6.11 - Terrorisme - Témoignages

III - Histoire et récits - Mars 1962-C'était tout ce poids dans la tête...

9 - Le calvaire d'un soldat du contingent fait prisonnier par l'A.L.N. 1957

Guerre d’Algérie (1954-1962) : le calvaire d’un soldat du contingent fait prisonnier l’ALN -

Le 22 février 1957, à un jour près, un groupe de combattants nationalistes algériens, dirigé par Mohamed Hanoufi, alias si Abdelhaq, natif de Cherchell, accroche violemment un convoi de l’armée coloniale à Bouyemen-Lalla-Ouda, dans l’arrière-pays de Dupleix (Damous). Les forces adverses y laisseront au moins 21 soldats tués, un fait prisonnier, quatre véhicules militaires détruits, un hélicoptère abattu. Les armes, les vêtements des victimes seront récupérés par les combattants de l’ALN.

Si Abdelhaq, qui se voulait un exemple pour ses compagnons, qui se plaçait toujours en tête de ses djounouds, tomba au champ d’honneur.

A notre modeste connaissance, le nom de Mohamed Hanoufi alias Si Abdelhaq, un authentique héros de la révolution algérienne, ne figure sur aucun document ou livre publié à ce jour, estampillé historique, consacré aux « Evènements » d’Algérie.

Et pour cause ? Avec des moyens humains et matériel dérisoires, pendant au moins une année, il ridiculisera l’état-major de l’une des plus puissantes armées du monde, forcera l’admiration de ses compagnons et de son peuple. On peut dire qu’il a placé la barre de l’héroïsme et de la morale du combat anticolonial si haut qu’elle ne sera sans doute jamais effleurée par aucun des béni Hilal, des félons et dévastateurs qui ont confisqué l’indépendance de l’Algérie, ruiné son image, tari ses ressources, outragé son peuple, faussé son histoire.

Que les algériens qui sont légitimement écœurés par leur racaille politicienne, corrompue jusqu’à la moelle des os, se rassurent, il n’existe aucun lien de parenté entre leurs dirigeants post coloniaux et l’esprit d’une révolution authentiquement populaire. Comparer un quiconque mafieux de leurs dirigeant actuels à leurs glorieux martyrs d’antan reviendrait à faire violence à la vertu pour la contraindre à s’agenouiller devant le vice.

Appartenant à une famille authentiquement révolutionnaire, notre maison fut, de 1956 à 1959, le passage obligé pour les combattants nationalistes algériens circulant d’Est-Ouest et vice versa ou affectés en zone IV de la wilaya IV, dans la vallée de Kella, arrière-pays de Gouraya.

Je tiens à préciser que je n’ai vu le jeune soldat fait prisonnier à Bouyemen qu’une seule fois, de nuit, vers le 24 février 1957.

Cependant, grâce à un réseau de témoins oculaires, concordants, j’ai pu suivre son chemin de croix jusque son terme tragique.

Il y a longtemps que j’ai voulu écrire l’histoire de ce jeune soldat français du contingent. Cependant, plus d’un demi-siècle après les faits, mes multiples tentatives de l’écrire ont échouées à cause d’une intense émotion qui me glace le sang dans les veines, me crispe les muscles et me paralyse le cerveau à chaque fois que je me mets devant mon clavier.

Aussi, suis-je conscient que bien que fort tardif, mon témoignage peut être ressenti par certaines personnes comme une lame acérée remuée dans des plaies en voie de cicatrisation ou raviver chez elles de douloureux souvenirs en voie d’apaisement. Je m’en excuse et les rassure que moi-même, un peu plus d’un demi-siècle après les faits, la souffrance du jeune soldat fait prisonnier à Bouyemen me donne encore des sueurs glacées, me fait passer des nuits agitées, sans sommeil, comme s’il était de ma famille, comme s’il était : mon frère, ma mère ou mon père, tous les trois furent victimes des violences coloniales.

Aussi, suis-je conscient qu’écrire sous la tyrannie de l’émotion n’est pas aisé. Mes propos peuvent être maladroits, mal compris au choquer des âmes sensibles, notamment des personnes qui peuvent reconnaître la victime dans mes propos.

