guerre a éclaté, j’étais un gaulliste fervent. Et je pensais que si , dans l’avenir , il n’y avait pas égalité totale entre musulmans et Européens, il valait mieux pour nous , quitter l’Algérie. Mais l’immense majorité des Français ne désirait pas cela. Un jour je déjeune avec un ami député et il me dit : « Mais qui donc voudra 200 députés algériens à l’assemblée nationale ? ». Les seuls, peut-être à pouvoir envisager cette perspective étaient les Européens d’Algérie, mais ils ont mis bien longtemps et il était bien trop tard. Les choses étaient allées trop loin. En réalité la communauté française était très hétérogène, séparées par ses dissensions politiques mais aussi ses origines. Elle n’a commencé à exister qu’avec la guerre d’Algérie. Avant on disait « un Espagnol » ou « un Maltais ». Tous restaient attachés à leur patrie d’origine. C’est la guerre qui les a soudés.

Q. - Quelle politique aurait dû alors suivre le général De Gaulle en 1958, quand il prend le pouvoir ?

R. - Je pense que les Européens auraient été prêts à accorder l’égalité ; mais à une seule condition ; que l’Etat français s’engage fermement dans cette voie. Mais il aurait fallu une révolution. Or De Gaulle ne voulait plus de l’Algérie. Sa seule volonté politique, c’était le « dégagement ». Il considérait que l’Algérie était un boulet pour la France qu’il voulait à la fois l’égale des grandes nations et la maitresse des pays du tiers monde. Et puis allait-on en finir avec cette armée. Il voulait une armée moderne, mais pas celle-là, qui était d’un autre temps.

Q. - Pourquoi les Européens ont-ils été incapables d’avoir une représentation politique ?

R. - Ils étaient complètement dépolitisés. La valeur fondamentale de ces hommes qui étaient des pionniers à l’origine, c’était le travail. La politique était une fantaisie ou alors elle était réservée à ceux qui voulaient faire parler d’eux. Seuls les grands colons faisaient de la politique mais à titre personnel et sans aucune vision d’avenir.

Q. - Pourquoi avoir persisté après la fin de la guerre d’Algérie, à vouloir assassiner De Gaulle ?

R.- Parce qu’il était responsable des multiples massacres qui se sont produits en Algérie après notre départ, de tous ces gens égorgés comme des lapins mais aussi de l’exode de un million de nos compatriotes dans des conditions terribles.

Q.- Avez-vous des regrets ?

R. - Aucun

Q. - Quelle impression cela fait-il d’être condamné à mort deux fois ?

R. - Rien. Pas plus que dix fois.

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