Ma présente démarche ne tend ni à occulter, ni amoindrir, ni trouver des circonstances atténuantes aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité perpétrés par l’armée française durant la guerre d’Algérie (1954-1962.) Cependant ces crimes indignes d’une nation comme la France ne doivent nullement légitimer ceux de certains seigneurs de guerre du FLN/ALN.

Suite à leur retour de l’accrochage de Bouyemen-Lalla-Ouda, en attendant qu’un couscous préparé par ma mère leur soit servi dans une aile de notre maison, les combattants nationalistes algériens exhibent leurs trophées de guerre : armes, vêtements, pataugas, ceinturons, ensanglantés. Et, un jeune soldat du contingent fait prisonnier, qui est légèrement vêtu, transi de froid et de peur, qui n’avait pas mangé depuis au moins 24 heures, qui supplie, dans un arabe des plus approximatif : « Ya Khaouti ma téqlounich » (mes frères ne me tuez pas. »

Une fois le couscous fut servi, le jeune captif refuse de s’alimenter. Je courre vers ma mère pour l’informer de la présence du jeune prisonnier parmi nos vaillants combattants. A son tour, elle accoure vers ses nids de poule, attrape quatre œufs frais, les met à bouillir. Une fois cuits, elle me les confie accompagnés d’une pincée de sel, me charge de les offrir au jeune prisonnier. Aussi m’a-elle chargé d’exhorter le chef des moudjahidine de ne pas rendre : « Sa mère malheureuse. »

Quand je lui présente le cadeau de ma mère, le jeune soldat éclate littéralement en sanglots. Le successeur de Si Abdelhaq, une brute, lui arrache les œufs des mains. Il me fusil du regard tout en me disant : « ça c’est pour mes djounouds», me dit-il sèchement. Etant sous notre toit, en présence de mon père, alors « président du comité populaire du FLN», de mon frère Mohamed, engagé dans les rangs du même FLN, la brute, Sihka, tente de se rattraper, me dit : « Vas dire à ta mère que la mère du prisonnier ne sera pas malheureuse.

La quasi-totalité des populations alliées du FLN/ALN, qui ont vu le prisonnier, ont d’abord demandé à son geôlier de lui épargner des souffrances inutiles. Les nationalistes algériens n’avaient pas les moyens de garder des prisonniers.

Le soldat de Bouyemen a visité plusieurs douars alliés du FLN/ALN. Le libérer serait de prendre le risque de faire s’abattre une féroce répression sur ces populations.

Par conséquent, son sort était scellé. Cependant, le livrer à une minorité de revanchards, qui avaient jusqu’à là gardé leur distance vis-à-vis des nationalistes algériens, était indigne d’une révolution populaire comme la révolution algérienne.

Un jeune combattant nationaliste désapprouve les méthodes de son chef. Il propose de tuer le prisonnier sans le tourmenter ni l’humilier.

Dans un monde de brutes, la pitié, l’un des principaux attributs de l’espèce humaine, est toujours synonyme sinon de lâcheté du moins de faiblesse.

La brute Sihka, à l’aide de la crosse de son fusil, brise le genou de son compagnon qui le désapprouve ses méthodes, pour l’empêcher de fuir, le désarme, le dote d’une branche en guise de béquille. Une fois arrivés à Hayouna, arrière-pays d’Oued Messelmouhn, le même Sihka présente aux populations le jeune soldat fait prisonnier à Bouyemen comme étant le tueur de Si Abdelhak, de leur héros et le jeune algérien au genou brisé comme étant un harki, son complice.

Le soldat français aura les mains et pieds liés derrière le dos, couché face contre terre, il sera lapidé jusqu’à ce mort s’en suive par des revanchards excités par Sihka.

Quant à son infortuné compagnon, qui a commis le crime d’avoir eu pitié d’un prisonnier, qui a exprimé son souhait de mettre fin à ses tourments par une mort propre, il sera mis à mort par pendaison.

Le pendu était le fils de la dame qui a préparé le couscous aux combattants de l’ALN avant et après l’accrochage de Bouyemen, qui a offert des œufs bouillis au jeune prisonnier et au président du comité populaire de la vallée de Kellal.

C’était mon frère Mohamed, qui laissera une jeune veuve enceinte d’une fillette qu’il ne prendra jamais dans ses bras.

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